Communiqué

Tunis le 19 Février 2002

Le CNLT est vivement inquiet de l’accélération des actes de répression des autorités publiques sur l’ensemble de la société civile et craint que cette fuite en avant dans le tout-securitaire ne laisse d’autre issue qu’à une crise générale aux conséquences imprévisibles.

Persécution des avocats :

  1. Suite à la grève générale des avocats, qui a été presque unanimement suivie dans toute la république le 7 février, le pouvoir a réagi par une campagne de représailles ciblant ce corps. C’est ainsi que des services de la police politique ont pénétré par effraction dans les cabinets de plusieurs avocats. Ils ont fouillé leurs bureaux et éparpillé leurs dossiers. Après le cabinet de maître Mokhtar Trifi, le président de la LTDH, ce fut au tour de maîtres Lazhar Akremi, Hédi Abidi et Najet Yakoubi à Tunis, Ezeddine Mokhtar à Gabès de voir leurs bureaux « visités » entre le 7 et le 9 février courant. Quant à maître Leila Hamrouni, elle a été brutalisée et agressée verbalement par des agents de la police politique à Grombalia le 13 février. Sa robe d’avocat a été déchirée.
  2. Les avocats de Hamma Hammami, porte-parole du PCOT et ses camarades Abdeljabbar El Madouri et Samir Taamallah, condamnés lors d’une parodie de justice le 2 février courant et détenus à la prison civile de Tunis, sont toujours empêchés de rendre visite librement à leurs clients par mesure de rétorsion. Après les protestations du Conseil de l’ordre auprès du Ministère de la justice, le droit de visite des avocats à leurs clients n’est toujours pas acquis, ils ont obtenu une visite au compte goutte en contravention flagrante avec les dispositions du Code de procédure pénale.

Procès politiques

  1. Le secrétaire général de la LTDH, monsieur Khemaies Ksila a été condamné dans un procès expéditif le 12 février courant à 10 ans de prison ferme pour « harcèlement sexuel ». Les conditions d’un procès équitable n’ont nullement été respectées, les avocats de la défense n’ont même pas pu accéder au dossier pour assurer sa défense. Cette condamnation prouve encore une fois que la justice a été instrumentalisée pour régler un compte politique avec un dirigeant de la LTDH.
  2. L’homme d’affaires Kamel Letaief a été condamné à un an de prison ferme le 9 février pour «simulation d'infraction, atteinte aux bonnes moeurs, outrage à agent dans l'exercice de ses fonctions et imputation de faits illégaux par voie de presse ». Cette affaire a été montée de toutes pièces pour sanctionner M Letaief pour sa liberté de parole lors d’une interview qu’il a accordée au journal le monde en novembre 2001. Cette condamnation démontre si besoin est l’intolérance du pouvoir à toute forme de critique et son allergie à toute forme de liberté d’expression.

Le CNLT dénonce ces condamnations iniques. Il rappelle l’urgence de libérer l’institution judiciaire de la domination de l’exécutif.

Persécution des défenseurs :

  1. Depuis sa révocation de la magistrature en décembre 2001, le juge Yahyaoui n’a cessé de subir toutes formes de persécution allant de l’atteinte à sa liberté de circulation (interdiction de quitter le territoire et interdiction de se déplacer dans les provinces du pays où il est invité à donner des conférences) à la coupure de ses lignes de téléphone. Le 11 février, des agents de la police politique lui ont interdit l’accès au palais de justice ! Cette interdiction s’est répétée le 13 février lors de la conférence de presse des avocats à laquelle il était convié en sa qualité de président du Centre pour l’indépendance de la justice.
  2. De même, maître Abderrazak Kilani, Secrétaire général du Centre pour l’indépendance de la justice a été convoqué par la police pour la troisième fois consécutive (les 7, 11 et 15 février 2002) pour répondre d’acte de « distribution de dossiers de presse concernant la révocation du juge Yahyaoui aux magistrats » ! La procédure de convocation n’a pas été régulière, puisqu’elle n’est pas passée par le Conseil de l’ordre, comme le prévoit la loi. Ce dernier a protesté auprès du procureur de ces procédés illégaux. Le CNLT dénonce ce harcèlement policier et craint des représailles contre le Secrétaire général du CIJ qui subit actuellement une surveillance policière étroite.
  3. La police des frontières a refusé de renouveler le passeport de Maître Saida Akremi, membre du CNLT. Celle-ci n’a pas pu se rendre à une rencontre organisée les 16-18 février au Caire par Amnesty International où elle devait représenter le Conseil des libertés.

Violation grave de la liberté de circulation
Plusieurs barrages des forces de l’ordre ont interdit tous les accès de la ville de Jendouba (Nord ouest) aux participants d’une conférence sur l’indépendance de la justice après les événements du 2 février, organisée par la section de Jendouba de la LTDH. Cette interdiction qui s’est répétée dans trois villes de province (Bizerte, Sfax et Monastir) en moins d’un mois, mais qui a été particulièrement choquante à Jendouba, révèle une dégradation préoccupante de l’état de droit en Tunisie. Outre les atteintes devenues habituelles à la liberté d’association et de réunion, c’est la liberté de se déplacer d’une ville à l’autre qui suppose désormais une autorisation préalable !

Pour le Conseil,

La porte-parole

Sihem Bensedrine