Le CNLT est vivement préoccupé par l’offensive répressive lancée par les autorités tunisiennes depuis trois semaines au lendemain de la farce referendaire du 26 mai, ciblant les opposants et les dissidents. Il relève que cette offensive prends de plus en plus l’apparence de procès politiques. Le CNLT qui a alerté dans son rapport annuel sur les libertés de mars 2002 sur l’instrumentalisation préoccupante de l’institution judiciaire dans les règlements de compte politiques, s’inquiète des dysfonctionnements devenus quasi systématiques de cette institution, qui provoque chez les justiciables un sentiment de défiance.
Condamnation d’un internaute pour sa liberté d’expression
La quatrième chambre correctionnelle du Tribunal de première instance de Tunis, présidée par Akram Menakbi, a condamné le 20 juin 2002 Zouhayr Yahyaoui, le webmaster du site contestataire Tunezine à 2 ans et 4 mois de prison ferme ; un an pour "avoir communiqué ou divulgué une information qu'il savait être fausse, dans le but de faire croire à un attentat contre les personnes ou contre les biens" (article 306 ter du Code pénal) et à un an et quatre mois d'emprisonnement pour "usage frauduleux de ligne de télécommunications" (article 84 du Code des communications).
A l'audience, plus d'une trentaine d'avocats s’étaient constitués pour la défense de Z. Yahyaoui. Etaient présents également les observateurs dépêchés par les réseaux de droits humains, notamment l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme, programme conjoint de la FIDH et de l'OMCT, l'association Avocats Sans frontières (ASF- Belgique), le Réseau Euro-méditerranéen des Droits de l'Homme (REMDH) la Ligue suisse des droits de l’homme (LSDH) et le Comité pour le Respect des Libertés et des droits de l'homme en Tunisie (CRLDHT). Les observateurs des ONG autonomes tunisiennes étaient également présents et notamment, le Conseil de l’ordre des avocats, la LTDH, le CNLT, l’ATJA et le CTIJ.
M. Zouhair Yahyaoui, avait refusé de comparaître devant la cour. Selon ses avocats, le jeune internaute souhaite exprimer par cet acte sa défiance à l’égard du tribunal dont il conteste l’impartialité, ainsi que sa dénonciation des tortures qu’il a subies lors de sa garde à vue dans les locaux du ministère de l’Intérieur.
Zouhair Yahyaoui a été condamné pour avoir exercé une liberté fondamentale, la liberté d’opinion qui lui est reconnue par les lois tunisiennes ainsi que les conventions internationales. Le CNLT considère sa détention comme arbitraire et exige sa libération immédiate et inconditionnelle.
Jaber Trabelsi devant le tribunal militaire
Le tribunal militaire permanent, présidé par Béchir Zarkouna a examiné le 19 juin courant l’affaire 12812 où comparait Jaber Trabelsi, accusé de « terrorisme » en vertu de l’article 123 du code de procédure militaire et 52 bis du code pénal. Jaber Trabelsi est rentré en Tunisie de son plein gré pour faire opposition à un jugement qui le condamnait par défaut à 20 ans de prison, après avoir contacté l’ambassade de Tunisie à Rome qui lui a donné toutes les assurances, mais à sa descente d’avion, Jaber était pris en charge par la police politique. Pour protester de son innocence, Jaber a entamé une grève de la faim qui l’a beaucoup affaiblie. Jaber a déclaré à la cour, « je sais que ma condamnation est préétablie, vous pouvez prononcer votre jugement » ! et l’affaire a été reportée au 26 juin, à la demande de ses avocats étant donné la détérioration de son état de santé
Persécution judiciaire de Charfi
Sous le titre « Un ancien ministre de l’éducation nationale assigné en justice », une campagne visant à nuire à la réputation de l’opposant Mohamed Charfi vient d’être déclenchée dans la presse officielle. Le 13 juillet prochain l’ancien ministre Mohamed Charfi est convoqué devant une chambre civile pour « dilapidation de deniers publics » ! La plainte a été déposée par le secrétaire général du syndicat de l’enseignement supérieur, Mustapha Touati, démis de ses fonctions par sa base lors du dernier congrès et qui n’a pas légalement qualité pour agir. Il est reproché à Charfi d’avoir fait bénéficier indûment un assistant de la faculté des sciences d’une bourse en 1992. Il est à rappeler que ce genre de bourse est accordé par une commission formée par les présidents d’universités et n’est pas soumise à approbation du ministre ; elle avait de surcroît fait l’objet d’un contrôle de la Cour des comptes en son temps !
La question se pose sur les visées réelles de cette poursuite qui se déclenche aujourd’hui après dix ans, d’autant que le procureur de la république a été saisi de cette plainte, ce qui ouvre la voie à une suite pénale de l’affaire.
Le CNLT dénonce une volonté de persécuter un opposant en utilisant encore une fois la justice pour des règlements de compte.
Procès en appel de Hédi Sassi
Mohamed Hédi Sassi a été cité à comparaître le 4 juillet 2002 devant la cour d’appel de Monastir pour « appartenance à organisation non reconnue (PCOT) et diffusion de tracts illégaux ». Les faits incriminés remontent à 1993 et Mohamed Hédi Sassi avait fait opposition contre le jugement le condamnant à un an et demi de prison ferme. Après avoir purgé une peine de 2 ans et demi (pour les mêmes faits), il obtient un non lieu de la cour d’appel de Monastir en 1997 en vertu du principe de l’autorité de la chose jugée. Selon Hédi Sassi, il semblerait que le ministère public ait fait casser ce jugement et obtenu que l’affaire soit rejugée en appel. Pour le C NLT, ce procès fait partie de la série de procès politiques visant à intimider les opposants.
Persécution de l’avocat Maatar
Le 24 juin, l’avocat Abdelwahab Maatar, membre du CPR, a été convoqué au commissariat de police de la banlieue de Sfax où il réside, pour une infraction au code de la route. A son arrivée au poste, il fut interrogé, à sa grande surprise, par une équipe de la brigade du renseignement sur ses activités politiques et notamment sur une réunion privée qu’il aurait tenu à son domicile. Me Maatar a refusé de répondre à cet interrogatoire irrégulier et exigé que les procédures soient respectées, notamment qu’il soit régulièrement convoqué et que le barreau soit saisi. Face à son refus d’obtempérer, il a été séquestré, les policiers l’ont finalement autorisé à quitter le poste au bout de trois heures.
Le CNLT considère que ce qui est arrivé à maître Maatar s’inscrit dans la campagne d’intimidation des opposants déclenchée au lendemain du referendum et visant à faire taire toute voix dissidente.
Pour le Conseil,
La porte-parole
Sihem Bensedrine
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