La vie n’est pas une tragédie classique
Elle vit dans un monde qu’elle n’a jamais compris.
Pourquoi les gens sont-ils si méchants ?
Pourquoi la Terre, aussi magnifique soit-elle lui apparaît comme hostile ?
Camille possède peut-être toutes ces réponses dans son cœur, mais elle n’a jamais trouvé la force de les sortir, ou de les accepter. Son souhait le plus cher aurait été de devenir un ange, et pourquoi pas, ici sur cette planète, avant sa propre mort. Grâce à ses pouvoirs surnaturels, la jeune adolescente permettrait à des centaines de personnes de ne plus souffrir, de ne plus jamais verser une seule larme quitte à ce que ce soit sur elle que s’abatte la douleur ; peu importe si elle arrivait à puiser son propre bonheur dans celui des autres.
Quelle plus grande force que l’amour et la joie ?
Mais la réalité est triste, elle sera toujours bien trop injuste et Camille le sait, malgré ses prières, malgré tous ces pleurs elle voit encore le malheur autour d’elle, de ses proches aux gens qu’elle ne rencontrera jamais, de ceux qu’on nous montre à la télévision.
Elle est différente des autres filles de son âge, plus introvertie et probablement moins imprévisible, c’est si peu de choses et tellement à la fois. Par la seule beauté de son âme, par son expérience de vie elle aurait mérité une place au Paradis, là où elle n’aurait plus rien eu à faire, ni à souffrir ni à se battre. Néanmoins, elle a choisi de rester ici. Depuis longtemps déjà il lui semble qu’elle n’a plus rien à attendre de la vie ; elle avait des rêves bien sûr, de folles ambitions mais, au fond il ne lui reste pas grand chose.
Ce matin Camille a le sourire aux lèvres, elle ignore encore de quoi va être faite sa journée, c’est cela qui lui permet de ressentir encore un peu de joie. Elle a toujours pensé qu’il faudrait savoir prendre les événements sans y traîner une longue réflexion que seul un certain mal-être peut dicter, seulement elle n’y arrive pas. Ses attentes ont rendu chaque chose bien plus morose qu’elle ne l’était.
En se réveillant, son premier geste est de se retourner vers l’homme qu’elle aime, même si maintenant ils ne sont plus réellement du même monde elle ressent toujours cet amour fou, celui qui peut s’éteindre d’un instant à l’autre. Elle aimerait qu’il la regarde, mais son premier geste à lui reste moins tendre : il ronchonne un peu, puis se retourne. Elle aurait beau insister, cela ne servirait à rien, comme si au bout de deux ans et demi on ne pouvait plus s'idolâtrer. Elle souffre quotidiennement de ce manque d’amour, et quand elle a l’audace de demander à son petit ami s’il croit qu’elle pourrait être la femme de sa vie, il répond :
« c’est impossible à dire, je suis encore jeune, tu ne seras certainement pas la dernière ».
Alors, elle pleure en secret et demande à Dieu sa pitié.
Camille n’a plus le droit à ces mots d’amour qu’elle chérissait tant, ceux qui lui donnaient du baume au cœur, à présent elle ignore où son destin va la mener. Elle n’est plus adorée du seul garçon pour qui elle aurait pu stopper son souffle vital.
Est-ce cela la vie ?
Est-on condamné à souffrir lorsqu’on aime, à être remplacé par l’image d’un autre être ?
Evidemment, la réponse devrait dépendre de la personne, Camille aurait voulu qu’elle soit négative, mais elle la croit positive.
Elle est encore jeune, très jeune, elle pourrait partir à la recherche de l’homme qui lui apportera l’allégresse, qui ne regardera qu’elle en lui disant combien il la trouve belle, simplement elle avait cru le trouver. Les sentiments changent avec le temps, il y a deux ans on acceptait de l’épouser sans hésitation, aujourd’hui on lui rétorque qu’on n’est plus prêt… Elle se sent trahie, désabusée, ce n’est pas facile.
La solution serait de vivre sans aimer, exister sans rien attendre en retour, mais Camille est bien trop faible pour ne pas avoir besoin de tendresse, et c’est donc là la grande faiblesse de l’Homme.
Une seconde lui a alors suffit afin de savoir ce qu’elle devait faire, en ultime preuve d’amour pour son conjoint mais aussi pour elle-même.
Après s’être convenablement vêtue, et avoir placé quelques affaires dans un sac, elle se met à écrire car elle ne pourrait jamais partir sans en expliquer les raisons :
« Mon tendre et cher amour,
Tu sais combien les heures sont longues depuis que je ne suis plus regardée de toi ; je prie souvent afin que ton cœur soit à nouveau plein de mon image, de nos projets communs, et que tout redevienne comme avant si nous ne pouvons pas avoir un avenir meilleur. Mais puisque tu ne m’aimes peut-être plus, puisque je ne suis pas celle que tu voudrais tenir dans tes bras, je ne peux plus rester ici, à être une simple gêne dans ta vie. Nous aurions pu nous marier, avoir une famille à nous tel que tu me l’avais jadis promis, seulement tu as changé, et je n’ai pas réussi à te garder auprès de moi. Je souffre chaque jour un peu plus de ton indifférence grandissante ; par égoïsme j’aurais pu me contenter des quelques attentions que tu m’accordes, mais je pense aussi à toi. Je désire que tu sois enfin heureux en amour, que tu trouves celle que tu voudras réellement épouser et garder à tes côtés pour toujours, or c’est une évidence : ce n’est pas moi.
J’ai tout abandonné pour venir te rejoindre ici alors que je savais déjà comment notre histoire se terminerait. Tu es trop bien pour moi, je suis enfin capable de l’accepter.
Maintenant que je te laisse libre face à ton avenir, j’espère que tu sauras faire les bons choix, et que si un jour nous avons l’occasion de nous revoir, je pourrai moi même constater combien tu es heureux dans ta nouvelle vie. Je ne te demande pas de m’effacer de ton esprit parce que je sais que cela est déjà fait. Alors je me garde de te dire combien je t’aime, je te souhaite seulement bonne chance et te remercie pour tous ces instants de bonheur que tu as su m’offrir bien que je n’ai pas été la femme de ta vie.
Camille »
A la lecture de ses propres mots, elle a le cœur déchiré, même si son choix reste certainement le meilleur, elle aurait tant souhaité demeurer auprès de sa moitié, faire semblant de ne pas voir qu’il en regardait d’autres.
Comment savoir si elle était capable de vivre sans lui, de survivre bien sûr, mais d’exister réellement ?
Elle dépose un baiser sur le papier en faisant attention de ne pas y laisser de larmes. Si elle avait cru bon de le faire, elle aurait suivi son instinct en rajoutant cette simple note, courte et pourtant mille fois plus porteuse de sens que n’importe quel roman : « je t’aime ». Ses mots restèrent au fond de sa gorge, ils ne sortirent ni dans sa voix, ni dans ses mots, dorénavant ils seraient pour elle, et peut-être un jour pour un autre…
Ce n’était pas la première fois qu’elle perdait un amour, celui qu’elle aurait juré être le bon. C’est terrible de constater combien cela fait mal, combien on se sent sans espoir, sans aucun avenir, pourtant la vie doit continuer ; elle apportera encore tant de malheurs, mais malgré tout on est content d’être là, on pleure quand la mort emporte quelqu’un, puis on soupire parce qu’on a cette chance d’être vivant.
Le sac mis sur son dos, elle s’en va et referme la porte derrière elle. Un instant son regard se perd dans le ciel, elle a soudainement conscience que le destin n’existe pas, qu’elle a pris elle-même sa décision, et c’est la grande fierté qu’elle peut avoir. Personne n’a tracé son chemin, elle pourra être heureuse si elle le souhaite, si elle se bat pour cela, néanmoins le bonheur des autres l’importe toujours davantage. C’est plus jouissif de savoir qu’on a servi à rendre quelqu’un heureux que de l’être soi-même. Ainsi, quoiqu’il advienne à présent, puisqu’elle va vouer sa vie à l’humanité, elle n’aura pas tout à fait vécu pour rien. Elle rendra les gens mauvais gentils, elle réussira à redonner goût à la vie aux plus démunis, aux plus désespérés, mais surtout elle les fera tous prendre conscience de la beauté de l’existence, elle les fera tous rêver par ses simples mots. Aujourd’hui qu’elle est seule, elle ne continuera plus pour elle, elle veut devenir écrivain afin de pouvoir donner son amour sans rien attendre d’autre que quelques sourires. Avec ses seuls mots, elle aura la possibilité de faire durer les affections jusqu’à l’éternité, de rendre les hommes meilleurs qu’ils ne le sont, alors elle n’hésitera plus entre la vie et la mort.
La jeune fille souhaiterait, maintenant qu’elle se sent presque tout à fait libre, exaucer un de ses vœux ; elle le renferme en elle depuis si longtemps, l’heure est enfin arrivée. C’est idiot, elle ignore ce qu’elle va lui dire en l’apercevant, elle ne sait même pas si elle sera reconnue au premier coup d’œil. Pourtant après de longues heures passées entre bus et train, elle arrive dans une ville dont elle a souvent reçu les cartes postales. Dans cet endroit, ici, à Metz vit un être cher à son cœur, quelqu’un qui pourrait faire bien plus que la rassurer. Camille a envie de la voir cette fille de son âge, celle qui lui a donné son amour sans rien désirer en échange. Les lettres avaient souvent pris la place d’étreintes les plus intimes, en serrant les enveloppes contre sa poitrine, elle pensait recevoir une chaude caresse, mais Camille refoulait jadis ce sentiment par amour pour son copain.
Elle a en tête l’adresse de son amie Lindsay, les rues sont nombreuses, cependant elle y passerait la semaine si c’était nécessaire. Par chance, les gens sont plutôt aimables, ils la renseignent clairement. L’adolescente parlera de ces passants dans un de ses livres, elle le veut parce qu’ils lui ont permis d’accomplir quelque chose de grand par de la simple compassion, de la gentillesse.
Arrivée devant ce qu’elle croit être la maison de Lindsay, son cœur s’emballe, cet organe qui peut s’arrêter sans crier garde, ou tout aussi bien se faire entendre lorsqu’il le souhaite. Un instant, elle songe à repartir afin de retrouver ses racines dans le sud, mais c’est alors que la porte s’ouvre.
La beauté de son âme se reflète sur son corps tout entier, Lindsay est belle, elle ne sourit plus que par ses mots, sa joie de vivre transparaît actuellement sur son visage. Et elle n’a pas l’air surprise de voir sa bien-aimée, comme si elle l’attendait ce soir-là. Tout naturellement, les bras des deux jeunes filles s’enlacent, leurs bouches s’étreignent et l’histoire reprend encore une fois d’elle-même.
Nous ne pourrons pas dire qu’un seul être nous est destiné, et nous n’avons pas le droit de baisser les bras quand l’un d’eux nous abandonne parce que c’est afin de laisser un avenir encore plus prometteur prendre sa place. Camille souffre toujours en pensant à l’homme qu’elle a aimé, néanmoins elle se sent bien à présent, elle est consciente qu’elle n’aura jamais le moindre regret.
Même si les ténèbres sont ensorcelantes, même si vous ne voyez plus d’autres chemins, sachez que je suis là, amie fidèle, ange de votre destin.
* Notes de l’auteur : C’est la nouvelle la plus récente que j’ai écrite, elle date de juillet 2003 et elle respecte les règles du concours littéraire de Mantes-la-Jolie car c’est à cette occasion qu’elle fut créée. Et il fallait donc qu’elle comporte les mots suivants (si je me souviens bien) : larme, note, racine et ange.
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