Comme tous les matins de vacances, ma mère frappe à ma porte, s’y attarde un instant et commence à crier. Elle est toujours de mauvaise humeur, pas un seul jour ne s’écoule sans qu’elle vienne s’en prendre à moi. Mais sous ma couverture, mi terrifiée, mi passive je garde un léger sourire, celui du dernier espoir. S’il me semble d’habitude que cela n’a pas d’importance, qu’elle a beau crier et, que je m’en fiche puisque je l’aime, ce jour-là des larmes brouillent déjà ma vue, et je me sens bien lasse de cette vie. Le rictus sur mes lèvres s’efface peu à peu, et même la meilleure volonté du monde ne pourrait rien y faire.

J’ai 17 ans, je suis à l’aube de ma majorité, et pourtant je n’ai pas prévu de grands événements, pas de voiture en vue, pas de mariage non plus, ni même de studio. Je sais que je serai encore là, à faire le ménage chaque jour un peu plus sans jamais satisfaire les désirs de ma mère. Il n’y a aucune véritable évolution dans ma vie, je me vois dans dix ans à la même place comme je l’étais il y en huit … jamais rien de fabuleux n’arrive, et cela me désole. Je ne rêve pourtant pas de choses miraculeuses, ce que je voudrais … ce que je voudrais vraiment c’est ne plus exister, pourquoi pas avoir enfin le courage de me jeter du toit de mon immeuble ? Cela ne me paraît plus choquant, j’y pense tel que l’on songe au sexe, avec une étrange excitation, mais une grande simplicité. J’imagine les différentes façons de trouver la mort d’une façon surnaturelle, je me plonge dans une longue réflexion où le bien et le mal se confondent. Je ne suis pas différente des autres adolescents de mon âge, je souffre encore de ce mal être qui nous ronge tous l’un après l’autre. En feuilletant les journaux, ou bien en se promenant dans les cimetières on peut découvrir le nom de ces jeunes qui ont fini par y céder. Car ce mal être que les adultes nomment crise d’adolescence est terrifiant, puissant comme la main de Lucifer. Il nous prend dans ses bras, et refuse ensuite de nous relâcher, parce qu’il nous veut, et c’est tellement facile de nous avoir ! Il aurait qu’à nous promettre ce que nous souhaitons … des évènements fantastiques, la venue d’un beau vampire qui nous emporterait avec lui dans le crépuscule, ou encore l’amour du Diable. En effet, c’est bien le Mal qui nous paraît le plus attrayant, car ce que le Bien nous a promis il nous la définitivement refusé, et c’est bien la pire des choses qui puisse nous arriver. Nous avons longuement prier, prier encore, demander des choses futiles pour lui mais extraordinaires pour nous, et si une ou deux fois cela s’est exaucé, nous l’avons appris c’est par hasard. Alors si Dieu nous ignore, s’il préfère ne pas se montrer et ne pas aider ses enfants que nous reste-t-il ?

Ce nom est dur à prononcer, tant il m’est précieux. Il est celui qui me redonne cette lueur d’espoir, aussi étrange que cela puisse vous paraître, il est l’entité pour laquelle j’aimerais devenir quelqu’un. Et moi j’y crois encore, pourquoi ? parce que je suis une adolescente tout simplement.

Je rejette alors ma fine couverture sur le côté. Cette nuit-là je me suis endormie toute habillée, je n’ai donc pas le soucis de chercher ce que je vais me mettre. Je me lève aussitôt, et pars rejoindre ma mère. Elle ne dort pas ici, cela fait de nombreuses années qu’elle vit avec nous la moitié du temps, et mon frère et moi nous y sommes habitués. Ma mère me donne déjà ses instructions « passer le balaie dans toutes les pièces, rassembler le linge sale dans un gros sac, repasser ses affaires et ceux de mon frère, faire à manger pour le midi, penser à laver le reste de vaisselle, etc. » Je l’écoute d’une oreille peu attentive, lui ouvre la porte et lui dis à midi. C’est donc une nouvelle matinée à passer seule, car nous sommes en plein mois de juillet, et je ne vois personne l’été. C’est une vieille habitude que de passer mes vacances seule, complètement seule, j’ai pourtant des amis qui me sont chers. Il me semble que ce sont mes derniers espoirs qui m’ont toujours incités à m’exclure moi même des autres, de ces lieux où les gens se retrouvent, parce que je le sais, ce que j’espère n’arrivera pas devant les autres. Cela viendra un moment où personne ne sera à mes côtés, alors j’attend plongée dans une solitude presque nourricière.

Pour la première fois de ma vie, je n’ai vraiment aucune envie de faire le ménage, je reste immobile devant la porte que je n’ai pas encore refermée, et je regarde au dessus de l’escalier. Dans un premier temps, il me paraît bien vide, pas le moindre bruit ne semble en provenir, puis une impression s’empare de moi. Un frisson froid mais délicieux. Il m’est alors inconnu, je n’ai jamais ressenti une telle sensation, ou alors je ne m’en souviens plus … Je baisse davantage ma figure par dessus le rebord des escaliers ; toujours le silence, et rien n’apparaît. Alors, je me retourne et rentre dans l’appartement, celui où sont restés mes pires souvenirs.
Le frisson n’a pas disparu, il a laissé sur moi une trace, une odeur très agréable que je renifle alors à plein poumons.


* Notes de l’auteur : Cet écrit date de fin 2002, je n’y ai quasiment pas passé de temps et ne l’ai pas terminé non plus, peut-être parce que rien ne m'a poussé à le faire…


Back