L’EMPLOI ET LA DERIVE ETATIQUE
Gilles Saint-Paul
Avec la remontée du chômage et la récession qui s’annonce, on ressort les bonnes vieilles recettes. Il incombe à l’Etat, nous dit-on, de combattre la récession à l’aide de la fiscalité et d’emplois publics.
De telles mesures s’inscrivent dans une longue tradition de volontarisme étatique en matière d’emploi. Depuis la montée du chômage au début des années soixante-dix, l’Etat est constamment intervenu sur le marché du travail , que ce soit au niveau micro-économique, grâce à la réglementation et des aides à l’emploi de toutes sortes, ou au niveau macroéconomique, en augmentant les déficits et en embauchant dans la fonction publique.
Cette stratégie a mobilisé des ressources considérables. Les politiques actives de l’emploi coûtent environ deux cent milliards de francs, ce qui pourrait financer deux millions d’emplois à temps plein. La relance du début des années 1980 s’est traduite par la création de 530.000 emplois publics entre 1981 et 1986, soit une hausse de 11 %, ce qui n’a pas empêché l’emploi total de diminuer. Et celle des années 1990 a connu des déficits record.
Pourtant, ces politiques se sont soldées par un échec, puisque le chômage s’est établi durablement au-dessus de 9 %, tandis que les pays anglo-saxons qui ont réformé leurs marchés du travail ont vu le chômage baisser au-dessous de 5 %.
En outre, elles ont contribué, et de façon non négligeable, au processus d’étatisation de la France. D’après les données de l’OCDE, la France se trouvait en l’an 2000 au troisième rang des pays développés en termes de dépenses publiques (hors transferts) rapportées au PIB, derrière le Danemark et la Suède, avec un chiffre de 22,9 %. Il en va de même en ce qui concerne la proportion d’emplois publics, avec près de 25 %.
L’interventionnisme en matière d’emploi fait progresser le poids de l’Etat à travers deux phénomènes.
D’abord, ce qu’on pourrait appeler la “frontière
mouvante”: le secteur public se substitue graduellement au secteur privé,
parce que la concurrence est biaisée en faveur du premier. Ainsi,
par exemple, les théâtres privés ont pratiquement disparu
des villes de province. Les emplois jeunes permettent aux municipalités
de se passer des services d’entreprises de jardinage. Air liberté
est en faillite parce qu’Air France, son concurrent, est semi-public, ce
qui lui garantit un accès privilégié aux ressources
aéroportuaires et un coût du crédit plus faible.
Cette concurrence est biaisée pour au moins
deux raisons. D’une part, le secteur public n’est pas astreint au profit
et peut éliminer des concurrents en facturant ses services à
un prix inférieur à leur coût. D’autre part, et souvent
au nom de la lutte pour l’emploi, il s’est réservé des contrats
(CES, emplois-jeunes, contractuels), moins coûteux et moins rigides
que le secteur privé.
Ensuite, le “Keynésianisme perverti”. Il consiste à invoquer les doctrines Keynésiennes pour justifier la relance quand ça va mal, quitte à les oublier en période d’expansion. Pendant ces dernières, il importe de suivre une politique d’austérité pour combattre les tensions inflationnistes et accumuler une marge de manoeuvre fiscale permettant de faire face à la prochaine récession. Malheureusement ces considérations cèdent le pas à la tentation de dépenser la manne fiscale à des fins électorales. Ainsi, si la récession des années 90 s’est traduite par une très forte augmentation de la dette publique (De 42 % du PIB en 1991 à 62 % du PIB en 1996), aucun effort n’a été fait pour la réduire pendant le boom des quatre dernières années–en 1999, elle s’établit à 65 % du PIB. Si la France combat la récession qui s’annonce avec la même politique bdugétaire qu’au début des années 1990, elle risque d’en sortir avec une dette publique de plus de 80 % du PIB, et d’avoir à subir des ajustements douloureux.
Que nous coûte cette dérive? Des taux
d’imposition décourageants – la France se situe au quatrième
rang des pays développés avec un taux de 45 % . Une mauvaise
affectation des ressources–trop de gens à l’accueil de la mairie,
et pas assez derrière le comptoir de l’agence de voyage. Et un déficit
de croissance inquiétant pour le long-terme. Il y a vingt ans, on
se gargarisait d’être la quatrième puissance économique
mondiale. Or, on vient d’apprendre qu’en termes de pouvoir d’achat par
tête la France se classe au douzième rang de l’Union Européenne,
devant l’Espagne, le Portugal et la Grèce . Un déclin qui
n’est pas sans rappeler celui de la Suède, passée de la troisième
à la quatorzième place mondiale entre 1970 et 1991, période
au cours de laquelle le secteur public absorba 12 % de l’emploi total.
De quoi faire méditer sur les bienfaits du volontarisme étatique.