La révolution transgénique est inévitable
Gilles Saint-Paul
Au cours des dernières années, des progrès considérables
ont été faits dans le domaine des organismes génétiquement
modifiés. Grâce à ces progrès, comparables à
l'introduction de chemin de fer, de l'électricité, ou de l'informatique,
l'agriculture et la médecine sont en train d'entrer dans un ère
nouvelle. La commission Européenne en a bien conscience, qui prévoit
de dépenser 2 milliards d'Euros par an dans la recherche biotechnologique
dès 2003. Cependant, les gouvernements semblent plus réticents,
victimes d'une opinion publique échaudée par la crise de la
vache folle et peu confiante dans les scientifiques. Pour cette raison,
ils se sont opposés l'année dernière à la levée
d'un moratoire sur la commercialisation des organismes transgéniques.
Les médias font la part belle aux discours alarmistes d'organisations
"écologistes", reléguant les spécialistes à la
portion congrue des émissions nocturnes. Ces organisations nous font
miroiter une Europe-jardin d'Eden où le progrès s'est arrêté,
une société stagnante retournée à l'état
de nature. Elles ont déjà réussi à imposer un
quasi-arrêt des expérimentations en plein champ. Dans l'Union
Européenne, celles-ci sont passées de 200 à quelques
dizaines en cinq ans, tandis qu'elles se maintiennent à plus de mille
aux Etats-Unis.
Si l'Europe tourne le dos aux biotechnologies, la réalité risque
d'être amère: le lent déclin d'une agriculture
en perte de vitesse relativement aux progrès galopants de la frontière
technologique mondiale; les plus pauvres contraints de payer deux fois trop
cher les denrées alimentaires; la recherche américaine raflant
tous les brevets, ce qui renforcera un peu plus le pouvoir économique
de l'Amérique et sa capacité à attirer les élites
mondiales.
A cause de la politique agricole commune, le prix des produits alimentaires
est systématiquement plus élévé au sein de l'Union
Européenne qu'à l'extérieur. L'écart va de 1
% pour le porc et 13 % pour le blé, à 52 % pour le maïs;
100 % pour le riz, 126 % pour le beurre et le mouton, et 160 % pour
le sucre. Cet écart ne peut que se creuser, transformant notre agriculture
en dinosaure irrécupérable, si l'on s'interdit de profiter
des gains de productivité permis par les OGM.
Ainsi, en 1998 les chercheurs américains ont créé des
porcs trangéniques, dont la viande est moins grasse. Ces porcs se
vendent 6$ de plus que les porcs ordinaires. Cette invention permettrait
d'augmenter la valeur de marché du cheptel européen (100 millions
de têtes) d'environ 600 millions d'Euros. Si l'Europe s'oppose à
son adoption, alors elle perdra 6$ par porc vendu sur le marché mondial;
à coût de production égal, cela signifie que l'industrie
porcine ne pourra plus concurrencer les Américains et les Asiatiques.
De même, les variétés de coton résistantes aux
insectes permettent d'augmenter le rendement de 4 à 8 %.
Et ce n'est qu'un début: 97 % de l'ADN est "vierge", ce qui signifie
que l'on peut l'enrichir d'un nombre considérable de gènes.
Il y a fort à parier que nous nous trouvons au début d'un cycle
d'innovations cumulatives comparable à celui de l'informatique—rappelons
que la capacité d'une puce double tous les vingt mois, et cela sans
interruption depuis quarante ans.
Bien entendu, de nombreux produits transgéniques sont voués
à l'échec, comme par exemple le taureau Herman, doté
d'un gène humain de fabrication d'une protéine permettant de
fixer le fer. Le lait produit par ses descendantes s'est avéré
trop peu enrichi en cette protéine pour qu'il soit rentable de l'exploiter.
Loin de condamner les biotechnologies, ce type d'échecs témoigne
au contraire de leur vitalité—comme les légions de logiciels
incapables de s'imposer démontrent le dynamisme de l'informatique.
Le marché saura trier et sélectionner les inventions les plus
utiles.
Au XIVème siècle, la Chine était le pays technologiquement
le plus avancé de la planète. Six cents ans plus tard, c'était
un pays pauvre. Les historiens s'interrogent sur les causes de ce déclin.
Certains accusent l'obscurantisme des mandarins et leur aversion pour le
changement technologique. Les lobbies "écologiques" et les gouvernements
qui leur accordent trop d'importance seront-ils les mandarins de l'Europe
du XXIème siècle?