Le chevalier et sa
belle
C'était un soir de
février. D'abord hésitante, puis tout à fait
consentante, la lune
diffusait une lumière
romanesque sur la forêt enneigée. J'errais à la
recherche d'un
endroit où m'abriter,
après avoir parcouru des dizaines de lieues ce jour-là.
J'avais
hâte de retourner au chateau
apres cette croisade qui a vu la plupart de mes
confrères périr sous
les cimeterres des paiens.
J'estimais en avoir encore pour
quelques jours avant de retrouver lady Anne, l'élue
de mon coeur.
La nuit était calme et
sereine, enveloppant l'univers avec volupté. Sans
nulle
précipitation, ma monture
me mena sur un chemin utilisé récemment par
des
cavaliers et des paysans, les
ornières laissées par les roues de leurs charrettes
en
faisant foi. Sans doute ce chemin
me mènerait-il à un quelconque endroit pour
m'abriter.
Ce n'est qu'après plusieurs
heures de ballade que je devinai, dans dans la
pénombre, la silhouette
fantômesque d'un beffroi, entouré de brume
diaphane.
L'effet était à la
fois féérique et inquiétant, dans cette nuit
où les seuls bruits
audibles étaient le
léger soupir d'un vent paresseux et discret frôlant la
cime des
arbres dénudés, et
le hululement des chouettes, uniques habitants éveillés
de cette
forêt.
Mais étaient-ce les seuls
bruits? Il me semblait que plus j'approchais de ce
chateau,
plus je percevais un murmure,
ô combien discret, et pourtant...
Le chemin nous mena à une
clairière au centre de laquelle s'élevait une
forteresse
de triste facture. Le pont-levis,
flanqué de deux tours jumelles, était
barricadé
(comme il se doit dans ces
contrées, le soir venu). J'arrêtai ma monture à
l'orée du
bois, observant le silence le plus
strict.J'avais cru discerner comme un murmure,
une voix, portée par brise
qui soufflait doucement...
M'approchant silencieusement du
château (mes années en croisades m'avaient
appris l'art de l'avance furtive)
j'y vit un chevalier en armure campé sur son
cheval.
Il semblait s'addresser à
une personne que je ne vit pourtant pas. Je m'approchai
suffisamment pour pouvoir
écouter le discours de l'homme, qui déclamait, je le
vis
par la suite, son amour à
une jeune dame, accoudée à la fenêtre de la tour,
dont la
bretèche donnait sur la
courtine du château.
En voici les propos...
Chevalier
O toi! O ma reine...
Prise dans le donjon de
l'inquiétude, entourée des fossés de
l'habitude;
Je galope sur mon cheval blanc, au
secours de votre tourment.
Rien n'arrètera mes pas,
peu m'importe d'y trouver mon trepas;
Je vous delivrerai de leur macabre
haine. J'accours, j'arrive, O tendre reine...
La belle
J'ignore quoi vous repondre,
messire Gabriel!
Prenez mon coeur vibrant,
percez-le par l'épée, et ne le ratez point
Je veux mourir enfin!
J'etouffe dans ma solitude; je
suis remplie de nostalgie et nul n'ignore mon
tourment!
Je veux mourir, messire, et, de
grâce, tuez moi!
Chevalier
Vous tuer serait pire que
tourments éternels...
Eternel désespoir pour moi,
fier chevalier
Mais si tel est votre
désir, que le voeux de périr,
Alors je le ferai, pour,
après, me tuer!
La belle
Messire Gabriel,
Vous tuer ne saurait parfaire,
l'amour que vous me portez!
N'y songez surtout point, tuez moi
sans remords;
Ainsi tel un oiseau, notre amour
errera sur les ailes du temps.
Et à jamais, partout, l'on
se souviendra
D'un chevalier servant qui aima
tant sa belle, qu'il s'en délivra.
Chevalier
O ma reine
Quel avenir si
blème
Que l'histoire pleurant a toujours
cet amour d'un chevalier ainsi devenu troubadour,
pour chanter les complaintes de sa
belle disparue.
Pour la peindre en chansons, ce,
par monts et par vaux,
Dans les cours des rois,
émus...
O ma reine, mais que me
demandes-tu!
Reine
Messire Gabriel,
Ne pleurez donc pas sur mon
âme éperdue
Mais pleurez donc plutôt sur
votre âme déchue
Vous craignez de percer cet abime
dans lequel
Je vous tient
prisonnier
Pour retrouver l'élan de
vie qui doit être vôtre
Allez! agissez vite! faites vite
votre devoir
Et tuez moi, vous n'en serez que
plus heureux!
Chevalier
O ma reine
Vous m'en demandez trop, je ne
puis accepter
Vous tuer serait m'écorcher
l'âme, en retirer sa beauté
Ah! Malheur! Désespoir!
Quel tourment!
De vous aimer autant et vous voir
me quitter
O ma reine
Mon amour sans limites, j'ai bien
peur, m'en empêche
C'est trop lui demander qu'au sein
de votre coeur, y planter mon épée!
Reine
Messire Gabriel
Que votre flamme pour moi fasse
peser sur le coeur
Cette décision ingrate,
alors n'hésitez plus
Il ne faut plus
réfléchir
If faut brutalement m'arracher
à la vie,
En perçant ma poitrine de
votre glaive fier
De là, seul, naitra votre
véritable bonheur
Tuez-moi! Je vous en
conjure!
Gabriel
O ma reine
Reine
Messire Gabriel
Votre hésitation est
indigne de vous!
Chevalier, de sang-froid, devez
savoir tuer! Et porter fièrement
L'honneur de cotre
étendard!!
Puissiez-vous mourir
ensanglanté!
Votre amour pour moi ne saurait
perdurer si vous me refusez
De reprendre ma vie! Alors vite,
tuez moi puisque telle est aussi
Votre
destinée!!!
A ce moment, je vis le preux
chevalier prendre son épée, et transpercer le
coeur
de sa bien-aimée...des
larmes de sang coulant sur son étendard...des
larmes
d'honneur et d'amour sans bornes.
Je le vis étreindre sa reine dans ses bras...son
corps encore chaud de la vie
qu'elle lui a refusée.
Dans un dernier souffle, en un
murmure si ténu que j'ai du me rapprocher pour
pouvoir en saisir les mots, le
balle chanta ces derniers souhaits:
Reine
Messire Gabriel...
De cette mémoire, que vous
chanterez,
Jamais je sais que vous ne
m'oublierez.
Mais sachez qu'heureux vous
vivrez,
car, de tourments, vous êtes
exempts mon bien-aimé.
Pleurez, oui, mais pleurez de ces
larmes que nul ne verra
Une silencieuse pluie, sur une
tombe effacée...
Car nul endroit ne pourrait
m'enterrer,
Qu'en votre coeur, pour que vous
me portiez
Eternellement...
Gabriel
O ma reine, Ma tendre et
douce!
En mon coeur
s'élèvera une litanie sans fin,
De mon amour enfin libre de son
tourment
Les larmes couleront de
l'intérieur
Du chaud bonheur du souvenir y
habitant
Je me rappellerai la beauté
de vos pas,
Le crystal de votre
sourire...
Partez en paix ma belle
amie
La poesie de votre vie
régnera sans fin sur tout royaume.
Je vous aimerai jusqu'à
l'éternité, et chantera votre nom par toutes les
contrées.
Je décidai de rebrousser
chemin, laissant ces amants consommer le dernier souffle
de leur amour dans
l'intimité la plus stricte.
Je regagnai donc ma monture et
reprit la route, fort troublé par les événements
dont
je fus témoin. Le poids de
cette nuit me pesait lourd, et la route semblait
interminable, maintenant.
J'entendis au loin un écho lancinant répeter sans fin
'Je
vous aimerai jusqu'à
l'éternité, et chantera votre nom par toutes les
contrées...', et
ces mots me hantèrent sans
répit jusqu'à ce jour...
Jamais je ne saurai l'histoire de
ces tendres coeurs qui se sont devant moi
consumés à la mort.
Mais nul doute que, lors des visites des saltimbanques,
conteurs et troubadours au chateau
de mon maitre, je saurai écouter les histoires et
chansons qu'ils auront a offrir,
en esperant qu'un bon jour, je retrouverai ce
valeureux chevalier qui sut
ignorer sa propre existence en prenant celle de sa
bien-aimée, dans un ultime
acte d'amour, sublime et cruellement
généreux...
Si jamais tu lis ces lignes, O
brave et fier chevalier, saches que la force de ton
amour vivra a jamais dans mon
coeur. Ce geste que tu as commis est la plus vive
preuve de la grandeur de ton
âme et jamais je ne pourrai prétendre connaitre
les
vraies souffrances que vos
sentiments vous ont infligé.
Où que tu soyes, quoique tu
fasses, tu m'aura marqué de ton sceau
indélibile...
Merci, ami inconnu.
Gilby Dolphy Gagman