Pour un bandung des Droits de l'Homme ( 23 Janvier 1980 )

Les pays musulmans, l'Islam et l'intégrisme des droits  de l'homme ( 22 Fevrier 1980 )

Négociation avec l'Erythrée ? (16 Juin 1980 )

La maîtrise du droit de développement ( 04 Septembre 1980 )

Le Zimbabwe et les droits de l'homme ( 1980 )

Communication dans le monde ( 2 Octobre 1980 )

Au Nigeria, un foyer démocratique ( 28 Octobre 1980 )

L'Amerique latine à Madrid ? ( 05 Décembre 1980 )


Pour un Bandung des Droits de l'Homme ( 23 Janvier 1980 )

Il y aura un quart de siècle, en avril 1955, qu'une conférence groupant 29 Etats indépendants, 23 asiatiques et 6 africains se réunissait à Bandung en Indonésie, à l'invitation de cinq chefs d'Etats dont Sukarno, Nerhu, et UNu respectivement président de l'Indonésie, de l'Inde et de la Birmanie. Ces derniers sont décédés depuis.

Il en est de même de Nasser et de Zhou Enlai. Le premier faisait à Bandung son premier grand périple, sa première grande expérience diplomatique, Zhou Enlai allait permettre à la chine à cette occasion de sortir de l'isolement et de jouer un rôle important sur la scène internationale. Rappelons que l'URSS n'avait pu faire valoir sa qualité de puissance asiatique pour participer à la Conférence de Bandung.

On a dit de cette conférence qu'elle fût un sommet de l'Histoire, la première réunion des états généraux du monde, le congrès de pays prolétaires. Nul doute que les peuples d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine étaient condamnés par l'impérialisme colonial et postcolonial à l'oubli historique. Bandung ne fût pas qu’un commencement de l'Histoire, ce fût l'acte de naissance du avant la lettre porté par les idéaux libérateurs des droits de l'homme et la volonté de démocratiser les structures et les institutions nationales et internationales dans tous les domaines économiques, politiques et culturels.

Voici trois des dix principes proclamés par la conférence:     

     * Respect des droits de l'homme fondamentaux en conformité avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies;

     * Reconnaissance de l'égalité de toutes les races et l'égalité de toutes les nations, petits et grandes;

     * a) Refus de recourir à des arrangements de la défense collectives destinés à servir les intérêts particuliers des grandes puissances quelles qu'elles soient;

       b) Refus par une puissance quelle qu'elle soit d'exercer une pression sur une autre.

Il n'est pas inutile de rappeler ce paragraphe de la déclaration de Bandung intitulé: "Droit de l'homme et l'autodétermination: La conférence afro-asiatique déclare appuyer totalement les principes fondamentaux des droits de l'homme tels qu'ils sont définis dans la Charte des Nations Unies et prendre en considération la Déclaration universelle des droits de l'homme comme un but commun vers laquelle doivent tendre tous les peuples et toutes les nations. La conférence déclare appuyer totalement le principe du droit des peuples et des nations à disposer d'eux-mêmes tel qu'il est défini dans la Charte des Nations Unies et prendre en considération les résolutions des Nations Unies sur les droits des peuples et des nations à disposer d'eux-mêmes, qui est la conditions préalable à la jouissance totale de tous les droits fondamentaux de l'homme".

Comme tous les peuples du tiers monde, le peuple algérien engagé depuis six mois auparavant dans sa lutte de libération nationale, a revu en profondeur les vibrations démocratiques de ce message qui fondant son droit à l'autodétermination sur le respect des droits de l'homme non seulement venait de balayer les fictions coloniales qui l'ont dépossédé de sa souveraineté, mais aussi le consacrait comme le véritable destinataire et titulaire du droit à l'autodétermination.

Pour l'humanité en voie de décolonisation, l'accession à l'indépendance et à la souveraineté extérieure fondée sur le droit é l'autodétermination ne devait pas éteindre ce droit, mais au contraire le prolonger et l'approfondir dans le combat  pour l'indépendance économique et l'instauration d'un nouvel ordre mondial de plus en plus juste, d'où les guerres, la faim, l'ignorance, le racisme et la peur seraient extirpés.

La Déclaration de Bandung proclamait implicitement le non-alignement du tiers monde en proclamant le principe que les peuples doivent redevenir et rester maîtres de leurs destins, de leurs richesses matérielles et culturelles et d'abord et avant tout de la paix dans le monde. Le non-alignement tel qu'il répondait aux aspirations des Africains, des Asiatiques et des Latino-Américains est une quête d'un projet total de civilisation d'où les dictatures et les guerres sont évacuées  parce que excluant dans les coeurs comme dans les consciences l'idée que les gouvernements laissent oser disposer des peuples, de leurs richesses, de leur sécurité.

Vingt-cinq ans après Bandung, la plupart des pays colonisés ont accédé à l'indépendance et ont rejoint les conférences des non-alignés, dont la dernière, qui s'est tenue l'automne dernier  à La Havane a réuni près d'une centaine de chefs d'Etats et de gouvernements africains, asiatiques, latino-américain. un pays européen, la Yougoslavie, dont le leader avait prôné‚ inlassablement le neutralisme positif et combattu la politique des blocs hégémoniques comme responsable des malheurs de l'humanité  joue un rôle important au sein des non-alignés.

Bilan négatif

Peut-on dire qu'ainsi élargi géographiquement, le tiers monde non-aligné continue à répondre aux espérances nées de la première conférence afro-asiatique? Le bilan se lit dans la violence et le terrorisme étatiques, sur les cadavres des enfants du Brésil, de Bangui, sur le visage des orphelins du Cambodge, dans les guerres civiles et les conflits étatiques qui sèment à travers les trois continents sous-développés, la mort, la destruction et le désespoir.

On a fini par admettre toutes ces guerres marginales tout en exaltant les mérites de la détente et de l'équilibre de la terreur. On a toléré qu'elles soient récupérées et manipulées par les grandes puissances comme soupapes de surete, champs d'expérimentation ainsi que comme moyen d'étendre leurs zones d'influences. La responsabilité des grandes hégémonies est écrasante dans ces phénomènes de décivilisation, illustrés par la ventes massives d'équipements de guerre au tiers monde.

Mais la responsabilité première pèse sur les régimes de dictatures de droite ou de gauche qui déferlent sur le tiers monde, désengagé par rapport aux idéaux de démocratisation, usurpateurs de l'histoire, ils risquent d'enterrer l'avenir car il n'hésitent pas dans des subterfuges idéologiques à engager leur pays déjà empêtrés dans les structures de dépendances économiques et politiques postcoloniales, dans l'engrenage des dépendances militaires qui appellent la domination étrangère avec son cortège de déstabilisations et de malheurs.

Le non-alignement surgi des droits de l'homme et du droit des peuples à disposer de leur destin, de leur richesses et de leurs projets de civilisation, n'a pas d'autre choix que le retour aux sources si l'on veut que nos enfants qui atteindront dans le tiers monde, en l'an 2000 60% de la population mondiale, soient de véritables héritiers de l'avenir et les artisans d'un monde libéré du besoin et de la peur.

Peut-on espérer alors la convocation d'un Bandung des droits de l'homme.

 Hocine Ait-Ahmed
24h, le 23/01/1980


Les pays musulmans, l'Islam et l'intégrisme des droits  de l'homme ( 22 Fevrier 1980 )

"Allah est grand ! Le Pétrole est plus grand! ". Ecrit par un musulman croyant, ce livre, paru après la Première Guerre mondiale a marqué la réflexion de nombreux militants de la décolonisation. Titre provocateur ! mais c'est une leçon de choses sur la logique coloniale et les rivalités impériales russo-britanniques notamment illustrées par la ruée vers l'or noir, elle s'attachait surtout à souligner "la faillite morale de l'Occident " (1) qui avait introduit le règne de la force brutale dans les relations internationales et qui fondait sa prospérité sur la domination et les tentatives d'asphyxie des civilisations islamiques.

Plus que les défaites à Poitier, à Vienne, les croisades succédant où précédant les guerres saintes, ce sont les premières décades du XXe siècle qui marqueront le regard de l'Islam sur l'Occident et qui scelleront l'âge d'une décadence qui se poursuit depuis six siècles.

Guillaume II se proclamant protecteur des musulmans de Chine en 1908, Mussoline jouant entre les deux guerres au tuteur de l'Islam en Afrique, Staline allant à sa manière spiritualiser l'annexion des nations musulmanes transcaucasiennes par les tsars de Russie en postulant que cette annexion a objectivement élargi la patrie du socialisme.

Ces épisodes ont marqué profondément l'opinion islamique, il n'est pas étonnant que le rejet de toute forme d'inféodation et de tutelle étrangères y ait prédominé tout au long de la décolonisation dont la religion musulmane fut ferment mobilisateur.

Le souffle de Bandung a exprimé cette volonté des peuples de sauvegarder leur indépendance politique coûte que coûte contre les rêves hégémoniques des grandes puissances.

Sept cent millions de musulmans

Qu'en est-il de cette aspiration profonde des peuples ? Quels rôle occupe l'islam dans l'échiquier international ?

Il y a en effet sept cent millions de musulmans dans le monde, un homme sur six dans un vaste ensemble qui, du Maroc à l'Indonésie, dessine un arc d'une importance géostratégique capital, et qui, de plus, recèle plus de la moitié des réserves d'or noir. Les cinq plus grands exportateurs de pétrole sont en effet musulman, l'OPEP est en majorité islamique, à l'exception du Gabon, du Venezuela, de l'Equateur et du Nigéria ( cette dernière à prédominance islamique ).

Paradoxalement, ce ne sont pas ces formidables atouts qui font croire à une force cohérente et déterminante du monde musulman, c'est l'actualité quotidienne.

Les événements du Sahara occidental, de Gasfa en Tunisie, du Moyen-Orient, de l'occupation de la Grande Mosquée, à la Mecque, d'Iran, d'Afhganistan, etc. Crises intérieures, s'entremêlant à des conflits interétatiques manipulés par les grandes puissances. La conférence d'Islamabab, qui a réuni quarante-deux états musulmans a certainement fait illusion. Chacun sait que la condamnation de l'intervention soviétique en Afhganistan ne s'inscrit pas dans le cadre d'une stratégie de non-alignement. Les gouvernements s'y sont mis d'accord pour ne pas être d'accord en réalité, car après les embrassades officielles, chacun vaguera plus ou moins subtilement au soin de mettre son pays sous orbite.

Car, que reste-t-il des idéaux de libération animés par l'Islam ? Aucun pays musulman ne vit en démocratie, aucun musulman n'est à l'abri du terrorisme ou de l'arbitraire policier ! Les fléaux de la faim, de la maladie et du déracinement culturel continuent de faire des ravages dans l'humanité islamique, qui avaient pu être juguler grâce aux richesses pétrolières avec un degré minimal de conscience de solidarité et de capacité de gestion.

L'absolutisation du pouvoir politique a transformé les potentialités en catastrophe. Le pétrole a détruit l'agriculture au profit du béton et construit des machines de guerre contre les peuples.

Le parti est plus grand

" Dieu est grand, le parti est plus grand ", serait-on tenté d'écrire aujourd'hui quand on sait que les partis uniques de droite ou de gauche ont bloqué la dialectique populaire de l'Islam dans l'intégrisme de droite et de gauche. Deux concepts fictifs dont le résultat pratique évident est l'installation du colonialisme intérieur au bénéfice de catégories féodales soutenues par des puissances hégémoniques.

L'Iran peut-il échapper à cette dialectique ? Oui ! si les masses populaire dans leurs différences culturelles s'engagent sur la voie de l'intégrisme des droits de l'homme.

C'est la seule voie ( il n'y en a pas de troisième ) qui sont conforme au "totalisme"  libérateur de l'islam, hostile à la dissolution des droits civils politiques, économiques et culturel, la seule voie susceptible de contribuer à la construction d'une alternative mondiale, aux totalitarismes à la guerre civile généralisée et à l'anéantissement nucléaire.

 Hocine Ait-Ahmed
24H, le 22/02/1980

(1) Autre livre de la même époque écrit par un autre intellectuel musulman.


Négociation avec l'Erythrée ? (16 Juin 1980 )

Y a-t-il une chance pour que les bruits de négociations entre le gouvernement éthiopien et les Fronts de libération de l'Erythrée puissent déboucher sur la fin d'une guerre qui depuis dix-huit ans sème la mort et la désolation et qui depuis dix-huit ans est entourée d'un silence et de l'inattention internationale en raison de la conjonction paradoxale des rivalités entre les deux superpuissances et entre les états de la région ?

En mars dernier, le chef d'état éthiopien, Mengisu Hail Mariam déclara devant les cadets de l'école militaire de Genet:  "Une solution militaire n'est pas l'unique option ouverte au gouvernement pour mettre fin à la guerre en Erythrée... "

C'est la première  fois que le conseil administratif militaire provisoire envisage une solution négociée.

En réalité, l'affaire érythréenne suscite une grande fébrilité diplomatique. A l'Est, des contacts officieux entre belligérants sont organisés sous le patronage de l'Union Soviétique notamment au Yémen du Sud et en Allemagne de l'Est. A l'Ouest, il s'agit de tentatives officielles de médiation de la part du gouvernement soudanais.

Un atout stratégique

Pour apprécier les chances d'un retour à la paix, il ne faut pas perdre de vue un facteur politique primordial qui conditionne toute la situation de la corne de l'Afrique et structure le sort de l'Erythrée; pour les USA d'abord, et  plus tard, pour l'URSS, une grande Ethiopie constitue sur un fol échiquier, un atout stratégique trop important pour l'amputer de l'Erythrée son unique et grande ouverture sur la mer rouge et le continent asiatique.

Il faut rappeler que ce soit les USA qui au lendemain de la Seconde Guerre mondiale empêchèrent l'Erythrée d'accéder à l'indépendance comme les autres colonies italiennes et qui sous couvert d'un statut autonome arrachèrent à l'ONU la décision du rattachement à l'Ethiopie en 1952.

L'Union Soviètique soutenait alors le droit de l'Erythrèe à l'indépendance et des centaines de patriotes firent leur entrainement militaire à La Havane. Cela n'empêcha pas le maréchal Gretchko de proposer un marché à l'empereur lors de sa visite à  Addis-Abeda en 1963-64 "débarrassez les Américains de Kagnew et nous donnerons plus d'armes que nous n'en livrons à la Somalie" .

Depuis l'arrivée au pouvoir du DERG, c'est l'URSS qui soutient l'effort de guerre massif entrepris contre les maquisards et les populations civiles de l'Erythrée.

A l'origine d'un drame qui prend les proportions d'un génocide, l'affrontement des deux grands reste la donnée la fondamentale qui permet de comprendre aujourd'hui les rumeurs de paix.

Il semble que l'URSS ne veuille pas s'enliser dans ce conflit interminable où sa position idéologique est encore plus indéfendable qu'en Afghanistan. Mais souhaiterait-elle vraiment la paix et renoncerait-elle vraiment à un atout au moment où forte de ses expériences décevantes en Somalie et en Egypte, elle décèle des signes d'indépendance chez de nombreux dirigeants militaires qui appréhendent la création inspirée du parti unique ?

Un nouveau statut d'autonomie ? Avec quelle garantie contre un nouvel Anschluss ? L'affaire érythréenne née des Nations Unies devrait y revenir pour échapper à l'engrenage de la guerre froide et du double langage qui permet l'escamotage des droits de l'homme et du droit des peuples à disposer d'eux mêmes. C'est la seule façon de réveiller l'opinion mondiale.

 Hocine Ait-Ahmed
24H, le 16/06/1980.


La maîtrise du droit de développement (04 Septembre 1980 )

L'Assemblée générale des Nations Unies, réunie en session extraordinaire, doit lancer la troisième décennie du développement 1980/1990. Ces débats porteront sur l'élaboration d'une stratégie de développement, sur la reprise du dialogue Nord-Sud et la mise au point de "Négociations globales" à l'effet de définir le nouvel ordre économique international. Que peut-on attendre de cette session ? Autrefois, les symptômes de catastrophe n'étaient perceptibles et inquiétants qu'à la veille ou le jour de celle-ci. Aujourd'hui, l'illusion n'a pas d'excuse: outre les angoisses millénaristes, prévisionnistes, futuristes, clubs, conférences gouvernementales et non gouvernementales ne cessent d'avertir contre les apocalypses, dont les crises économiques, démographiques et militaires sont porteuses.

Et puis, il y a l'expérience des déboires enregistrés par les innombrables conférences, dont les plus récentes, la CCEI (Conférence de coopération économique internationale ) de juin 1977 à Paris, de la CNUCED à Manille, en mai 1979, la Conférence de l'ONUDI, janvier 1980 à New Delhi. Plus éclairant est l'échec des deux décennies de développement précédentes: 1960-1970, 1970-1980. Qu'est-il résulté de la dernière décennie qui a pourtant lié l'aide au développement, aux dividendes susceptibles d'être dégagés par le désarmement?

Au niveau des relations Est-Ouest: une générosité titanesque qui a poussé les dépenses militaires à plus d'un milliard de dollars par jour aggravant ainsi l'oppression politique, économique ou culturelle des travailleurs dans les pays développés. Tant dis que la paupérisation et la courses aux armements conjuguent leurs effets désastreux sur les peuples du tiers monde.

En plus des famines, les guerres deviennent l'apanage des pays sous-développés, conséquences de l'équilibre de la terreur et charriant sous nos yeux quotidiennement à coups d'invasions, de massacres, en Amérique latine, en Afrique, en Asie, les déséquilibres de la terreur dans le tiers monde, les mécanismes de militarisation planétaire ne font que renforcer les structures d'exploitation économique et de discrimination culturelle.

Quelle stratégie ?

Dès lors, quelle stratégie de développement peut faire fi de cette pyramide de domination qui est devenue le nouvel ordre mondial issu de la deuxième guerre ?

Quel étrange aveuglement paralyse les gouvernements du tiers monde dès qu'il ne s'agit plus de prendre ou de garder le pouvoir et que l'enjeu est la survie ou le bonheur de leur peuple ! Comment ne pas voir que le nouvel ordre économique mondial qu'il préconise, si légitime dans ses revendications est voué à l'échec par les régimes de dictature qui dépossèdent leurs citoyens de leurs droits à l'autodétermination et qui ne fait que conforter ce nouvel ordre mondial fabriqué par les superpuissances.

La seule espérance réside dans la mise en perspective du développement, dans la vision réunificatrice des droits de l'homme, de tous les droits de l'homme, civils, politiques, économiques et culturels. Où qu'ils soient, les femmes et les hommes doivent se battre pacifiquement pour redevenir propriétaires de leur droit au développement. Tant il est évident que la lutte pour la démocratisation de l'ordre international et de l'ordre interne doit aller indiscutablement de pair. On disait autrefois que la guerre était la belote des rois, faut-il que l'apocalypse sorte d'un poker de présidents pour que les hommes et les femmes se mobilisent pour imposer leur participation aux institutions nationales et internationales.

Pour soutenir cette alternative démocratique à un nouvel ordre devenu caduc par la perversion de la décolonisation, la création d'un organisme non gouvernemental permanent s'impose: un conseil des droits de l'homme qui doit proclamer la décennie 1980-1990, décennie des droits de l'homme.

C'est dans cette dynamique qu'une véritable stratégie de développement peut s'élaborer et d'abord par l'application et le respect des innombrables conventions et résolutions votées par les Nations Unies.

Hocine Ait-Ahmed
24H,le 04/09/1980


Le Zimbabwe et les droits de l'homme ( 1980 )

La Rhodésie, l'état blanc d'Afrique, entrée en rébellion contre la communauté internationale depuis sa sécession du 19 novembre 1965, n'a pas survécu au verdict des urnes. Débaptisée au nom du businessman et conquistador Cecil Rhodes, elle est devenue le Zimbabwe, ce qui veut dire en langue de shona "grand édifice de pierre", une référence aux ruines colossales, vestiges de l'une des plus brillantes civilisation africaines.

Significatif aussi cette double recherche d'identité et de solidarité, le fait que l'indépendance officielle du Zimbabwe sera proclamé‚ le 18 avril prochain, date anniversaire - 25e - de l'ouverture de la conférence de Bandung.

L'émergence de ce cinquantième état africain revêt une portée considérable pour l'humanité africaine en lutte pour ces droits civils politiques, économiques et culturels.

Le raz-de-marée patriotique du 27, 28 et 29 février dernier est d'abord une victoire des opprimés auxquels jusque là les oppresseurs n'avaient pas laissé d'autre choix pour défendre leur dignité et promouvoir leur avenir que de prendre les armes.

Il s'agit d'abord du triomphe du principe de l'autodétermination au sens de l'accession d'un nouvelle état à la souveraineté intérieure et internationale. Ainsi s'est effondrée la logique ultra du bunker, qui avait enfermé les Blancs dans un univers clos manichéiste et répressif.

"Tant que je serai vivant, disait Ian Smith, il n'y aura pas de gouvernement de la majorité,...ni même tant que mon fils serait vivant. Les droits de l'homme ne sont pas faits pour les Noirs qui sont ou trop contents d'être gouvernés par les blancs, ou trop bêtes pour se gouverner eux-même".

En dépit d'un climat de provocation policières et de détentions arbitraires dénoncées par Amnesty International, les deux mouvements de libération, le ZANU de R.Mugabe et le ZAPU de J.N'komo ont accepté l'épreuve du suffrage universel et gagné le pari de confiance de leurs peuples. Ils totalisent 86% des votes des Africains, soit sur 80 sièges réservés à ces derniers 57 sont remportés par Mugab‚ et 20 par N'komo. Le débâcle de l'évêque A.Muzorewa, le dernier premier ministre par la grâce de Prétoria, qui doit se contenter de 3 sièges, 8% des suffrages ( y compris les voix des 25.000 forces auxiliaires) en dépit des sommes fabuleuses dépensées pour sa campagne à l'américaine constitue une leçon à l'échelle de l'Afrique austral: les ventriloques de la "majorité silencieuse" en ont eu pour leur frais, ils placent en mauvaise posture leur homologues actuels ou potentiels de Namibie et d'Afrique du Sud.

La "Valise ou le cercueil"

La "valise ou le cercueil" cette alternative obsessionnelle, les blancs du Zimbabwe n'auront pas à s'y enfermer. Plus que les mesures et engagements pris par Mugabe, le premier ministre, c'est l'attitude et le comportement des citoyens noirs qui garantiront la paix, l'unité‚ et la concorde nationale. Il n'y a pas eu un seul acte de vengeance.

La grande peur des blancs ne peut plus justifier par la peur des Noirs, les droits de l'homme sont pour tous les hommes. Ce message qui répercute l'appel de Bandung ne manquera pas de catalyser les espérances dans les ghettos noirs d'Afrique du Sud et le maquis de Namibie. Si les "Be-hards", les ultras, estiment avoir perdu avec la Rhodésie la dernière frontière sure, par contre les courants libéraux en travail en Afrique australe pourraient grâce à l'exemple zimbabwéen envisager une notion plus humaine, plus durable donc plus intelligente de la sécurité.

En définitive, le droit des peuples de Namibie et d'Afrique sous-apartheid à disposer d'eux-mêmes dépendra de la lutte de ces peuples eux-mêmes, comme l'ont démontré les Zimbabwéens, ainsi que d'un soutien international de plus en plus direct.

Après plus de sept ans d'une guerre meurtrière et ruineuse, les peuples du Zimbabwe ont besoin de paix pour maîtriser leur droits à l'autodétermination en tant que processus de démocratisation politique, économique et culturelle. Ils ont choisie leurs dirigeants en toute souveraineté et c'est en toute souveraineté, c'est-à-dire par l'exercice des libertés publiques syndicales, linguistiques, associatives qu'ils doivent élaborer les orientations et les institutions du nouvel état.

Certes, celui-ci doit parer au plus pressé: nourrir, abriter et soigner une population broyée par l'exode rural, le chômage et la sous-alimentation, tout en gardant d'en faire des "assistés livrés à l'assistance publique nationale et internationale".

La misère

Mais pour pragmatique que puissent être les tâches de développements économiques, elles ne peuvent éluder les problèmes posés par la misère de la majorité‚ des paysans: sans prendre l'allure de règlements de comptes racistes ou démagogiques, la transformation de l'ordre rural s'inscrit dans les perspectives de démocratisations économiques.

La révolution se prouve en marchant et le Zimbabwe dispose d'atout considérable pour faire tourner son économie au lieu de recourir par démagogie au nivellement par le bas ; une agriculture et de l’énergie hydroélectrique notamment presque autosuffisantes, des richesses minières, diamants, étain, chrome, or, etc, des industries de transformation capables de satisfaire la demande intérieure en bien de consommation, des petits et moyens cadres ruraux forgés par les luttes et aptes aux tâches de développement local et enfin l'expérience des échecs économiques des pays frères "mal partis". Le défi qui confronte un leadership porté au pouvoir par l'adhésion véritable des citoyens, à la faveur de choix démocratiques réels est de promouvoir les droits de l'homme économiques et sociaux, tout en consolidant les fondements de la démocratie politique.

C'est peut-être une chance pour le Zimbabwe et l'Afrique que Mugabe soit élue à 67% et non à 99% des suffrages et qu'il appartient à l'ethnie shona, politiquement la plus consciente et numériquement la plus nombreuse, ce qui va lui permettre de résoudre sans hargne et son complexe le problème de l'intégration national que les gouvernements africains préfèrent en général nier dans une nouvelle dialectique de bunker du colonialisme intérieur et dans un engrenage répressif qui conduit au génocide et à l'ethnocide.

 Hocine Ait-Ahmed
1980


Communication dans le monde ( 2 Octobre 1980 )

Le tiers monde n'est pas le seul concerné.

La 21ème session de la Conférence générale de l'UNESCO qui se déroule du 29 septembre au 28 octobre à Belgrade sera principalement consacrée aux problèmes de communication dans le monde. Tout comme à l'occasion des multiples rencontres portant sur le nouvel ordre économique international, les pays du tiers monde vont dénoncer les structures et les techniques d'inégalité dans l'échanges en matière de communication dont ils sont victimes et dont bénéficient les pays industrialisés de l'Est et de l'Ouest. Des revendications destinées à corriger les déséquilibres qui permettraient de jeter les bases du nouvel ordre international de l'information.

Il ne serait pas étonnant que l'option désabusée par une stratégie de l'échec perpétuel réagisse avec scepticisme. Encore une Conférence? que-sais-je de ce qui se trame en réalité, et de toute façon que puis-je? Cette réponse s'expliquerait si le nouvel ordre international de l'information se réduisait aux revendications des gouvernements du tiers monde. Car, premièrement, le message serait particulier et partial. Ce serait oublier les aspirations des hommes et des peuples du monde <<socialiste>> pour lesquels le socialisme signifie liberté d'information et non propagande.

Les événements de Pologne soulignent l'écart des réalités vécus quotidiennement par les travailleurs et les réalités claironnées par le secret des huit-clos et la censure. Ce serait également ignorer qu'en Occident le pluralisme libéral ne met pas l'information à l'abri de la raison d'état et les grands monopoles financiers. Témoins, les matraquages publicitaires, les campagnes orchestrées par les fournisseurs d'armements. Réduit au rôle de consommateur, le citoyen n'a même pas le temps de s'apercevoir que sa passivité, c'est-à-dire le refus de participation et d'une solidarité actives à la vie nationale et internationale le condamne à une existence de solitude et désespoir.

Au demeurant, entre Est et l'Ouest l'instauration d'un nouvel ordre de l'information en Europe fait toujours problème. Il n'est pas évident que la prochaine conférence de Madrid fasse avancer l'application des accords d'Helsinki.

Deuxièmement, le message serait erroné puisqu'on laisse entendre que le nouvel ordre international de l'information restaurant la liberté d'information dans le tiers monde et se fera au service des citoyens et non pas des pouvoirs en place. Cette vérité implicite pourrait se fonder sur la valeur et les intentions de quelques personnalités du tiers monde dont le directeur actuel de l'Unesco. Et pourquoi pas aussi d'éventuelles conversions en chaîne à la démocratie des dirigeants du tiers monde ?

Ce qui inquiète

Mais la généralisation des structures oppressives et des pratiques répressives en Afrique, en Asie et en Amérique latine renforcent plutôt la vérité contraire. Il en serait alors du nouvel ordre international de l'information comme du nouvel ordre économique international. Du reste, à quoi sert de les quémander? Quand donc les puissants ont fait cadeau de leur puissance? Surtout quand ils reçoivent chaque jour en cadeau la désunion, l'affaiblissement, voire la destruction des pays du tiers monde par eux-mêmes. Le Courrier de l'Unesco nous apprend que les dépenses d'armements se chiffrent à un milliard de dollars à la minute alors qu'un milliard et demi d'enfants sont la proie de la faim, de l'insalubrité et l'ignorance.

Or, faut-il rappeler que 75% du commerce d'armements concerne le tiers monde, qui en se ruinant permet aux pays nantis d'équilibrer leur balance de paiements et d'assurer leur croissances. Ils renforcent ainsi la logique inégalitaire qui a présidé à l'intégration du système international autour des deux blocs hégémoniques. La dynamique du non-alignement faisant place à la logique de prolétariat propre aux hégémonies, les états du tiers monde pourraient bien accéder aux satellites comme ils ont accédé aux blindés et arroser la planète des portraits de leurs vedettes. Mais est-ce là le nouvel ordre international de l'information dont il s'agit?

Ce qui rassure

Ce qui rassure, c'est qu'il y a une prise de conscience des enjeux décisifs liés à la liberté de communication et au droit de l'information. Il ne fait plus de doute que la stratégie de l'échec perpétuel est due à l'absence permanente et conséquente de l'opinion mondiale, des majorités concernées dans la solution des grandes crises internationales. De plus, l'effort prodigieux des progrès technologiques confère à l'information une puissance effrayante. L'informatique au service de la désinformation et de la militarisation du monde, tel est le spectre qui commence à hanter et à responsabiliser les esprits.

Cette prise de conscience fera-t-elle franchir un seuil historique à la conférence de Belgrade? Il est de bon augure que celle-ci ait lieu dans le cadre de l'Unesco qui vient d'appeler à une véritable solution des problèmes des valeurs, refusant de scier le problème de la paix civile du nouvel ordre économique mondial en problème de respect et de la promotion des droits de l'homme.

Encore faut il que l'UNESCO se donne et donne à l'opinion  mondiale les moyens écrits, audiovisuels d'exercer d'une façon permanente et à l’échelle mondiale son rôle d'humanisation et de démocratisation.

Hocine Ait-Ahmed
24H,le 02/10/1980


Au Nigeria, un foyer démocratique ( 28 Octobre 1980 )

Interrogé sur les problèmes urgents d'Afrique à l'occasion du premier anniversaire de son accession au pouvoir en octobre 1979, le président Shagari déclare: "L'Afrique est confrontée à d'innombrables problèmes aussi urgents les uns que les autres: la misère et l'ignorance massive, le fléau du racisme, les bases militaires étrangères, par exemple. Mais je déplore en particulier cette inclination à la déshumanisation et à nous infliger à nous mêmes des violences insensées. Je déplore les conflits internes et territoriaux. Nous n'y gagnons rien. Nous ne faisons que devenir de simples pions dans les jeux des grandes puissances. Le pouvoir a tendance à se concentrer entre les mains de quelques-uns. C'est là un fait regrettable, (...)".

Expérience inhabituelle

C'est un langage inhabituelle dans le monde encombré de vociférations et de slogans,mais si remarquable de bon sens et de sagesse qu'il soit, et parce que précisément ne heurtant ni l'un ni l'autre, ce type de discours n'a guère les faveurs de la propagande. Pourtant, il est clair que la grande expérience démocratique se déroule en ce moment au Nigeria sur la pointe des pieds comme pour ne pas signaler à la stupéfiante spirale de la double frénésie des extrémistes qui s'est emparée de l'Afrique.

Pour l'opinion internationale‚ mue par les images d'horreur et de détresse, la succession de régime militaire au Nigeria évoque l'effroyable guerre civile ( Biafra ) attisée par les interventions étrangères.

Pour les Nigérians, le régime des hommes forts qui prennent pour le plus court chemin des désirs aux réalités, qui confondent simplification et maîtrise des problèmes, centralisation et unité, développement sournois de l'arbitraire, de la concussion et de la clochardisation des hommes.

En 1975, le général Murtala renverse le général Gowon qui, pourtant, a désigné avec une vigilance méticuleuse ses fidèles amis pour assurer aux postes stratégiques la "stabilité du pays". Averti sans doute par son succès facile de la fragilité du pouvoir fondé sur la force des armes et sur la propagande, le général Murtala reconnaît que l'adhésion populaire, les élections libres des institutions démocratiques constituent la seule garantie de stabilité.

Il décide d'ouvrir la voie à un gouvernement civil, en dépit de son assassinat, ses promesses ont pu être tenue et un long processus démocratique s'est ouvert, marqué notamment par l'élection d'une Constituante, l'adoption d'une constitution démocratique, l'élection d'une Chambre des représentants, d'un Sénat et enfin du président exécutif de la République fédéral du Nigeria en octobre 1979.

Pour être légalisé, tout parti devait notamment faire preuve que son assise dépasse le cadre restreint d'un état ou d'une seule région cinq mouvements politiques concurrents avec leur programme, leur presse et leurs candidats respectifs ont donc sollicité les suffrages populaires, dans le calme et la dignité. C'est dire d'abord à propos de se foyer d'espérance que l'éveil de la conscience démocratique n'a fait que reculer la peur du désordre et les fantasmes classiques des mentalités fascistes.

Une justice indépendante

Et cela ne nous permet pas d'esquisser un bilan. Les problémes sont énormes et la démocratie est dur et long apprentissage. Elle a besoin de temps de s'accomplir dans les institutions politiques, dans les mœurs et dans les réalités quotidiennes de la vie politique, sociale et culturelle. Le progrés se mesure à l'élévation de la dignité humaine dans tous les domaines.

Mais n'est-il pas significatif que d'ores et déjà la justice ait dans des cas notoires prouvé son indépendance face au gouvernement voire au chef d'état lui-même, ce qui importe, c'est que gouvernants et opposants développent les dialogues au sein et en dehors des institutions pour une approche sereine et non démagogique des problèmes. C'est ainsi que sous l'initiative du président Shagari se multiplient des consultations pour amender la Constitution et créer d'autres débats à la demande des citoyens.

Avec sa population considérable, près de cent millions d'habitants, ses deux cent cinquante groupes ethniques différents, la République fédérale du Nigeria est plus qu'un microcosme de l'Afrique. Elle en résume les problèmes et les aspirations.

Puise-t-elle inspirer d'autres démarches démocratiques et d'autres foyers d'espoir.

 Hocine Ait-Ahmed
24H, le 28/10/1980


L'Amerique latine à Madrid ?

A moins de deux mois de l'entrée en fonction du nouveau président des Etats-Unis, l'administration Carter a livré son dernier baroud d'honneur en faveur des droits de l'homme au sein de l'OEA ( Organisation des Etats américains ). L'Argentine vient en fait de réussir à éviter une condamnation express de la part de cette organisation, soutenue par le Chili, l'Uruguay, Haïti, la Bolivie et le Guatemala. Par la force d'inertie de la majorité des gouvernements latino-américains, elle a ainsi retourné la situation créée par le rapport spécial particulièrement accablant élaboré par la Commission interaméricaine des droits de l'homme.

L'angoisse est profonde en Amérique latine face au cynisme des dictateurs qui n'ont que de la dynamite et le mot sécurité à la bouche pour justifier les cercles vicieux de la torture, de la répression officielle, des assassinats officieux et des putschs, pendant ce temps les cercles vicieux de la paupérisation s'élargissent au rythme de la poussée démographique, de l'inflation et de la militarisation au bénéfice des multinationales.

Le sabordage en août dernier de la LAFTA ( Latin Américain Free Trade Association ) fondée en 1960 pour établir un Marché commun sur le modéle européen, en dit suffisamment sur les ravages causés par la balkanisation et la militarisation du continent. Au lieu d'intégrer leurs économies et de réduire leurs budgets militaires, les onze pays qui s'étendent de l'Argentine au sud du Mexique au nord rivalisent de folies nationalistes en armements. Même Pinochet et Videla leaders de la sainte alliance sont à couteaux tirés à propos du droit de Beagle.

Le fantôme

L'unité de l'Amérique latine est de ce fait enterrée et avec elle les idéaux de libération nourris par plus d'un siècle et demi de luttes populaire. Bolivare n'est plus qu'un fantôme qui hante les consciences. C'est Maurras l'inspirateur des thèmes idéologiques qui orchestrent le bruit des bottes de l'intégrisme occidental.

Les peuples et les individus d'Amérique latine se trouvent dans les champs, à l'usine, à l'école, dans une situation de non-pouvoir total sur ce qui fait leur vie et leur destin. L'arrivée au pouvoir de Reagan va accélérer l'isolement des quelques pays qui comme le Nicaragua et l'Equateur, veulent poursuivre le combat pour le respect des droits de l'homme.

Le nouveau maître de la maison blanche n'a t-il pas déclaré en effet qu'une question aussi douteuse que les droits de l'homme ne saurait faire obstacle aux relations des Etats-Unis avec les pays amis; il faut le préciser, d'ailleurs, le moralisme de Carter s'est nettement rapproché dans l'exercice du pouvoir, de la Real Politik pratiquée par le tandem Nixon-Kissinger. Son mérite est quand même d'avoir  sauvé des vies humaines, son tort est de s'être inquiété des effets et non des structures de la répression.

La stratégie d'une hégémonie militaire, économique et politique est-elle compatible avec le droit à l'autodétermination des peuples et des individus en Amérique latine? Quoi qu'il en soit, il y a  une convergence brutale entre le concept musclé de sécurité économique, idéologique et militaire des Etats-Unis qui fonde la doctrine de l'équipe Reagan en matière internationale et le concept de sécurité intérieure et extérieure prôné par les caudillos latino-américains, la définition du concept de sécurité nationale dans la constitution uruguayenne soumise récemment au référendum est un chef-d’œuvre du genre totalitaire: "La manière dont le patrimoine national dans toutes ses formes et le processus de développement ayant en vue les objectifs nationaux se trouvent protégés des interférences et des agressions internes ou externes". Que deviendront dans cette tourmente les droits des peuples et des individus latino-américains à la sécurité physique, économique, politique et culturelle ?

C'est la question fondamentale que devra se poser la Conférence de Madrid. Celle-ci s'est bien préoccupée de l'invasion de l'Afghanistan au nom de la solidarité humaine et de l'indivisibilité des droits de l'homme. L'Union Soviétique manquera-t-elle l'occasion (p our de blé argentin, comme elle l'a fait devant la commission des droits de l'homme) de dénoncer la spoliation et la dépossession des peuples latino-américains de leur droit à l'autodétermination?

Aujourd'hui, les Nations Unies ne peuvent plus éluder le problème d'une stratégie mondialiste effective pour la protection et la promotion des droits de l'homme.

 Hocine Ait-Ahmed
24H,le 05/12/1980