DECLARATION COMMUNE
L'Algérie
continue de vivre une succession d'impasses dont la responsabilité incombe
entièrement au Pouvoir. La décennie de malheurs et d'insécurité vécue par le
pays a provoqué plus de cent mille morts, des milliers de disparus, un million
de personnes déplacées avec son lot d'atteintes massives aux droits de l'Homme.
Jamais
les conditions socioéconomiques des Algériens ne se sont détériorées aussi
gravement et de manière aussi accélérée que durant les trois années écoulées,
période au cours de laquelle, paradoxalement, le pays a connu une amélioration
exceptionnellement favorable de ses ressources financières. L'immense majorité
de nos concitoyens vivent aujourd'hui dans la précarité et la misère,
l'exclusion, l'insécurité et l'incertitude du lendemain. L'économie nationale a
été bradée, les entreprises publiques sacrifiées, la classe moyenne laminée, et
le chômage ne cesse d'enfler et ce, dans l'indifférence totale des autorités.
L'illégitimité des gouvernants,leur incompétence, leur mépris du citoyen, l'arbitraire institutionnalisé,
l'impunité et la corruption généralisée sont à l'origine de cette catastrophe
sans précédent. Des gouvernants qui, en l'absence d'institutions démocratiques
véritables pouvant constituer un contre-pouvoir réel, se comportent en potentats.
Totalement indifférents aux souffrances de leur peuple, leur seule
préoccupation est de se maintenir au Pouvoir coûte que coûte même au prix de la
destruction du pays, la dislocation de la cohésion sociale et de l'aliénation
de la souveraineté nationale. C'est ce que la population, épuisée par plus de
dix années de sacrifices, de tueries et de privations, a fini par ne plus
tolérer. Partout dans le pays, de l'est à l'ouest et du nord au sud, les
Algériens se soulèvent pour manifester leur colère et dénoncer l'ordre imposé. En
Kabylie, et au-delà de la revendication identitaire, la révolte, qui, depuis un
an, s'est traduite par près de cent morts et des milliers de blessés et de
handicapés, est d'abord et avant tout la réaction la plus fermement exprimée du
rejet d'un régime qui a érigé l'injustice et l'abus de pouvoir en mode de
gouvernement. Elle est la conséquence directe de l'incurie d'un Pouvoir qui, au
lieu de prendre les mesures qui s'imposaient en toute urgence, a nié l'évidence
avant de répondre par la répression brutale, les manuvres sordides de division,
le mutisme et l'immobilisme criminel. Il a délibérément joué la carte du
pourrissement en croyant que la lassitude de la population finirait par la
démobiliser et ramener le calme dans la région. Incapables
de tirer le moindre enseignement de leurs échecs, les tenants du Pouvoir
tentent maintenant d'isoler la Kabylie en lui prêtant des intentions
séparatistes. Au prétexte de rétablir l'ordre public dans la région, ils ont
opté pour la provocation et les arrestations massives, ce qui, dans le climat
d'extrême tension qui prévaut, n'aura pour résultat que d'exacerber la crise
qui peut prendre une tournure autrement plus dramatique. Ainsi risquent-ils
d'attenter au principe sacré de l'unité nationale que l'occupation et la guerre
coloniale n'avaient pas réussi à ébranler malgré tous les moyens déployés. Après
avoir verrouillé les champs politique et médiatique et foulé aux pieds les lois
qu'ils ont eux-mêmes édictées en empêchant des partis remplissant les
conditions légales de participer à la vie politique, les tenants du Pouvoir
persistent à vouloir se donner l'apparence d'un régime démocratique reposant
sur un système électif. A cet effet, la date du 30 mai prochain a été fixée
pour une nouvelle parodie électorale. Les « élus du peuple » seront désignés
selon les pratiques du passé et avec la même insolence. Comme
lors des farces électorales précédentes, les électeurs seront convoqués pour
faire dans la figuration puisque les résultats sont fixés d'avance et les
quotas déjà attribués. Tous
ces calculs sont aujourd'hui faussés par la désaffection qui s'annonce très
large dans tout le pays et par la détermination de la population de Kabylie à
empêcher la tenue de ces élections dans la région. Pour
l'équipe au Pouvoir, la désignation d'une nouvelle chambre des députés
constitue un enjeu vital. Elle est prête à tout pour y parvenir, depuis
l'utilisation de la répression et du chantage, jusqu'aux reniements les plus
éhontés. Tout en affichant son intention de s'en tenir aux délais fixés malgré
la dissidence électorale dans de nombreuses régions du pays, il n'est pas exclu
qu'elle finisse par prendre la mesure des dangers qui l'attendent et qu'elle
décide, en dernier ressort, de reporter la date du scrutin envisagé. Si tel
devait être le cas, ce report ne constituerait qu'une autre fuite en avant et
ne ferait qu'éluder et aggraver les problèmes de fond qui se posent au pays.
Aucune perspective de règlement de la crise qui étouffe notre peuple ne peut
être envisagée tant que le pays ne sera pas doté d'institutions tirant leur
légitimité et leur autorité de la volonté populaire librement et souverainement
exprimée. Seuls
des interlocuteurs politiques crédibles et représentatifs pourraient négocier
une sortie de crise à même de permettre au pays de retrouver la paix et la
stabilité, deux préalables indispensables à toute relance économique durable. Devant les graves dangers qui menacent le pays et
face au nouveau coup de force électoral qui se prépare, les signataires de la
présente déclaration appellent les Algériennes et les Algériens qui hésitent
encore à sortir de leur expectative à réagir par des actions pacifiques afin de
rejeter la prochaine mascarade électorale et d'exiger un changement radical de
régime en vue de jeter les bases d'une démocratie garantissant l'Etat de droit,
la citoyenneté, les libertés individuelles et collectives, les droits de la
personne humaine, la justice sociale et la moralisation de la vie publique. Alger, le 16 avril
2002
M. Aït Ahmed Hocine
M. Ali-Yahia Abdenour
M. Ben Yelles Rachid
M. Taleb El Ibrahimi Ahmed