Il faut sauver la Ligue Algérienne des droits
de l'Homme gravement menacée par l'arrestation de Mr Ali Yahia .
Un maghreb des droits de l’homme
Pour comprendre les réactions violentes du
pouvoir algérien face à une jeunesse qui veut s'exprimer et s'organiser
légalement mais en dehors de lui, il ne faut pas perdre de vue un phénomène
historique incontestable. La longue et dure épopée algérienne de libération n'a
été possible que par la capacité d’auto-mobilisation et d'auto-organisation des
Algériennes et des Algériens, nourrie d'esprit d'initiative et de
résponsabilité en profondeur, la révolution a pu supporter des pertes
incessantes de ses meilleurs cadres, pallier l'incompétence et autres qualités
de ses dirigeants.
Peuple et Nomenklatura
Et après l'indépendance? Préfigurant la
nomenklatura d'aujourd'hui, les alliances de hasard, donc d'instinct, portées
au pouvoir se sont acharnées à annuler ce phénomène historique. Le principe
démocratique est étouffé dans l’œuf, compensé par les mises en scène des
"chartes nationales" et par des fuites en avant dans les
gesticulations et les projets mégalomaniaques.
L'état discourt au nom du peuple pour mieux
se substituer à lui. "L'organisation" au sens de services publics
n'est plus au service des citoyennes et des citoyens. Bien au contraire, c'est
la société qui est au service de l'organisation; l'autodétermination est
annulée, sens dessus dessous et ce peut être la police, l'armée ou le parti, ou
bien les combinaisons subtiles des trois. Qu'importe si aucune de ces
institutions n'est à sa place et vise à prendre toute la place, c'est bien cela
la déstabilisation, on préfère l'appeler Révolution pour s'en proclamer les
gardiens, les seuls gardiens.
Garder
quoi? Ses privilèges politiques, sociaux, économiques et culturels. Pour ce
faire et faute de vouloir changer de système politique, la nomenklatura s'est
attachée à changer le peuple Algérien. Comment lui faire abdiquer son droit à
l'autodétermination, c'est à dire son droit d'avoir des droits inaliénables et
sacrés, donc opposables aux gouvernements? Comment, sinon par:
1. Le monopole permanent de
l'organisation. L'exercice multiforme et continuel du contrôle idéologique et
politique n'a qu'un seul but : étouffer le sens des responsabilités et
déraciner l'instinct de résistance;
2. Le monopole de l'expression et le
cloisonnement de l'information, le tarissement du débat d'idées; le refus de
toute opposition et de vie associative, la censure, les techniques de
désinformation et de manipulation de l'opinion ont pour but de conditionner la
jeunesse qui forme l'écrasante majorité de la population à la passivité et à la
soumission .
Solidarité
tous Azimuts
3. Le monopole de l'écriture de l'histoire.
Là aussi, les tenants du pouvoir cherchent à couper la jeunesse des traditions
de lutte qui symbolisent l'élan, l'inspiration, la volonté de sacrifice, le
mépris de la prison et l'espoir de vivre libre dans un état de droit. On
s'approprie l'histoire, on annexe les martyrs et on persécute leurs enfants qui
à leur exemple rejettent la tutelle et revendiquent "les libertés
démocratiques" inscrites dans la proclamation du 1er novembre 1954.
Dès lors, la répression qui frappe les
promoteurs de la Ligue des droits de l'homme et de l'Association des enfants de
martyrs revêt toute sa signification. Le régime et ses pénuries alimentaires
destinées à fixer les pensées et les énergies des administrés n'ont pas réussi
à changer tout le peuple algérien. Il perd son sang-froid, foule aux pieds ses
propres lois et saisi ses propres journaux (200 000 exemplaires d'Algérie
Actualités, dont les dossiers historiques sont pourtant dirigés).
Tout le Maghreb démocratique doit se
mobiliser pour sauver la jeune Ligue algérienne des droits de l'homme. Il y va
de la construction du Maghreb des droits de l'homme. Pétitions, meetings,
toutes les formes de solidarité doivent être organisées sous l'égide
maghrébine.
Mr.Hocine Ait-Ahmed
Jeune Afrique 7 août 1985