Proclamation pour l’instauration de la démocratie
en Algérie
- Considérant que la Révolution Algérienne
a été dans ses fondements implicites et ses buts déclarés, prédéterminée par la
nature anti-démocratique du pouvoir colonial qu'elle allait détruire et que de
ce fait elle se présentait comme une grande espérance démocratique.
- Considérant que les idéaux fondateurs de
la Révolution Algérienne ont été forgés dans les combats successifs menés
depuis plusieurs décennies contre toutes les formes d'exploitation économique,
de domination politique, de discrimination linguistique et de tutelle juridique
qui ont caractérisé le colonialisme;
- Considérant que le pluralisme politique,
les libertés d'information, d'expression et d'association arrachés à l'état
colonial malgré la terreur policière et la répression économique, ont été la
meilleure école de formation civique et politique pour les Algériennes et les
Algériens;
- Considérant que la conscience
démocratique du peuple Algérien s'est formée dans la dénonciation permanente
des truquages électoraux, du béni oui-ouisme des notables et du double collège
des super-citoyens au-dessus des lois et le collège des sujets sans droits;
- Considérant que l'idéal indépendantiste
s'était longtemps et principalement cristallisé aussi bien au pays qu'au sein
de l'émigration autour d'un parti dont la dénomination est symbolique : le
Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques;
- Rappelant que la devise de ce mouvement,
maintes fois plébiscité par le peuple était:
"
contre tout statut: la parole au peuple", "contre toute charte
octroyée: élection d'une Assemblée Algérienne Constituante"
Les
signataires constatent:
- 23 ans après le scrutin
d'auto-détermination consacrant la souveraineté‚ de l'état Algérien, les
Algériennes et les Algériens n'ont pas accédé à la souveraineté‚ que confère le
titre de citoyens; ils sont privés des droits élémentaires et des libertés
fondamentales reconnues par la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
Ils
ne jouissent notamment ni au droit de sûreté, les policiers font régner
l'arbitraire et donnent des ordres à la justice,- ni les libertés de la presse,
d'association et de participation sans lesquelles il ne peut y avoir de gestion
démocratique.
Dans
tous les domaines de la vie quotidienne, tant au niveau local qu'au plan
régional et national, ils se heurtent aux pratiques coloniales de la tutelle,
du mépris et de l'arbitraire, le peuple n'est jamais mûr pour la démocratie; il
lui faut de temps en temps de la carotte mais toujours du bâton. Le traitement
inégal entre les clans de super-citoyens et l'immense majorité de sujets, entre
hommes et femmes, entre les différentes régions du pays illustrent en
particulier la politique de division , de régression, et de discrimination
réintroduite par les féodalités civiles et militaires qui se partagent le
pouvoir, contre la jeunesse en général et contre les jeunes émigrés en particulier.
- Le peuple Algérien est dépossédé de sa
souveraineté, les libertés démocratiques qui en sont les supports crédibles
ayant été confisquées. Imposé par la force ainsi par les truquages électoraux
et les mises en scène totalitaires, le système politique veut se prévaloir de
la légitimité démocratique. Sa prétention à parler au nom de la communauté
nationale pour mieux se substituer à elle et mieux s'opposer à l'exercice de
son droit à disposer d'elle même est une pratique éhontée des régimes fascistes.
Elle est puérile. Au surplus, si tout le peuple est au gouvernement où sont les
gouvernés ? La vérité est flagrante. Les gouvernements se sont appropriés le
monopole de la vie politique, les administrés en sont exclus comme ils sont
exclus du pouvoir de décision, de gestion et de contrôle concernant les options
économiques, culturelles et internationales. Ils sont condamnés à subir les
catastrophes économiques, la ruine de l'agriculture, les gaspillages
financiers, la dilapidation des richesses nationales, l'abandon de
l'émigration, le tout agrément‚ par les manipulations épisodiques du parti
unique, le matraquage quotidien de la presse et des médias officiels.
- 23 ans après la libération, l'Algérie a
perdu la maîtrise de son destin, tout se passe comme si elle, son peuple, sa
mémoire historique, les richesses de son sol et son sous-sol et jusqu'au
souvenir de ses martyrs étaient la propriété exclusive de la caste du pouvoir
soutenant et soutenue par des clans d'affairistes.
Le
pouvoir absolu corrompt absolument. Il s'acharne à choisir aux Algériennes et
aux Algériens, leurs dirigeants, leurs lectures, leurs journaux étrangers, les
idées qu'ils doivent avoir, les intentions qu'ils ne doivent pas avoir.
L'Algérie
est aujourd'hui un pays où la création d'une association pour honorer ses
martyrs ou d'une Ligue des Droits de l'Homme constituent des atteintes à la
sécurité de l'état. Les gouvernements ne supportent pas le civisme des
citoyennes et des citoyens. Il redoutent leur vitalité politique. Ils préfèrent
leur corruption financière, puisqu'ils libèrent des prisons des dizaines de
dignitaires coupables de détournements et de malversations, en échange de leur
soumission et de leurs services.
- 23 ans après la victoire du peuple
algérien sur le colonialisme, le pouvoir militaro-policier d'Alger continue à
refuser toute ouverture vers des aspirations à la liberté politique et la
démocratie; qui est plus est, il semble s'engager sur la voie de la
sud-américanisation de l'état Algérien, comme en témoignent la promotion de
généraux, les réflexes répressifs couverts par les lois scélérates, le nouvel
épisode de la Charte octroyée, les dangers de reniement du neutralisme positif
dans l'esprit de Bandung, les tentations de résoudre par la violence les
tensions politiques, économiques, sociales et linguistiques accumulées par une
gestion anti-démocratique.
Les signataires déclarent:
La
seule voie de salut pour l'Algérie est l'instauration d'un régime démocratique
véritable fondé sur les principes suivants:
- Le respect des Droits de l'Homme tels
qu'ils sont énoncés par la Déclaration Universelle et les Pactes Internationaux
au demeurant ratifiés par notre pays.
- La tolérance, la liberté de conscience,
le pluralisme idéologique et politique.
- Le droit d'association, de constitution
de partis politiques.
- La liberté syndicale et la protection du
droit de grève.
- Le droit de sûreté et le respect de
l'intégrité physique .
- L'officialisation dans un cadre
institutionnel du droit à l'enseignement, au développement et au libre
épanouissement de la langue et de la culture nationale berbères.
- Des élections libres et compétitives à
tous les échelons de la vie nationale garantissant aux citoyennes et aux
citoyens le libre choix ainsi que le droit d'éligibilité et de récusation des
élus.
- La séparation des pouvoirs : législatif,
exécutif, judiciaire, et de l'information.
- Le cantonnement de chaque institution
étatique dans sa sphère de compétence propre pour éviter la confusion des
pouvoirs.
Les signataires déclarent :
C'est
le pouvoir constituant qui définit le pouvoir constitué et non l'inverse. Le
pouvoir constituant revient au peuple algérien, l'élection au suffrage
universel d'une Assemblée Nationale Constituante est l'unique source de
légitimité. Il appartient à cette assemblée de doter le pays d'une
constitution. Le respect des droits de l'homme et la promotion des libertés
démocratiques doivent y être incorporés sous forme de lois fondamentales
s'imposant tant aux gouvernements qu'aux citoyennes et citoyens.
Les
signataires tiennent à préciser qu'ils ne se présentent pas comme alternative
de gouvernement ou équipe de rechange. Leur but étant d'animer une profonde
dynamique politique, en vue de la démocratisation des institutions et de la
société algérienne.
Toutes
les Algériennes et tous les Algériens sont conviés à se mobiliser dans ce
combat d'idées pacifique pour démystifier les faux-semblants idéologiques,
imposer le règne de la loi et ouvrir une ère de justice, de fraternité et de
bonheur pour l'humanité algérienne.
Ait Ahmed
Ben Bella
Londres 1985