Cinq fois par jour comme est prescrit

  Il serait possible de me considérer idéologiquement proche de l’islam avant de le professer solennellement en 1980, lorsque j’ai prononcé l’attestation de foi, le corps purifié comme il faut. Pourtant je n’étais pas jusqu’à lors attentif à ses obligations et interdictions en ce qui concerne la vie pratique. J’étais musulman sur le plan intellectuel ou mental, mais je ne l’étais pas encore sur le plan pratique. Bien entendu, c’était cela même qu’il faudrait radicalement changé alors. Il ne convient pas d’être musulman dans mes idées seulement, devenir musulman est dû aussi dans ma conduite.

 Comme la religion veut dire un lien entre l’homme et son Seigneur, et comme l’islam signifie un don de soi fait par le musulman à Dieu, mon devoir le plus important, en tant que musulman néophyte, quinquagénaire, s’avère d’apprendre la prière de l’islam. Un homme ne doit pas être expert en informatique pour comprendre qu’il s’agit ici de communication … Quel moyen de communication est meilleur pour connecter avec Lui ?

 Il est certain de toutes façons, que rien n’expose l’islam d’un homme au danger plus que sa déconnection de son Seigneur. Par conséquent, la célébration des louanges de Dieu devient l’élément clé dans la vie de tout homme conscient du sens de ses paroles, lorsqu’il dit ‘je crois en Dieu’. A mon avis, celui qui ne prie pas n’est pas croyant. Quiconque confirme à une femme absente son amour pour elle, sans avoir envie ni de lui parler au téléphone, ni de lui écrire ; sans même jeter un coup d’œil sur sa photo pendant tout le jour, ne l’aime pas en réalité. Tel est parfaitement le cas de la prière. Quiconque envisage proprement le véritable sens de l’existance divine, aura nécessairement envie de méditer sur Dieu et de se tourner beaucoup vers Lui. Là seulement se réalisent ces mots tant répétés à la lecture de la sourate Al-Fâtiha  "C'est Toi (Seul) que nous adorons, et c'est Toi (Seul) dont nous implorons secours." (verset 5)

Jusqu’à ce moment, j’ignorais ce qu’il faudrait faire et suivre pendant la prière ; sans parler de mes facultés de mémorisation et de récitation en langue arabe ! Ainsi, surmonter ce défaut était-il à l’époque la première de mes priorités. Avant de m’approfondir dans l’étude d’une introduction illustrée à la prière islamique en langue allemande, la plus fiable, j’ai demandé à un ami turc de m’apprendre comment faire les ablutions, se tenir debout en prière, comment s’incliner, se prosterner, s’asseoir par terre, appuyé sur le pied gauche ; comment lever les bras ? Où regarder ? Quand hausser la voix ? Quand la baisser, en bougeant les lèvres pendant la lecture ? Comment se tenir correctement derrière l’imam ? Comment faire si l’on arrive en retard à la mosquée ? Et comment se mouvoir à l’intérieur de la mosquée ? Il s’agit d’une « science » proprement dite ! Certes, c’est dangereux qu’un musulman agisse en tant que tel sans l’être effectivement.  

La prière islamique commence – bizarre semble-t-il – dans la salle de bain, ou dans l’endroit où se trouve l’eau dans la cour frontale de la mosquée. Elle commence par les ablutions (woudoû’), qu’il me faudrait apprendre dans leur séquence. Un comment-faire établi et déterminé de manière tout-à-fait précise : se laver les mains, faire passer les mains mouillées sur la tête, s’assurer du lavage des talons… 

Lorsqu’il envisage de faire la prière, et qu’il lève les mains - pour l’entamer - à la hauteur de la tête en disant « Allâhou ‘akbar », l’homme se détache totalement des préoccupations de la vie quotidienne, ce qui affirme la sainteté de la prière pour lui.

Dans les pays chauds, les ablutions ne représentent pas un problème, la température élevée favorisant une rapide sécheresse. En cas d’absence de l’eau, il suffit de nettoyer les mains au sable à titre symbolique (tayammum). D’ailleurs, cette situation s’est produite le 7 décembre 1993, lorsque la voiture que conduisait notre chauffeur expert dans les voies désertiques s’est enfoncée, en voyageant dans la région pétrolifère de Lîwâ aux Emirats Arabes Unis. Le sable y paraissait très convenable pour le tayammum!

Quant à nos froides régions, il est vraiment incommode, en cas d’absence de serviettes, de devoir enfiler ses chaussettes, les pieds mouillés.

Apprendre à prier s’est révélé pour moi plus facile que prévu, puisque la prière est composée d’unités fixes qu’on appelle « rakaa ». Les unités rakaas constituent donc la prière. On doit connaître le nombre de rakaas dans chacune des cinq prières : al-fajr (l’aube), az-zuhr (midi), al-`asr (l’après-midi), al-maghrib (le coucher du soleil), al-`ichâ’ (le soir). Le temps où est due chaque prière et les jugements concernant le cas de voyage sont également à apprendre.

Enfin, j’ai appris comment me tenir pendant la prière en commun, où les croyants s’arrangent en une ligne bien droite, les pieds côte à côte et les trous bouchés. Cet accolement vaut, à mes yeux, plus qu’un simple agencement de lignes… Il est un symbole de solidarité, aussi vif qu’il ne cesse de me toucher à chaque fois. Une solidarité qui se renouvelle encore en fin de prière, avec la salutation as-salamou `alaykoum (Que la paix soit sur vous) énoncée par le croyant en se tournant une fois vers la droite, une fois vers la gauche. Celui-ci passe ses deux mains sur le visage, annonçant la conclusion de prière, avant d’en tendre une à son voisin pour le saluer et lui souhaiter l’acceptation divine de son œuvre : « Que Dieu accepte ta prière ! » 

Abdoul-Wahhâb `Ibâda, ancien secrétaire général du ministère algérien des affaires étrangères, m’a raconté qu’il avait une fois changé cette salutation à son enfance ; « Que la paix soit sur toi ! » lui avait paru alors plus logique. Conséquence : une bonne gifle de son père qui le renseignait :  « Le musulman dit toujours ‘Que la paix soit sur vous !’ cette salutation étant adressée à l’ensemble des créatures, visibles et invisibles … Elle est adressée aux Anges, aussi bien qu’aux … cafards. »

Il est important que le croyant sache estimer les confins de l’endroit de prière, de façon à poser ses lunettes et son portefeuille à près de 90 cm devant lui. Personne ne violera l’endroit de prière d’un croyant, personne ne passera juste en face des gens en prière. Je me souviens de cette scène qui se produisit le 26 décembre 1982, alors que je quittais la Mosquée du Prophète (pbAsl) après la prière :

A l’approche de la porte principale, la circulation décélérait … ce fut qu’un homme venu en retard ait rentré en prière juste à l’entrée, et qu’il priait encore en toute tranquillité sur l’esplanade. La foule des croyants elle, s’est divisée autour de lui tel qu’autour d’un rocher. Personne n’osa le déranger, lui brouiller son rite, ni transgresser son endroit de prière. Plus insolite et étonnant encore, ce que je vis au cours des tournées rituelles autour de la Ka`ba en 1992 : une femme de faible constitution se mit à prier, indifférente, au sein de la foule à quelques mètres de la Ka`ba. Elle fut entourée de quatre hommes costauds formant de leurs bras un enclos autour d’elle. Encore une fois, même douce réaction de la part des gens : point de blâme, point de reproche, pas un mot furieux… mais seulement … respect de la prière.    

Il serait donc difficile, plutôt impossible – vu ces strictes règles – que quelqu’un dans les premières lignes quitte la mosquée avant tous les autres. En 1993, je fus réduit à laisser mon hôte à Abou Dhabi m’attendre, à défaut d’une sortie de la mosquée conforme aux règles. Pour quitter par un bas-côté, j’aurais à passer horizontalement devant les gens en prière, ce qui est considéré « l’illicite » même.

J’aime beaucoup accomplir la prière seul, pour pouvoir rythmer sa cadence ; cadence souvent rapide - dans une certaine mesure - à la mosquée, en respect des croyants malades et pressés. Nonobstant, la prière en commun est plus méritoire que la prière en solitaire.

Loin des mosquées à imam fixe chargé de diriger les prières, il faut avant toute prière en commun qu’un dirigeant (imam) soit justement choisi. Bien que l’hôte jouit du droit de diriger la prière, j’aime beaucoup mandater pour cette tâche un de mes visiteurs (tel l’ambassadeur Saoudien ou le chef du Parti de l’Indépendance et avocat Mohammad boustah, lors de nos rencontres à table pour rupture de jeûne ‘iftâr’ pendant le ramadan, dans ma résidence à Rabat).

  Une fois, de bizarres circonstances firent de moi-même un imam ! Arrivé à San Francisco le 10 octobre 1985, afin de prendre part à la célébration annuelle organisée par l’OTAN, je me mis à fouiller l’annuaire de téléphone et le registre des églises, en quête d’une mosquée. J’étais certain de dénicher dans la capitale des sectes américaines une communauté musulmane. Or, une grande stupéfaction me saisit lorsque je lis : « Le Centre Islamique, 850, Rue Davis Adiro. Les rites de prière ont lieu tous les jours à 12 h., et à 13 h. les dimanches. » ; ainsi va la tradition des églises où l’heure de prière n’est pas déterminée selon la position du soleil, comme le font les musulmans. Là-bas, je trouvai un groupe formé de trois membres noirs. En attendant que soit élevé l’appel à la prière, un vieillard chenu lisait – avec ses grandes lunettes pendues – dans un exemplaire arabe du Coran, le doigt en dessous de la ligne. Rejoignit le groupe un autre membre : Youssef Simon, un jeune shiite noir qui étudiait les sciences politiques. Il réagit à ma stupéfaction par le mutisme ; accoutumé – paraît-il – à la discrimination en tant que noir entre des blancs, que musulman entre des chrétiens, et que shiite entre des sunnites.

La stupéfaction ne me lâcha pas d’un trait : voilà que le muezzin appela à la prière, mais il anticipa le petit appel avant-prière (iqâma) à l’appel principal (adhân). Et parce que Bilâl, le premier muezzin dans l’Islam à Médine fut noir de couleur, j’éprouvai un grand embarras à corriger son successeur à San Francisco. Or, il me parut impossible de rester muet vis à vis de tous ces développements contradictoires ; je me mis donc à raconter, tous soins pris, que j’avais déjà visité La Mecque et que là-bas, on fait tout d’abord l’adhân, ensuite l’iqâma.

La réaction qui s’en suivit ne me surprit pas, je la trouvai plutôt naturelle : le petit groupe me sollicita de diriger la prière en commun, parce que j’étais « le plus renseigné » des musulmans présents. Que je sois un allemand blanc, que je les rejoigne pour la première fois… cela n’eut au reste aucun poids. Ainsi, me trouvai-je, de façon imprévisible, en face de la qibla que je souhaitais être au moins en  direction de la Mecque. Je rangeai alors mon tout petit groupe dans une ligne droite, et je levai les mains en célébrant : ‘Allâhou Akbar’ (Dieu est le plus grand)

A la seule connaissance est accordé un poids considérable. C’est ce qu’affirme un autre incident : en décembre 1982, un gars de quinze ans dirigea la prière d’un groupe de visiteurs Pakistanais analphabètes, à l’hôtel Sheraton Médine.

En ce qui concerne la Prière du Vendredi, qui se compose essentiellement de deux brefs discours puis d’une prière de deux rakaas, elle requiert la présence à la mosquée. D’habitude, le prédicateur termine son discours en levant les mains pour invoquer Dieu. Et il est d’une grande importance politique que le prédicateur appelle la bénédiction pour le gouverneur.

D’après mon expérience au cours de longues années, ces discours ne réalisent pas – malheureusement – ce qui leur est possible de réaliser, parce qu’ils s’adressent aux sentiments plutôt qu’à la raison. Ils répètent les croyances des gens plus qu’ils ne les approfondissent. Ceci se voit dans le ton des prédicateurs : certains crient comme s’ils enthousiasmaient une troupe avant le combat ! Il faut reconnaître, toutefois, qu’il n’y pas lieu dans le monde musulman à la prédication moderne, tant qu’il ne s’y trouve presque pas une personne se prétendant athée. Pourquoi donc faudrait-il chercher appui aux bases et principes du dogme en de complexes arguments intellectuels, au lieu d’exploiter à titre pédagogique la foi prévalant dans le monde musulman ? (Il en est toujours de positives exceptions. A l’instar de certains chrétiens à Munich qui font une longue et pénible route vers un prédicateur nommé, je me rendais – pendant mon séjour à Rabat – aux abords de la ville, pour écouter le discours de l’imam bien instruit à la mosquée de Lala Sakina (madame Sakina), pour la prière du vendredi.)  

Tout au long de ma carrière professionnelle, j’avais dû – en respect d’une règles protocolaire – faire les prières des deux fêtes Al-Fitr et Al-Adhâ derrière des chefs d’Etats, tels le président Algérien Chadli Benjdid et le roi Hassan II du Maroc. Evénements enregistrés par les caméras de télévision. A chaque fois, je sentais l’esprit démocratique que la prière islamique procure à telles ambiances. La prosternation d’un roi à terre, dans ses chaussettes, c’est bien différent de la marche du président de la France dans la Cathédrale de Reims, vers son siège distingué. 

Pour certains, la mémorisation des textes arabes à réciter en prière – dont des passages, courts ou longs, des sourates du Coran – est marquée par une difficulté surpassant celle de l’apprentissage même des postures de prière. Je pris à cœur mon incapacité de mémoriser comme il faut les textes arabes. A un adjoint de prêtre mal instruit en Latin fus-je comparable ! C’est pourquoi je décidai d’apprendre l’arabe – langue des musulmans de toute éternité et pour toujours – ; au moins ce qu’il en faut pour comprendre les structures grammaticales et les textes de base (une initiation première de grand profit ultérieur, lorsque je fus nommé ambassadeur à Alger). Evidemment, j’avais tout d’abord appris Al-Fâtiha, première sourate et « ouverture » du Coran. Composante fondamentale de toute rakaa, elle est récitée au moins 17 fois par jour :

« - Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux.

   - Louange à Allah, Seigneur de l' univers.

   - Le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux,

   - Maître du Jour de la rétribution.

   - C'est Toi (Seul) que nous adorons, et c'est Toi (Seul) dont nous implorons secours.

   - Guide- nous dans le droit chemin,

   - le chemin de ceux que Tu as comblés de faveurs, non pas de ceux qui ont encouru Ta colère, ni des égarés. »

 Après Al-Fâtiha, j’appris la sourate no. 112, Al-Ikhlâs (la sincérité), dont la portée équivalait – comme fut rapporté du Prophète (pbAsl) – au tiers de l’intégralité du Coran, tout brefs que soient ses quatre versets :

« - Dis: "Il est Allah, Unique.

   - Allah, Le Seul à être imploré pour ce que nous désirons.

   - Il n'a jamais engendré, n'a pas été engendré non plus.

   - Et nul n'est égal à Lui". »                              

Ensuite, ce furent les deux « sourates de refuge » à savoir : Al-Falaq (l’aube naissante, 113) et An-Nâs (les Hommes, 114), puis d’autres brèves sourates mecquoises telles : Al-Fîl (l’éléphant, 105), Quraych (les qoraychites, 106), Al-Kâfirûn (les infidèles, 109), An-Nasr (le secours, 110), en plus des versets de 1 à 5 de la première sourate révélée au Prophète, Al-`Alaq (l’adhérence, 96)

« - Lis, au nom de ton Seigneur qui a créé,

-         qui a créé l'homme d'une adhérence.

-         Lis! Ton Seigneur est le Très Noble,

-         qui a enseigné par la plume (le calame),

-         a enseigné à l'homme ce qu'il ne savait pas.»

 Après, je n’osai prétendre à l’apprentissage de passages coraniques plus longs, tels le verset du Trône (sourate 2 – verset 255), celui de la Lumière (s. 24 – v. 35) ou les versets mentionnant les Plus beaux Attributs de Dieu (s. 59 – v. de 22 à 24) qu’en fonction de ma progression dans les connaissances arabes.    

 Analysant les récits de prière, on arrive à une conviction : la prière, c’est au fond, le rappel et l’invocation de Dieu. Ce qui rime en fait avec les enseignements du coran sur le plus sublime devoir de l’Homme, à savoir : de parvenir – à la faveur de ses facultés mentales – à la connaissance de Dieu et de célébrer Sa gloire. Tel est l’essence de la conduite des musulmans. Or, si tu en demande à quelqu’un sur son état, la réponse ne sera ni ‘ça va bien’ ni ‘ça va mal’, mais plutôt ‘Louange à Dieu’.

 A l’issue de la prière, on se met, tout enthousiaste, à chanter les louanges de Dieu soit à l’aide d’un chapelet de 33 (ou de 99) grains, soit sur les doigts de la main. Chuchotant, on répète : « Gloire et Pureté à Dieu. Louange à Lui » ou bien « Gloire à Dieu », « Louange à Dieu » et « Dieu est plus Grand ». On aurait remarqué qu’en islam – à la différence du christianisme – les formes de glorification et d’invocation à Dieu se multiplient.

 L’invocation étant aussi fondamentale et méritoire, l’abstention d’invoquer Dieu deviendrait en contre partie une sorte de manque dans la foi, puisque Dieu est tout proche. Il répond à l’appel de celui qui Lui prie quand il Lui prie. (s. 2 : v.186)

 L’invocation est donc affranchie des formes ou moules fixes, mais aussi des lieux ou temps fixes. La langue arabe n’est pas une condition. Dans ses meilleurs cas, l’invocation est une permanente évocation de Dieu, justement objet visé par les efforts spirituels assidus des soufis musulmans. Anna Marie Schimmel avait collectionné grand nombre de ce splendide héritage d’évocations et d’invocations.

 Du soufi Andalous Ibn `Arabi (XII et XIII siècles) au contemporain Frithjof Schuon, le soufisme musulman a le mérite de maintenir la cohésion des récits d’évocations et d’invocations islamiques, du point de vue forme et fond. Or, les véritables soufis n’ont pas catégoriquement répudié les formes établies, mais les ont plutôt rationalisées. Voici Schuon qui dit autre part : « Le musulman – notamment qui suit la sounna dans ses plus fines et infimes particularités – vit dans un réseau de signes… » Quiconque porte ceci au coeur ne laisse jamais sa prière tourner en une routine. Que tu accomplisses la prière dans une mosquée shiite à Hamburg, dans une mosquée construite en briques de terre cuite et en palmes dans l’oasis Fijîj de l’est marocain, ou encore dans la Mosquée Omeyyade à Damas avec sa mosaïque éblouissante, la prière est toujours la même ; on l’avait apprise du même maître (ce qui se passa de fait). Une telle uniformité procure le calme et la tranquillité nécessaires à la concentration totale..

 Outre son côté spiritualité, la prière en islam reflète une dimension matérielle tangible, tout comme une dimension politique possible. Beaucoup de temps s’en faut pour apprendre à s’asseoir, détendu, sur les pieds posés contre le sol dur, sans subir des contractions musculaires. Et ce avec la conviction qu’il vaut mieux garder les pieds nus, à leur pose convenable, plutôt qu’enfilés dans des chaussettes. Toutefois, apprendre à s’asseoir par terre sans bouger pendant de longues heures – comme le font nos frères de l’Orient – n’est plus possible dans un âge avancé.

 Il est évident que la prière en islam sert à porter remède aux symptômes du stress contemporain, stress aux causes duquel il ne faudrait pas longtemps pour analyse et détection. D’ailleurs en quantité, l’Homme de notre époque ne travaille pas – j’entends surtout le travail musculaire - plus qu’il ne le faisait autrefois ; bien au contraire. Mais la nouveauté, c’est la vitesse ; la vitesse dont se déroulent tous les événements et dont se font tous les travaux, à l’aide du télex, du fac-similé, du courrier électronique, de l’Internet ou encore du courrier express. Voilà que les employés – plus même que leur employeur – sont surmenés, en proie au souci du possible déchaînement des affaires et de l’assaut des délais, outre à l’horreur de l’échec. Pire encore est la consommation d’alcool, le tabagisme, la drogue et le dopage. Les coûts du traitement de l’artériosclérose chez le personnel de haute administration se sont élevés à tel point que des congés obligatoires leur sont imposés. Aussi, les programmes d’entraînement pour les directeurs de ressources humaines abordent-ils de thèmes tels la bionutrition, la méditation prospective ainsi que la nécessité de découvrir soi-même les rites japonais du thé, comme moyens de se débarrasser du stress et de l’inquiétude !

 En contre partie, je dis que la prière islamique réalise tout cela et plus : non seulement qu’elle aide le Croyant à cesser de penser et à se relaxer, mais qu’elle l’aide surtout à réaliser sa délivrance intérieure des charmes de la fortune, du prestige et de la position. Alors que le président Américain – sous l’effet de différentes pressions – se trouve dans un dilemme : la guerre ou l’évasion suicidaire, le musulman, lui, opte pour une troisième alternative à savoir, d’agir en harmonie avec le courant des événements (l’auteur entend paraît-il le fait de s’en remettre à Dieu). Or, grâce à la prière islamique, un vrai musulman ne peut jamais être stressé ou insomniaque, ni être une source de stress ni d’insomnie.    

 Je sais parfaitement ce que je dis. J’avais connu tous les facteurs induisant aux pressions, stress et insomnies lorsque je fus directeur en exercice du Département de l’OTAN et de la Défense au ministère des Affaires Etrangères (de 1979 à 1983) puis directeur de l’Administration des Renseignements sur le Risque de Menaces d’Agression de l’OTAN à Bruxelles (de 1983 à 1987).

 A partir de 1980, je ne portais plus avec moi dans les voyages business qu’une natte de prière et une boussole (fabriquée à Taiwan) pour déterminer la qibla ; et pourtant j’avais la certitude qu’une simple serviette propre aurait suffi et que Dieu n’est ni à l’est ni à l’ouest. Enfin, « … Où que vous vous tourniez, la Face (direction) d' Allah est donc là, … ». (s. 2 Al-Baqara, v. 115).

Aussi, mes jours s’esquissaient-ils de plus en plus d’après les horaires de prières, non d’après l’heure qui entraîne inquiétude et stress. (Pour donner rendez-vous à des musulmans, on ne le fixe pas « à trois heures vingt-cinq minutes », mais vers une heure plus ou moins indéterminée : « après la prière de Zuhr » ou « après la prière de Maghrib »)    

 En somme, j’ai trouvé à travers la prière cette tranquillité et cette délivrance intérieure qui arrachent le musulman de toute pression, d’autant plus qu’elles parviennent à l’arracher d’un monde où le temps est mesuré en argent, alors que l’argent y est tout ce qui compte.

 En 1992, lorsque je fus la cible d’une cruelle campagne de calomnie et de diffamation dans les médias à cause de ma croyance, quelques collègues furent incapables de comprendre mon insouciance envers une telle campagne (peut-être considéraient-ils ma réaction comme une sorte d’arrogance et de morgue). On aurait pu découvrir une explication à cette attitude de ma part dans le cinquième verset de la sourate Al-Fâtiha : « C'est Toi (Seul) que nous adorons, et c'est Toi (Seul) dont nous implorons secours. »

 Entre temps, la prière devint pour moi un agent régulateur de majeure importance à ma vie, à tel point que je n’eus plus envie de vivre dans un pays où je ne pouvais pas entendre le gracieux adhân (appel à la prière) qui retentissait à Fès, ou encore et enfin à Istanbul.

 Que de fois, remarquai-je qu’une prière désintéressée est – par nature – susceptible de constituer un élément politique : Les partisans du Front Islamique algérien, jusqu’avant le démarrage de leur action publique en 1988, avaient commencé à se garder des mosquées sous supervision gouvernementale (Comme beaucoup de turcs travaillant en Allemagne se gardent des institutions du ministère turc des Religions). C’est que leur islam « parallèle » se reflétait dans une prière parallèle aussi. A Blida par exemple, au lieu d’aller prier à la mosquée, nous accomplissîmes la prière dans un logement privé juste à côté, ce fut en 1987.

 De même, il était remarquable de voir des groupes de jeunes gens pénétrer dans la mosquée, peu avant ou après la prière de Zuhr, pour prier à l’un des coins en tant que groupe clos, derrière un imam spécial. Même phénomène noté en septembre 1994 dans la mosquée Sinân Pacha, quartier Barbaros à Istanbul.

Aussi, les résultats politiques furent-ils éclatants, lorsque le gouvernement algérien du FLN (Front de Libération National) tenta de faire preuve de foi et de piété, dans une mosquée proche du port d’Alger le jour de la fête Al-Adhâ en 1988. Conséquence : le peuple tout entier se fâcha (ou se gaussa) lorsqu’il prit compte devant les écrans de télé que des ténors du Parti d’Union Socialiste ignorent clairement comment faire la prière. Peu de mois après, le FLN essuya un lourde perte au mois d’octobre, dans un soulèvement populaire, alors que le Front Islamique du Salut bénéficia du statut d’un parti légal.

Reste encore beaucoup à dire là-dessus, mais il est temps pour la douce voix de l’adhân de partir, faisant appel, à travers des dizaines de microphones, à la prière de Maghrib. Celle-ci est due juste au coucher du soleil, ce qui ne peut pas être renvoyé à plus tard.

  "La Route pour La Mecque", Murad Hoffmann.

 

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