Cinq
fois par jour comme est prescrit
Il serait possible de me considérer idéologiquement proche de
l’islam avant de le professer solennellement en 1980, lorsque j’ai
prononcé l’attestation de foi, le corps purifié comme il faut.
Pourtant je n’étais pas jusqu’à lors attentif à ses obligations
et interdictions en ce qui concerne la vie pratique. J’étais musulman
sur le plan intellectuel ou mental, mais je ne l’étais pas encore sur
le plan pratique. Bien entendu, c’était cela même qu’il faudrait
radicalement changé alors. Il ne convient pas d’être musulman dans
mes idées seulement, devenir musulman est dû aussi dans ma conduite.
Comme
la religion veut dire un lien entre l’homme et son Seigneur, et comme
l’islam signifie un don de soi fait par le musulman à Dieu, mon
devoir le plus important, en tant que musulman néophyte, quinquagénaire,
s’avère d’apprendre la prière de l’islam. Un homme ne doit pas
être expert en informatique pour comprendre qu’il s’agit ici de
communication … Quel moyen de communication est meilleur pour
connecter avec Lui ?
Il
est certain de toutes façons, que rien n’expose l’islam d’un
homme au danger plus que sa déconnection de son Seigneur. Par conséquent,
la célébration des louanges de Dieu devient l’élément clé dans la
vie de tout homme conscient du sens de ses paroles, lorsqu’il dit
‘je crois en Dieu’. A mon avis, celui qui ne prie pas n’est pas
croyant. Quiconque confirme à une femme absente son amour pour elle,
sans avoir envie ni de lui parler au téléphone, ni de lui écrire ;
sans même jeter un coup d’œil sur sa photo pendant tout le jour, ne
l’aime pas en réalité. Tel est parfaitement le cas de la prière.
Quiconque envisage proprement le véritable sens de l’existance
divine, aura nécessairement envie de méditer sur Dieu et de se tourner
beaucoup vers Lui. Là seulement se réalisent ces mots tant répétés
à la lecture de la sourate Al-Fâtiha "C'est
Toi (Seul) que nous adorons, et c'est Toi (Seul) dont nous implorons
secours." (verset 5)
Jusqu’à
ce moment, j’ignorais ce qu’il faudrait faire et suivre pendant la
prière ; sans parler de mes facultés de mémorisation et de récitation
en langue arabe ! Ainsi, surmonter ce défaut était-il à l’époque
la première de mes priorités. Avant de m’approfondir dans l’étude
d’une introduction illustrée à la prière islamique en langue
allemande, la plus fiable, j’ai demandé à un ami turc de
m’apprendre comment faire les ablutions, se tenir debout en prière,
comment s’incliner, se prosterner, s’asseoir par terre, appuyé sur
le pied gauche ; comment lever les bras ? Où regarder ?
Quand hausser la voix ? Quand la baisser, en bougeant les lèvres
pendant la lecture ? Comment se tenir correctement derrière
l’imam ? Comment faire si l’on arrive en retard à la mosquée ?
Et comment se mouvoir à l’intérieur de la mosquée ? Il
s’agit d’une « science » proprement dite ! Certes,
c’est dangereux qu’un musulman agisse en tant que tel sans l’être
effectivement.
La
prière islamique commence – bizarre semble-t-il – dans la salle de
bain, ou dans l’endroit où se trouve l’eau dans la cour frontale de
la mosquée. Elle commence par les ablutions (woudoû’), qu’il me
faudrait apprendre dans leur séquence. Un comment-faire établi et déterminé
de manière tout-à-fait précise : se laver les mains, faire
passer les mains mouillées sur la tête, s’assurer du lavage des
talons…
Lorsqu’il
envisage de faire la prière, et qu’il lève les mains - pour
l’entamer - à la hauteur de la tête en disant « Allâhou
‘akbar », l’homme se détache totalement des préoccupations
de la vie quotidienne, ce qui affirme la sainteté de la prière pour
lui.
Dans
les pays chauds, les ablutions ne représentent pas un problème, la
température élevée favorisant une rapide sécheresse. En cas
d’absence de l’eau, il suffit de nettoyer les mains au sable à
titre symbolique (tayammum). D’ailleurs, cette situation s’est
produite le 7 décembre 1993, lorsque la voiture que conduisait notre
chauffeur expert dans les voies désertiques s’est enfoncée, en
voyageant dans la région pétrolifère de Lîwâ aux Emirats Arabes
Unis. Le sable y paraissait très convenable pour le tayammum!
Quant
à nos froides régions, il est vraiment incommode, en cas d’absence
de serviettes, de devoir enfiler ses chaussettes, les pieds mouillés.
Apprendre
à prier s’est révélé pour moi plus facile que prévu, puisque la
prière est composée d’unités fixes qu’on appelle « rakaa ».
Les unités rakaas constituent donc la prière. On doit connaître le
nombre de rakaas dans chacune des cinq prières : al-fajr
(l’aube), az-zuhr (midi), al-`asr (l’après-midi), al-maghrib (le
coucher du soleil), al-`ichâ’ (le soir). Le temps où est due chaque
prière et les jugements concernant le cas de voyage sont également à
apprendre.
Enfin,
j’ai appris comment me tenir pendant la prière en commun, où les
croyants s’arrangent en une ligne bien droite, les pieds côte à côte
et les trous bouchés. Cet accolement vaut, à mes yeux, plus qu’un
simple agencement de lignes… Il est un symbole de solidarité, aussi
vif qu’il ne cesse de me toucher à chaque fois. Une solidarité qui
se renouvelle encore en fin de prière, avec la salutation as-salamou
`alaykoum (Que la paix soit sur vous) énoncée par le croyant en se
tournant une fois vers la droite, une fois vers la gauche. Celui-ci
passe ses deux mains sur le visage, annonçant la conclusion de prière,
avant d’en tendre une à son voisin pour le saluer et lui souhaiter
l’acceptation divine de son œuvre : « Que Dieu accepte ta prière ! »
Abdoul-Wahhâb
`Ibâda, ancien secrétaire général du ministère algérien des
affaires étrangères, m’a raconté qu’il avait une fois changé
cette salutation à son enfance ; « Que la paix soit sur toi ! »
lui avait paru alors plus logique. Conséquence : une bonne gifle
de son père qui le renseignait :
« Le musulman dit toujours ‘Que la paix soit sur vous !’
cette salutation étant adressée à l’ensemble des créatures,
visibles et invisibles … Elle est adressée aux Anges, aussi bien
qu’aux … cafards. »
Il
est important que le croyant sache estimer les confins de l’endroit de
prière, de façon à poser ses lunettes et son portefeuille à près de
90 cm devant lui. Personne ne violera l’endroit de prière d’un
croyant, personne ne passera juste en face des gens en prière. Je me
souviens de cette scène qui se produisit le 26 décembre 1982, alors
que je quittais la Mosquée du Prophète (pbAsl) après la prière :
A
l’approche de la porte principale, la circulation décélérait … ce
fut qu’un homme venu en retard ait rentré en prière juste à
l’entrée, et qu’il priait encore en toute tranquillité sur
l’esplanade. La foule des croyants elle, s’est divisée autour de
lui tel qu’autour d’un rocher. Personne n’osa le déranger, lui
brouiller son rite, ni transgresser son endroit de prière. Plus
insolite et étonnant encore, ce que je vis au cours des tournées
rituelles autour de la Ka`ba en 1992 : une femme de faible
constitution se mit à prier, indifférente, au sein de la foule à
quelques mètres de la Ka`ba. Elle fut entourée de quatre hommes
costauds formant de leurs bras un enclos autour d’elle. Encore une
fois, même douce réaction de la part des gens : point de blâme,
point de reproche, pas un mot furieux… mais seulement … respect de
la prière.
Il
serait donc difficile, plutôt impossible – vu ces strictes règles
– que quelqu’un dans les premières lignes quitte la mosquée avant
tous les autres. En 1993, je fus réduit à laisser mon hôte à Abou
Dhabi m’attendre, à défaut d’une sortie de la mosquée conforme
aux règles. Pour quitter par un bas-côté, j’aurais à passer
horizontalement devant les gens en prière, ce qui est considéré
« l’illicite » même.
J’aime
beaucoup accomplir la prière seul, pour pouvoir rythmer sa cadence ;
cadence souvent rapide - dans une certaine mesure - à la mosquée, en
respect des croyants malades et pressés. Nonobstant, la prière en
commun est plus méritoire que la prière en solitaire.
Loin
des mosquées à imam fixe chargé de diriger les prières, il faut
avant toute prière en commun qu’un dirigeant (imam) soit justement
choisi. Bien que l’hôte jouit du droit de diriger la prière,
j’aime beaucoup mandater pour cette tâche un de mes visiteurs (tel
l’ambassadeur Saoudien ou le chef du Parti de l’Indépendance et
avocat Mohammad boustah, lors de nos rencontres à table pour rupture de
jeûne ‘iftâr’ pendant le ramadan, dans ma résidence à
Rabat).
Une fois, de bizarres circonstances firent de moi-même un imam !
Arrivé à San Francisco le 10 octobre 1985, afin de prendre part à la
célébration annuelle organisée par l’OTAN, je me mis à fouiller
l’annuaire de téléphone et le registre des églises, en quête
d’une mosquée. J’étais certain de dénicher dans la capitale des
sectes américaines une communauté musulmane. Or, une grande stupéfaction
me saisit lorsque je lis : « Le Centre Islamique, 850, Rue
Davis Adiro. Les rites de prière ont lieu tous les jours à 12 h., et
à 13 h. les dimanches. » ; ainsi va la tradition des églises
où l’heure de prière n’est pas déterminée selon la position du
soleil, comme le font les musulmans. Là-bas, je trouvai un groupe formé
de trois membres noirs. En attendant que soit élevé l’appel à la
prière, un vieillard chenu lisait – avec ses grandes lunettes pendues
– dans un exemplaire arabe du Coran, le doigt en dessous de la ligne.
Rejoignit le groupe un autre membre : Youssef Simon, un jeune
shiite noir qui étudiait les sciences politiques. Il réagit à ma stupéfaction
par le mutisme ; accoutumé – paraît-il – à la discrimination
en tant que noir entre des blancs, que musulman entre des chrétiens, et
que shiite entre des sunnites.
La
stupéfaction ne me lâcha pas d’un trait : voilà que le muezzin
appela à la prière, mais il anticipa le petit appel avant-prière (iqâma)
à l’appel principal (adhân). Et parce que Bilâl, le premier
muezzin dans l’Islam à Médine fut noir de couleur, j’éprouvai un
grand embarras à corriger son successeur à San Francisco. Or, il me
parut impossible de rester muet vis à vis de tous ces développements
contradictoires ; je me mis donc à raconter, tous soins pris, que
j’avais déjà visité La Mecque et que là-bas, on fait tout
d’abord l’adhân, ensuite l’iqâma.
La
réaction qui s’en suivit ne me surprit pas, je la trouvai plutôt
naturelle : le petit groupe me sollicita de diriger la prière en
commun, parce que j’étais « le plus renseigné » des
musulmans présents. Que je sois un allemand blanc, que je les rejoigne
pour la première fois… cela n’eut au reste aucun poids. Ainsi, me
trouvai-je, de façon imprévisible, en face de la qibla que je
souhaitais être au moins en direction
de la Mecque. Je rangeai alors mon tout petit groupe dans une ligne
droite, et je levai les mains en célébrant : ‘Allâhou Akbar’
(Dieu est le plus grand)
A
la seule connaissance est accordé un poids considérable. C’est ce
qu’affirme un autre incident : en décembre 1982, un gars de
quinze ans dirigea la prière d’un groupe de visiteurs Pakistanais
analphabètes, à l’hôtel Sheraton Médine.
En
ce qui concerne la Prière du Vendredi, qui se compose essentiellement
de deux brefs discours puis d’une prière de deux rakaas, elle
requiert la présence à la mosquée. D’habitude, le prédicateur
termine son discours en levant les mains pour invoquer Dieu. Et il est
d’une grande importance politique que le prédicateur appelle la bénédiction
pour le gouverneur.
D’après
mon expérience au cours de longues années, ces discours ne réalisent
pas – malheureusement – ce qui leur est possible de réaliser, parce
qu’ils s’adressent aux sentiments plutôt qu’à la raison. Ils répètent
les croyances des gens plus qu’ils ne les approfondissent. Ceci se
voit dans le ton des prédicateurs : certains crient comme s’ils
enthousiasmaient une troupe avant le combat ! Il faut reconnaître,
toutefois, qu’il n’y pas lieu dans le monde musulman à la prédication
moderne, tant qu’il ne s’y trouve presque pas une personne se prétendant
athée. Pourquoi donc faudrait-il chercher appui aux bases et principes
du dogme en de complexes arguments intellectuels, au lieu d’exploiter
à titre pédagogique la foi prévalant dans le monde musulman ?
(Il en est toujours de positives exceptions. A l’instar de certains
chrétiens à Munich qui font une longue et pénible route vers un prédicateur
nommé, je me rendais – pendant mon séjour à Rabat – aux abords de
la ville, pour écouter le discours de l’imam bien instruit à la
mosquée de Lala Sakina (madame Sakina), pour la prière du vendredi.)
Tout
au long de ma carrière professionnelle, j’avais dû – en respect
d’une règles protocolaire – faire les prières des deux fêtes
Al-Fitr et Al-Adhâ derrière des chefs d’Etats, tels le président
Algérien Chadli Benjdid et le roi Hassan II du Maroc. Evénements
enregistrés par les caméras de télévision. A chaque fois, je sentais
l’esprit démocratique que la prière islamique procure à telles
ambiances. La prosternation d’un roi à terre, dans ses chaussettes,
c’est bien différent de la marche du président de la France dans la
Cathédrale de Reims, vers son siège distingué.
Pour
certains, la mémorisation des textes arabes à réciter en prière –
dont des passages, courts ou longs, des sourates du Coran – est marquée
par une difficulté surpassant celle de l’apprentissage même des
postures de prière. Je pris à cœur mon incapacité de mémoriser
comme il faut les textes arabes. A un adjoint de prêtre mal instruit en
Latin fus-je comparable ! C’est pourquoi je décidai
d’apprendre l’arabe – langue des musulmans de toute éternité et
pour toujours – ; au moins ce qu’il en faut pour comprendre les
structures grammaticales et les textes de base (une initiation première
de grand profit ultérieur, lorsque je fus nommé ambassadeur à Alger).
Evidemment, j’avais tout d’abord appris Al-Fâtiha, première
sourate et « ouverture » du Coran. Composante fondamentale
de toute rakaa, elle est récitée au moins 17 fois par jour :
«
- Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux,
le Très Miséricordieux.
- Louange à Allah, Seigneur de l'
univers.
- Le Tout Miséricordieux, le Très
Miséricordieux,
- Maître du Jour de la rétribution.
- C'est Toi (Seul) que nous adorons,
et c'est Toi (Seul) dont nous implorons secours.
- Guide- nous dans le droit chemin,
- le chemin de ceux que Tu as comblés
de faveurs, non pas de ceux qui ont encouru Ta colère, ni des égarés. »
Après
Al-Fâtiha, j’appris la sourate no. 112, Al-Ikhlâs (la sincérité),
dont la portée équivalait – comme fut rapporté du Prophète (pbAsl)
– au tiers de l’intégralité du Coran, tout brefs que soient ses
quatre versets :
« -
Dis: "Il est Allah, Unique.
- Allah, Le Seul à être imploré
pour ce que nous désirons.
- Il n'a jamais engendré, n'a pas
été engendré non plus.
- Et nul n'est égal à Lui". »
Ensuite,
ce furent les deux « sourates de refuge » à savoir :
Al-Falaq (l’aube naissante, 113) et An-Nâs (les Hommes, 114), puis
d’autres brèves sourates mecquoises telles : Al-Fîl (l’éléphant,
105), Quraych (les qoraychites, 106), Al-Kâfirûn (les infidèles,
109), An-Nasr (le secours, 110), en plus des versets de 1 à 5 de la
première sourate révélée au Prophète, Al-`Alaq (l’adhérence, 96)
« -
Lis, au nom de ton Seigneur qui a créé,
-
qui a créé l'homme d'une adhérence.
-
Lis! Ton Seigneur est le Très Noble,
-
qui a enseigné par la plume (le calame),
-
a enseigné à l'homme ce qu'il ne savait pas.»
Après,
je n’osai prétendre à l’apprentissage de passages coraniques plus
longs, tels le verset du Trône (sourate 2 – verset 255), celui de la
Lumière (s. 24 – v. 35) ou les versets mentionnant les Plus beaux
Attributs de Dieu (s. 59 – v. de 22 à 24) qu’en fonction de ma
progression dans les connaissances arabes.
Analysant
les récits de prière, on arrive à une conviction : la prière,
c’est au fond, le rappel et l’invocation de Dieu. Ce qui rime en
fait avec les enseignements du coran sur le plus sublime devoir de
l’Homme, à savoir : de parvenir – à la faveur de ses facultés
mentales – à la connaissance de Dieu et de célébrer Sa gloire. Tel
est l’essence de la conduite des musulmans. Or, si tu en demande à
quelqu’un sur son état, la réponse ne sera ni ‘ça va bien’ ni
‘ça va mal’, mais plutôt ‘Louange à Dieu’.
A
l’issue de la prière, on se met, tout enthousiaste, à chanter
les louanges de Dieu soit à l’aide d’un chapelet de 33 (ou de 99)
grains, soit sur les doigts de la main. Chuchotant, on répète :
« Gloire et Pureté à Dieu. Louange à Lui » ou bien
« Gloire à Dieu », « Louange à Dieu » et
« Dieu est plus Grand ». On aurait remarqué qu’en islam
– à la différence du christianisme – les formes de glorification
et d’invocation à Dieu se multiplient.
L’invocation
étant aussi fondamentale et méritoire, l’abstention d’invoquer
Dieu deviendrait en contre partie une sorte de manque dans la foi,
puisque Dieu est tout proche. Il répond à l’appel de
celui qui Lui prie quand il Lui prie. (s. 2 :
v.186)
L’invocation
est donc affranchie des formes ou moules fixes, mais aussi des lieux ou
temps fixes. La langue arabe n’est pas une condition. Dans ses
meilleurs cas, l’invocation est une permanente évocation de Dieu,
justement objet visé par les efforts spirituels assidus des soufis
musulmans. Anna Marie Schimmel avait collectionné grand nombre de ce
splendide héritage d’évocations et d’invocations.
Du
soufi Andalous Ibn `Arabi (XII et XIII siècles) au contemporain
Frithjof Schuon, le soufisme musulman a le mérite de maintenir la cohésion
des récits d’évocations et d’invocations islamiques, du point de
vue forme et fond. Or, les véritables soufis n’ont pas catégoriquement
répudié les formes établies, mais les ont plutôt rationalisées.
Voici Schuon qui dit autre part : « Le musulman – notamment
qui suit la sounna dans ses plus fines et infimes particularités –
vit dans un réseau de signes… » Quiconque porte ceci au coeur
ne laisse jamais sa prière tourner en une routine. Que tu accomplisses
la prière dans une mosquée shiite à Hamburg, dans une mosquée
construite en briques de terre cuite et en palmes dans l’oasis Fijîj
de l’est marocain, ou encore dans la Mosquée Omeyyade à Damas avec
sa mosaïque éblouissante, la prière est toujours la même ; on
l’avait apprise du même maître (ce qui se passa de fait). Une telle
uniformité procure le calme et la tranquillité nécessaires à la
concentration totale..
Outre
son côté spiritualité, la prière en islam reflète une dimension matérielle
tangible, tout comme une dimension politique possible. Beaucoup de temps
s’en faut pour apprendre à s’asseoir, détendu, sur les pieds posés
contre le sol dur, sans subir des contractions musculaires. Et ce avec
la conviction qu’il vaut mieux garder les pieds nus, à leur pose
convenable, plutôt qu’enfilés dans des chaussettes. Toutefois,
apprendre à s’asseoir par terre sans bouger pendant de longues heures
– comme le font nos frères de l’Orient – n’est plus possible
dans un âge avancé.
Il
est évident que la prière en islam sert à porter remède aux symptômes
du stress contemporain, stress aux causes duquel il ne faudrait pas
longtemps pour analyse et détection. D’ailleurs en quantité,
l’Homme de notre époque ne travaille pas – j’entends surtout le
travail musculaire - plus qu’il ne le faisait autrefois ; bien au
contraire. Mais la nouveauté, c’est la vitesse ; la vitesse dont
se déroulent tous les événements et dont se font tous les travaux, à
l’aide du télex, du fac-similé, du courrier électronique, de
l’Internet ou encore du courrier express. Voilà que les employés –
plus même que leur employeur – sont surmenés, en proie au souci du
possible déchaînement des affaires et de l’assaut des délais, outre
à l’horreur de l’échec. Pire encore est la consommation
d’alcool, le tabagisme, la drogue et le dopage. Les coûts du
traitement de l’artériosclérose chez le personnel de haute
administration se sont élevés à tel point que des congés
obligatoires leur sont imposés. Aussi, les programmes d’entraînement
pour les directeurs de ressources humaines abordent-ils de thèmes tels
la bionutrition, la méditation prospective ainsi que la nécessité de
découvrir soi-même les rites japonais du thé, comme moyens de se débarrasser
du stress et de l’inquiétude !
En
contre partie, je dis que la prière islamique réalise tout cela et
plus : non seulement qu’elle aide le Croyant à cesser de penser et à
se relaxer, mais qu’elle l’aide surtout à réaliser sa délivrance
intérieure des charmes de la fortune, du prestige et de la position.
Alors que le président Américain – sous l’effet de différentes
pressions – se trouve dans un dilemme : la guerre ou l’évasion
suicidaire, le musulman, lui, opte pour une troisième alternative à
savoir, d’agir en harmonie avec le courant des événements
(l’auteur entend paraît-il le fait de s’en remettre à Dieu). Or,
grâce à la prière islamique, un vrai musulman ne peut jamais être
stressé ou insomniaque, ni être une source de stress ni d’insomnie.
Je
sais parfaitement ce que je dis. J’avais connu tous les facteurs
induisant aux pressions, stress et insomnies lorsque je fus directeur en
exercice du Département de l’OTAN et de la Défense au ministère des
Affaires Etrangères (de 1979 à 1983) puis directeur de
l’Administration des Renseignements sur le Risque de Menaces
d’Agression de l’OTAN à Bruxelles (de 1983 à 1987).
A
partir de 1980, je ne portais plus avec moi dans les voyages business
qu’une natte de prière et une boussole (fabriquée à Taiwan) pour déterminer
la qibla ; et pourtant j’avais la certitude qu’une simple
serviette propre aurait suffi et que Dieu n’est ni à l’est ni à
l’ouest. Enfin, « … Où que vous
vous tourniez, la Face (direction) d' Allah est donc là, … ».
(s. 2 Al-Baqara, v. 115).
Aussi,
mes jours s’esquissaient-ils de plus en plus d’après les horaires
de prières, non d’après l’heure qui entraîne inquiétude et
stress. (Pour donner rendez-vous à des musulmans, on ne le fixe pas
« à trois heures vingt-cinq minutes », mais vers une heure
plus ou moins indéterminée : « après la prière de Zuhr »
ou « après la prière de Maghrib »)
En
somme, j’ai trouvé à travers la prière cette tranquillité et cette
délivrance intérieure qui arrachent le musulman de toute pression,
d’autant plus qu’elles parviennent à l’arracher d’un monde où
le temps est mesuré en argent, alors que l’argent y est tout ce qui
compte.
En
1992, lorsque je fus la cible d’une cruelle campagne de calomnie et de
diffamation dans les médias à cause de ma croyance, quelques collègues
furent incapables de comprendre mon insouciance envers une telle
campagne (peut-être considéraient-ils ma réaction comme une sorte
d’arrogance et de morgue). On aurait pu découvrir une explication à
cette attitude de ma part dans le cinquième verset de la sourate Al-Fâtiha :
« C'est Toi (Seul) que nous adorons, et c'est Toi (Seul) dont nous
implorons secours. »
Entre
temps, la prière devint pour moi un agent régulateur de majeure
importance à ma vie, à tel point que je n’eus plus envie de vivre
dans un pays où je ne pouvais pas entendre le gracieux adhân
(appel à la prière) qui retentissait à Fès, ou encore et enfin à
Istanbul.
Que
de fois, remarquai-je qu’une prière désintéressée est – par
nature – susceptible de constituer un élément politique : Les
partisans du Front Islamique algérien, jusqu’avant le démarrage de
leur action publique en 1988, avaient commencé à se garder des mosquées
sous supervision gouvernementale (Comme beaucoup de turcs travaillant en
Allemagne se gardent des institutions du ministère turc des Religions).
C’est que leur islam « parallèle » se reflétait dans une
prière parallèle aussi. A Blida par exemple, au lieu d’aller prier
à la mosquée, nous accomplissîmes la prière dans un logement privé
juste à côté, ce fut en 1987.
De
même, il était remarquable de voir des groupes de jeunes gens pénétrer
dans la mosquée, peu avant ou après la prière de Zuhr, pour prier à
l’un des coins en tant que groupe clos, derrière un imam spécial. Même
phénomène noté en septembre 1994 dans la mosquée Sinân Pacha,
quartier Barbaros à Istanbul.
Aussi,
les résultats politiques furent-ils éclatants, lorsque le gouvernement
algérien du FLN (Front de Libération National) tenta de faire preuve
de foi et de piété, dans une mosquée proche du port d’Alger le jour
de la fête Al-Adhâ en 1988. Conséquence : le peuple tout entier
se fâcha (ou se gaussa) lorsqu’il prit compte devant les écrans de télé
que des ténors du Parti d’Union Socialiste ignorent clairement
comment faire la prière. Peu de mois après, le FLN essuya un lourde
perte au mois d’octobre, dans un soulèvement populaire, alors que le
Front Islamique du Salut bénéficia du statut d’un parti légal.
Reste
encore beaucoup à dire là-dessus, mais il est temps pour la douce voix
de l’adhân de partir, faisant appel, à travers des dizaines
de microphones, à la prière de Maghrib. Celle-ci est due juste au
coucher du soleil, ce qui ne peut pas être renvoyé à plus tard.
"La
Route pour La Mecque", Murad Hoffmann.
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