De la passion de l’argent
Un proverbe turc dénote que l’amitié et l’argent sont inconciliables, tout comme l’eau et l’huile. De quelle nature est donc la relation entre la foi et l’argent ? Iraient-ils de pair ? Mais oui… L’impôt sur la fortune et l’argent (la zakâ) est en islam un de ses cinq piliers : donc une œuvre de culte obligatoire.
On saurait remarquer la mention proportionnée des cultes dans le verset 277 de la sourate Al-Baqara : « Ceux qui ont la foi, ont fait de bonnes œuvres, accompli la Salâ et acquitté la Zakâ auront certes leur récompense auprès de leur Seigneur. Pas de crainte pour eux, et ils ne seront point affligés.”
Ainsi, dans la même mesure où la prière étouffe la vanité de l’Homme, que le jeûne polit l’âme et s’oppose aux passions de l’Homme, le versement d’une zakâ réprime son avarice et dompte l’énorme disproportion entre les revenus des gens. C’est pourquoi l’impôt zakâ est imposé, soit 2.5 % des sommes d’argent, un an après leur possession.
L’interdiction de l’usure en islam se classe parmi les moyens de réaliser la même fin, à savoir : d’éviter l’accumulation ou la création de capitaux sans effort.
Maintes fois on trouve la zakâ incorrectement traduite dans les écrits des orientalistes par « l’aumône » ou « l’impôt de l’aumône » (ce qui implique en fait un contre-sens !). Or, une aumône est présentée par le musulman à titre purement volontaire et facultatif, puisque l’islam enjoint la charité. Alors que la zakâ est un impôt fixe et obligatoire que l’Etat musulman a le droit de recevoir – voire de percevoir – pour être en mesure de combler des besoins bien définis, précisés par le Coran dans le verset 60 de la sourate At-Tawbah :
« Les Sadaqâts ne sont destinés que pour les pauvres, les indigents, ceux qui y travaillent, ceux dont les cœurs sont à gagner (à l'Islam), l'affranchissement des jougs, ceux qui sont lourdement endettés, dans le sentier d'Allah, et pour le voyageur (en détresse). C'est un décret d'Allah! Et Allah est Omniscient et
Sage.”
Ainsi l'Etat musulman reçoit, ou perçoit-il la zakâ dans le dessein d'en entretenir les pauvres et indigents, les nouveaux musulmans, les voyageurs en détresse, les débiteurs et les détenus purgeant une peine ; d'en financer les affaires de gestion et de défense ; ainsi que “dans le sentier de Dieu”, autrement dit dans l'oeuvre pour relancer le statut de l'islam et pour le communiquer aux gens.
La zakâ en islam – se présentant comme une religion et un Etat – est un vital élément de construction. Ainsi, au refus de certaines tribus arabes de payer la zakâ au lendemain de la disparition du Prophète (pbAsl), le premier calife Aboû Bakr déclara-t-il la guerre contre eux, en tant qu'apostats.
Mais où se tient donc le musulman à l'Occident vis à vis de la zakâ ? En serait-il dispensé, vu que ses salaire, revenu et fortune sont déjà soumis aux impôts pour l'Etat non musulman ?
Etant donné que les Etats occidentaux n'allouent aucun “impôt ecclésiastique” pour servir ses communautés musulmanes – et partant ne concourent pas à une fin importante de la prescription de la zakâ, à savoir : de relancer le statut de l'islam et de le propager – j'en arrive à verser un extra impôt-zakâ à des institutions islamiques de mon choix, notamment en Allemagne. Celles-ci sauraient tenir consciencieusement à dépenser l'argent dans les canaux bien définis.
Parallèlement, je cède mes droits d'auteur aux maisons islamiques d'édition, soit en Allemagne, aux Etats Unis, en Algérie ou au Maroc. Une contribution de ma part à relancer le statut de l'islam et à le propager ; autrement dit : une contribution de ma part “dans le sentier de Dieu”.
Beaucoup de travailleurs musulmans étrangers acquittent la zakâ en Allemagne ; les centaines de mosquées et de centres culturels islamiques y en sont de parfaits témoins. Dans les mosquées, il y est des endroits pour recevoir les zakâ, exigibles une seule fois de l'année. Les sommes recueillies sont couramment si grandes que le budget saurait être mieux organisé.
Il va de soi que certaines mosquées allemandes reçoivent des “pétro-dollars”... Ceux-ci - séoudiens soit-ils, iraniens ou lybiens – marquent une empreinte spéciale selon leur origine.
Beaucoup de problèmes financiers devant les sectes et communautés musulmanes en Allemagne auraient pu être évités à la mise en place d'un système fiscal impeccable, comme est le cas des impôts ecclésiastiques chrétiens et juifs. Ce qui entraînerait, en contre partie, le soulèvement de questions politiques plus grandes à leur place, dont : le contrôle de la fortune et sa répartition dans une société multiculturelle.
C'est ce qui explique ma fiereté des musulmans Andalous qui, regroupés autour de Mr. Abdul Rahman Madina Molira et grâce au soutien et encouragement du toujours zélé, Rajaa (Roger) Garaudy, ont réussi à construire en 1994 une mosquée à Cordoue, la première depuis 800 ans, sans aides financières étrangères. Une mosquée qui se tient à seulement 100 mètres du site de l'ancienne Grande Mosquée de Cordoue. Désormais les musulmans Andalous ont le droit de faire l'appel à la prière par un adhân qui retentit depuis le minaret de la mosquée. Qui plus est, la mosquée se rattache à l'université islamique d'Andalousie, Averroès, inaugurée fin août 1994. Ainsi, l'indépendance des pétro-dollars réalisée par les musulmans d'Andalousie saurait-il servir d'exemple à ceux de l'Allemagne.
Mais que fait le musulman afin de préserver et accroître sa fortune ?
Cette question toujours liée au problème de "l'avarice" évoque vite cette double interdiction coranique : premièrement, il est prohibé au musulman - même du monde capitaliste - les jeux de hasard et les spéculations aux sommes d'argent ou aux loteries dans le but de réaliser des bénéfices spéculatifs. Deuxièmement, il est prohibé d'accorder des prêts à intérêts : le musulman doit gagner sa vie de son propre travail et des risques encourus par sa personne même.
Evidemment, la problématique du marché des capitaux en question est complexe. Et ce d'autant plus que les pays riches "les plus islamiques" de ce monde ne se gênent point pour avoir déposé des sommes collossales dans les banques usuraires occidentales. Pire encore, ils cherchent eux-mêmes à conclure des marchés bancaires à bases usuraires.
C'est pourquoi se sont tenues d'importantes discussions dans une réunion des musulmans germanophones - à Aachen, décembre 1986 - sur la définition de l'usure prohibée en vertu du verset 275 de la sourate Al-Baqara, discussions pour une meilleure compréhension. J'ai résumé alors mon approche comme suit : la définition de l'usure dans le coran et les hadiths, porte essentiellement - selon sa source historique - sur l'intérêt usuraire exploitant l'emprunteur en gêne et abusant de sa situation économique précaire. Partant, celui qui reçoit un crédit de la Banque Allemande en vue d'acheter une deuxième voiture n'est pas sujet à une exploitation de la part de la banque. J'ai de même souligné que les intérêts sur les dépôts d'épargne ne font souvent que compenser la perte provoquée par l'inflation ; le dépositeur rattrape ainsi son bénéfice manqué (lequel il saurait réalisé en cas d'une autre utilisation de son capital).
Je n'étais pas le seul à adopter cet avis, la réaction avait beau être négative : la plupart des participants aux débats s'en tenaient à la conception orthodoxe de l'usure, considérant la prohibition de l'intérêt une simple manifestation spéciale de la prohibition qui frappe l'usure en général.
Que fait donc le musulman Allemand de ses économies ? En dépit des efforts pénibles du Dr. Ayyoub Axel de l'Institut de l'Economie Internationale à Cologne, il ne se trouve pas encore en Allemagne une institution financière islamique. Absolument rien d'étonnant, si l'on passe en revue les difficultés qui obstruent encore la route au Pakistan vers une économie sans intérêts. Comment une compagnie saura-t-elle rassembler le capital à défaut d'intérêts ? Comment le faire à l'hypothèse corrélative des hauts risques menaçant ce capital ? Et comment une allocation de ressources dénuée d'intérêts fonctionnera-t-elle en tant que critère de bénéfice ? Quelle politique monétaire non périodique adoptera la Banque Centrale en l'absence de l'intérêt comme instrument ?
Qu'un musulman Allemand demande à la banque dont il est client de lui ouvrir un compte d'épargne sans intérêts serait une solution impossible : une pareille requête aurait dû faire écrouler le système bancaire tout entier ! Réponse prévue du fonctionnaire au guichet, d'après son expérience : Premièrement, "Nous n'avons jamais déjà fait cela !" Deuxièmement, "Nous avons toujours agi autrement !" Troisièmement, "Ce serait un précédent à servir d'appui à toute autre personne !"
Aussi, le fait de tenter une solution de la sorte indique-t-il simplement qu'il serait incorrect d'islamiser tout un système économique au moyen de la suppression des intérêts. Mesure toujours possible, en tant que partie d'un processus de changement - profond, réussi et à multiples aspects - visant la contraction du capitalisme comme système, ou sa modification pour ne plus contredire le système islamique.
Au fait, le problème tient encore, même en cas de formulation d'un système à comptes d'épargne exempt d'intérêts : les détenteurs de tels comptes n'aideraient-ils pas la banque à accorder des emprunts à intérêts ? Et ce, sans parler de la peine qu'éprouve la banque d'avoir affaire avec une clientèle musulmane d'orientation non économique. Les quelques messages que je reçois systématiquement de ma banque en sont témoins : "Honorable Mr. Hofmann, votre compte courant marque à présent un solde élevé. Pour cela, nous nous permettrons de vous faire observer d'alléchantes possibilités pour l'investir..."
Le musulman Allemand qui cherche à s'écarter du soupçon d'inconformité à la prohibition coranique des spéculation et usure ne contribue aucunement à des bénéfices provenance investissements à intérêts prédéterminés (dans la limite de certaines valeurs définies). Abstention aussi des bénéfices provenance affaires entachées de spéculation sur articles, actions ou monnaies. Ainsi, lui reste-t-il de placer ses sommes - en tant que capital productif - dans des investissements enveloppés de risque : s'associer à une copagnie commerciale, participer à des caisses d'investissement ou à des actions (en tant qu'investisseur, non que spéculateur). Activités à ne pas faire écrouler le marché financier Allemand !
Sous le principe islamique de la lutte contre l'avarice s'inscrit l'exhortation à immoler les sacrifices (les bêtes) soit pendant la fête d'Al-Adhâ, ou en autres occasions pour expier quelque péché, irrégularité, ... etc. On trouve dans le Coran et la Sounna des explications sur la manière d'immoler. Plus essentiel encore, ajoute le Coran :
"Ni leurs chairs ni leurs sangs n'atteindront Allah, mais ce qui L'atteint de votre part c'est la piété. Ainsi vous les a-t-Il assujettis afin que vous proclamiez la grandeur d'Allah, pour vous avoir mis sur le droit chemin. Et annonce la bonne nouvelle aux bienfaisants.
"
Sourate Al-Hajj – verset 37
La première fois que je vis comment immoler une bête de sacrifice était à Istanbul en 1982, lorsqu'on égorgeait une chèvre sur le trottoir à l'occasion de l'inauguration d'un nouveau magasin de chaussures. Je me sentis mal à l'aise à la vue de cette scène ; et ne cessais de le sentir jusqu'à présent, à chaque fois qu'un animal soit égorgé devant mes yeux. Ce qui eut lieu, cependant, une dizaine de fois.
Il est grand temps de sacrifier les chèvres pendant la fête Al-Adhâ, point culminant du mois de dhul-hijja ; c'est ce que j'ai détaillé dans le chapitre premier de ce livre. A Rabat, toute la nation attendait, devant les écrans de télévision, pour regarder le roi Hassan II acquittant son devoir d'égorger les bêtes sacrifice. Ce fut le premier compatriote à le faire ! Moi, comme tous les ambassadeurs musulmans, je participais - avec le roi - à la prière de la Fête dans la mosquée Ahl-Elfahs, aux alentours du palais. Ensuite, le souverain marocain se chargeait en personne d'égorger deux béliers cornus, plaçant un mouchoir blanc dans le sens de l'effusion du sang. Dans notre maison plus tard, je vis le cuisinier immoler deux autres, entouré des membres de sa grande famille. Il avait déjà acheté lui-même l'un des deux animaux, tandis que l'autre fut "un bélier royal", offert en cadeau par le roi.
Il m'est permis, selon la loi islamique, de déléguer quelqu'un pour l'égorgement de ma bête à sacrifier, à condition d'en être personnellement témoin, pour énoncer moi-même à ce moment "Au nom de Dieu !" Il s'en fut fallu quelques petites heures pour en venir à bout de notre portion de l'animal, à savoir : le foie rôti ! Quant au reste des portions, on les offrait en grandes pièces aux nombreux travailleurs dans notre maison.
Au Maroc, la naissance d'un bébé est l'une des plus fréquentes occasions d'immoler les bêtes sacrifice. Selon les coutumes, on convoque à un grand repas peu après l'heure habituelle du petit déjeuner. Ce serait de huit à quatorze jours après la venue du nouveau-né. On égorge à cette occasion une chèvre à l'estomac vide devant les caméras vidéo, comme sacrifice de remerciement à Dieu qui a parachevé l'heureux accouchement (ou pour repousser le mauvais oeil).
Les foires aux béliers peu avant la fête d'Al-Ad-hâ sont considérées comme un événement spécial. En mai 1994, en route de Ceuta vers Rabat, des milliers de têtes ovines entourées de leurs vendeurs nous barrèrent la route devant les portes de Tétouan. C'était cependant la joie pour tous ! Des moyens de transporter les moutons, aussi divers qu'étranges obstruèrent le chemin. Conséquence : il nous aurait fallu 1:30 pour dépasser ce souk, comparable à une ruche d'abeilles, et poursuivre notre chemin.
Notre déménagement en une maison renouvellée à Istanbul fut une autre occasion pour offrir des sacrifices, en reconnaissance à Dieu. Lieu pour la circonstance : les établissements charitables à la Mosquée du Sultan Ayyoub en Corne d'Or. Là-bas, on paie le prix de la bête, détermine comment en faire le partage et choisit la chèvre à sacrifier. On y assiste également à l'immolation, recevant sur le front - en tant qu'auteur du sacrifice - une goutte du sang de son offrande.
Dans leur vie quotidienne, les gens à l'Occident ferment les yeux sur les vérités désagréables de la vie, comme celles relatives à la naissance, le vieillissement, la maladie et la mort. Rien sur terre ne devrait perturber la paix de notre état d'esprit. Ainsi, la femme parturiente entre-t-elle la chambre d'accouchement, puis sort recevoir ses visiteurs en toute parure. Dans les hopitaux modernes, les patients sont transformés en clients d'hôtel. Les plus agés sont confiés à des abris (maisons) spéciaux qui les soignent ; le mot "vieilliard" serait donc loin de nous inquiéter. Et lorsqu'il s'agit de mort, on se trouve en Amérique disparu dans une "demeure au-delà"... Quelle ironie !
Pour ce qui est des animaux, que je faillis oublier, ils sont tués à répétition sans que nous en voyions, sentions ou entendions le processus. Or, on les reçoit sous forme de pièces prêtes à consommation : poitrines ou hanches nettoyées, strérilisées et emballées ; du frigidaire droit au four. Bref... de façon humaine.
Normalement, notre monde voit le sacrifice d'un animal vivant comme un acte de sauvagerie, sans sens ni but. Et ce, quoiqu'en ce même monde, l'homme ne cesse de nommer "offertoire" sa prière, ni de méditer sur le Vendredi Saint où le Seigneur a sacrifié son fils pour nous.
L'égorgement d'une bête pour sacrifice, de facto, n'est qu'une question de vie ou de mort. Tôt ou tard, l'animal perdra la vie, comme nous la perdrons nous-mêmes tôt ou tard. La différence entre les deux cas est là : la mort passe-t-elle comme un événement inéluctable, dont la conscience de fatalité fait partie de notre foi en Dieu, ou bien comme une fin ignoble?
Nonobstant, rappelons-nous que Dieu n'a part ni au sang ni à la chair de la bête à sacrifier, mais c'est à la glorification, à la piété et à la gratitude comportées dans le sacrifice que Dieu aura part. Voilà une bonne leçon à méditer!