Extrait de Instincto Magazine n° 40-41, avril-mai 1991, Editorial par G.-C. Burger
Une salle de bien mille personnes réunissait à Hambourg, les 4 et 5 mai, la crême des amateurs de santé et de nature de toute l'Allemagne.
J'ai pu vérifier combien nos voisins d'outreRhin sont en avance sur les Français en matière de diététique naturelle et surtout de crudivorisme. C'est là-bas un fait acquis qu'une alimentation 100 % crue est la base de la santé, ou, plus exactement, devrait l'être. Car une telle forme d'ascèse semble en même temps impossible à soutenir à long terme...
Cette impression, qui ressort de l'expérience de nombreux adeptes des théories régnantes, se confirma de manière inattendue dès l'ouverture du Congrès : les organisateurs nous annonçaient en effet l'absence, pour cause de maladie grave, de l'une des plus grandes vedettes germaniques du crudivorisme, Helmut Wandmaker, celuilà même qui devait ouvrir le programme. Des soins intensifs retenaient le conférencier en clinique, une inflammation des reins lui ayant valu une série de dialyses, plus un traitement d'urgence aux antibiotiques pour parer à une infection venue compliquer la situation, antibiotiques auxquels il s'était révélé allergique, seules quatre substances sur la centaine essayée se montrant utilisables. Bref, une affaire de santé assez compliquée que l'un de ses collaborateurs venait expliquer à des adeptes jusque là convaincus, dont on imagine le désappointement...
Autre déconvenue, le couple Diamond, dont le livre "Fit for life" s'est vendu à dix millions d'exemplaires et a fait la célébrité, se désistait et se faisait remplacer par une bande vidéo. Un autre conférencier encore annonçait son absence au dernier moment et envoyait son texte à faire lire en public : ce qu'on appelle, en allemand, un "Rezitat"...
C'est donc dans une certaine ambiance de déconfiture (aux fruits crus...) que je m'apprêtais à aborder le public. Un public dont je ne savais pas le moins du monde s'il allait être favorable ou hostile à une démarche dérangeante, déjà stigmatisée prÈcisement par Wandmaker. On se souvient aussi de ma réponse aux attaques d'un certain Chrisostomos, parue dans un précédent numéro. L'instinctothérapie ne dérange pas seulement la médecine conventionnelle, elle dérange tous ceux qui ont misé sur une approche non fondamentale du problème de l'alimentation et de la santé, surtout lorsque les intérêts sont en jeu.
Le deuxième exposé da la matinée était réservé au Professeur Moeller, grand patron de l'unité de Psychologie Médicale de l'Université de Francfort. Avec la maestria qui lui est propre, et fort d'une expérience de l'instinctothérapie longue de maintenant trois ans: "Ich praktiziere die Instinktotherapie seit drei Jahren nach Burger" (prononcez "burgéh", cela fait plus français...), le Docteur Moeller ouvrait les feux en abordant le thème délicat de la pratique d'une alimentation différente dans un contexte culinaire, tout particulièrement dans une famille qui refuse les idées nouvelles et sape le moral du crudivore solitaire... Un exposé très bien reçu, par un public attentif, impressionné comme on l'imagine de voir un représentant de l'élite universitaire prendre parti pour une théorie aussi révolutionnaire et la cautionner par sa propre expérience.
Il me restait nÈanmoins une certaine inquiétude pour mon propre exposé, vu lé nombre, d'une part, des végétariens qui peuplaient la salle (le Congrès était patronné par une grande maison d'édition spécialisée dans les ouvrages défendant le végétarisme, thèse qui coiffe en Allemagne toutes les autres tendances naturistes), d'autre part, des adeptes du frugivorisme cher à Wandmaker, sans compter les partisans des régimes de cru avec assaisonnements et produits laitiers. Je m'attendais à une certaine opposition et à des réactions agressives comme à l'accoutumée.
Surprise : à peine mon nom et celui de l'instinctothérapie eurent-ils été prononcés qu'un tonnerre d'applaudissement retentit... dépassant nettement ceux qui avaient accueilli les intervenants précédents et qui allaient accueillir les suivants. Précieux encouragement qui se confirma tout au long de mon exposé, ponctuant les points forts de la théorie d'une série de témoignages d'approbation dont la chaleur contrastait curieusement avec les habitudes du public francophone.
J'avais au total trente minutes pour convaincre mon auditoire des vertus de l'instinct et quinze pour répondre aux questions qui allaient m'être posées. Impossible donc de donner une vue exhaustive de notre approche. Il fallait choisir quelques thèmes parmi les plus parlants : les changements de perception olfactive et gustative en fonction du besoin, le plaisir retrouvé aux aliments non préparés grâce à l'équilibrage instinctif, le piège de la gastronomie, les dangers du lait et du blé, les antigènes alimentaires expliquant les maladies auto-immunes, les expériences sur la polyarthrite à Montpellier, les changements de comportement liés à l'absence d'excitants du système nerveux furent les principaux. Des applaudissements prolongés, me rappelant la fin des concerts que je donnais dans le même pays il y a une trentaine d'années, des visages souriants, des hochements de tête entendus me confirmèrent une réaction étonnamment positive du public allemand. Tout se passe comme si les questions que nous posons étaient déjà é depuis longtemps dans les consciences, l'instinctothérapie apportant enfin la réponse attendue.
Puis ce fut le tour des questions: comment faire avec les enfants, le problème de l'approvisionnement, etc. Tombant à point, la question d'un disciple de Wandmaker qui souffrait depuis six mois d'un oedème rebelle aux chevilles, un an après avoir mis en pratique, avec une rigueur toute germanique, les principes préconisés par son chef de file: régime frugivore intégral excluant tout légume et toute protéine animale. Tout instincto digne de ce nom saura mesurer l'erreur et ce témoignage venait à juste titre redresser la situation.
Dans son livre intitulé "Veux-tu être en bonne santé ? Oublie tes casseroles...", Wandmaker attaquait en effet vigoureusement l'mstinctothérapie pour ce qu'elle n'entre pas dans le consensus végétarien : "Il est inconcevable que les instinctopathes selon Burger considèrent précisément la viande de porc, la plus dégénérée et la plus pathogène de toutes, comme étant la meilleure. (...) Nous avons besoin des acides aminés des aliments vivants et non des protéines préfabriquées de cadavres en décomposition..."
Notons en passant la conception particulière que les "naturistes" se font de la notion d'acide aminé : ces molécules de base ne sont évidemment pas modifiées dans leur constitution par les enzymes des bactéries intervenant dans la putréfaction. Les enzymes ne font que découper en tronçons la chaîne des acides aminés qui constituent la protéine, les rendant disponibles commele fait la digestion. Une viande faisandée apparaît de ce fait comme prédigérée et moins dangereuse sur le plan immunitaire, les acides aminés isolés n'ayant plus aucune fonction antigénique, ce que traduit certainement l'attraction instinctive nettement plus forte que pour la viande fraîche.
Wandmaker m'avait en fait déçu, en utilisant sans les remettre en question les grands épouvantails du consensus végétarien, comme si son but était de repousser la menace d'une doctrine montante au lieu d'essayer de la comprendre. Il balayait du même coup la théorie de l'instinct et se trouvait renvoyé aux contradictions internes propres à tout régime. Ironiquement, le sort venait prouver au public que les principes monolithiques, même proches de la nature comme le frugivorisme intégral, sont inévitablement sources de déséquilibres. Les troubles rénaux qui lui avaient fait friser la mort, comme ceux de son disciple oedèmateux, contrastaient, dans un étrange sentiment de malaise, avec l'allure naturiste et louable d'un retour aux fruits du paradis...
II ne s'agit aucunement de se réjouir des malheurs d'autrui. Les simples faits sont pourtant venus, une fois de plus, trancher un débat qui, sinon s'enlisait dans la théorie.
Il est essentiel de manger des fruits / Il est dangereux de manger des fruits : seul l'instinct, évidemment, permet de sortir du dilemme.
L'exposé d'un autre conférencier allait, le lendemain, confirmer encore une fois, la valeur de notre point de vue. La cohorte des médecines naturelles allemandes semble en effet glisser dans la peur d'un ennemi nouveau : le Candida Albicans, champignon microscopique en général anodin, qui semble se parer soudainement de tous les atours des agents pathogènes les plus inquiétants de l'armada pastorienne. Cette méchante mycose envahit des tubes digestifs de plus en plus nombreux, elle va jusqu'à provoquer des diarrhées rebelles, des vaginites désespérantes, des malaises de toutes espèces dont les médicaments classiques semblent incapables de venir à bout. Seule une potion particulière, de mise au point récente, donnerait l'espoir de s'en débarrasser...
Etrange impression, dans un milieu clairement imprégné de retour à la nature et de confiance dans l'organisme comme peuvent l'être ces milieux allemands de médecine naturelle, que de voir ressurgir une optique qui est précisément celle de l'ennemi pasteurien... L'agent pathogène se cachait sous les traits innocents d'un blanc champignon qui nous veut tout à coup du mal, le seul recours nous est donné par un médicament insaisissable auquel on prête une puissance magique, que seuls quelques sorciers avertis (dont le conférencier luimême... ) peuvent nous dispenser : nous retrouvons là le signalement caractéristique de toute médecine qui, faute de remonter à la cause des causes chère à Hippocrate, s'en prend au symptôme.
La chose apparaît plus clairement quand on sait que pratiquement tous les bébés sont infectés par ce "dangereux" champignon, que l'on baptise à cette occasion du nom d'une fleur: le muguet ; que ce muguet apparîlt aussi de façon visible chez les bébés instinctos dont l'alimentation est déséquilibrée, par exemple par suite d'un excès de fruits ; qu'il disparaît même chez les sidéens avec une instinctothérapie bien équilibrée, alors que les défenses immunitaires sont censées être au plus bas. En résumé, le déséquilibre alimentaire suffit pour provoquer la prolifération d'un micro-organisme qui se contente sinon de vivre dans une symbiose parfaitement silencieuse, symbiose dont rien ne nous interdit de postuler l'utilité, encore inconnue, comme chaque fois qu'il s'agit d'équilibres naturels.
Le phénomène psycho-médical que répète cette nouvelle chasse au démon, survenant dans un milieu qui prétendait justement s'en affranchir, a de quoi nous amuser: l'ignorance de l'instinct et, tout bêtement, l'excès de fruits absorbés par un public épris de crudivorisme, semblent bien, là comme pour la maladie de Wandmaker, expliquer le phénomène.
Dans l'ensemble, je garde de ce bref passage en Allemagne l'impression que l'instinctothérapie apporte une réponse essentielle et que cette réponse arrive à point. Sans la clé de l'instinct, le problème de la diététique ne peut être résolu de manière satisfaisante, pas plus par les voies naturistes que par les voies conventionnelles. A nous de rendre le message compréhensible, et la tâche me parait de plus en plus réalisable : il est plus facile d'apporter la réponse quand les autres se posent déjà la question...