FILMS CULTES
2001: L'ODYSSÉE
DE L'ESPACE (2001: A SPACE ODYSSEY)
1968
Par Louis-Philippe Coutu-Nadeau
INTRODUCTION
En 1968 sorti un film qui allait devenir un jalon dans les annales du cinéma, surtout quand l'on parle d'utilisation de la musique. Il s'agit du chef-d'uvre signé Stanley Kubrick, 2001: L'Odyssée de l'Espace. Rare est le nombre de ceux qui ont compris ce film de science-fiction à sa juste valeur. Au point de vue esthétique, il surpassait ses prédécesseurs et s'installa comme étant le précurseur d'un cinéma qui emploi la musique pour souligner les émotions, mais aussi pour la narration. Empruntant des airs classiques de Johann et Richard Strauss ainsi que de György Ligeti, Kubrick nous offre un spectacle visuel inégalé, et sonore à l'avenant. C'est le 6 avril 1968 que le public du monde entier put voir le film, et c'est à cette même date que les critiques débutèrent le cortège d'interprétations entourant son aspect philosophique. Sans plus tarder, voici le contexte socio-historique, le résumé de l'histoire, l'aspect technologique industriel, l'esthétique et surtout, la pléthore d'idéologies que l'on retrouve dans 2001: L'Odyssée de l'Espace.
CONTEXTE SOCIO-HISTORIQUE
À la fin des années 60, les États-Unis et la Russie étaient en pleine guerre à savoir qui allait mettre le pied sur la Lune. Fort heureusement, la Guerre Froide entre le capitalisme et le communisme était dans une phase tranquille, ce qui permis de faire place aux progrès spatiaux. Si la Russie a le mérite d'avoir envoyé le premier homme dans l'espace, Youri Gagarine, le 12 avril 1961, les Américains peuvent se vanter d'avoir fait le premier pas sur le satellite naturel en orbite autour de notre planète bleue le 20 juillet 1969. Ce fut Neil Armstrong qui exécuta ce "petit pas pour l'homme", mais ce "bond de géant pour l'Humanité". Durant cette diffusion en directe, la BBC utilisa d'ailleurs le thème musical de 2001: L'Odyssée de l'Espace, apparut un an auparavant. Cette avancée incroyable pour la science fut l'événement le plus regardé à la télévision, l'ennemi du cinéma depuis son apparition en 1954. Kubrick eu la brillante idée de tourner son film qui brise toutes les formes de narration possible. Ce dernier se divise en quatre parties distinctes.
RÉSUMÉ DE L'HISTOIRE
La première partie nous renvoie quatre millions d'années avant cette ère, alors que l'homme était encore un primate sans capacité de raisonner, au même titre que les autres animaux. Deux clans de singes se disputent un étang d'eau dans un lieu aride. À leur réveil le lendemain, l'un des deux groupes découvre un monolithe mystérieux qui se dresse devant eux. C'est à cet instant précis qu'un des singes décide d'utiliser un os en guise d'arme et l'intelligence de l'homme naquis par la même occasion. Cette raison distingue l'homme de l'animal et l'os permet d'assassiner un des singes ennemis, ce qui serait le premier meurtre de l'histoire de l'Humanité. Dans la seconde partie, Kubrick nous catapulte en 2001, alors qu'un mystérieux monolithe est découvert sur le sol lunaire. Un conseil décide de cacher cet objet de la population terrestre avant de savoir son origine. Dans la troisième partie, le Discovery part en mission vers Jupiter pour identifier la source de signaux. Le vaisseau est entièrement contrôlé par HAL-9000 (voix de Douglas Rain), un ordinateur intelligent capable de réfléchir. Le docteur Dave Bowman (Keir Dullea) et le docteur Frank Poole (Gary Lockwood) sont les seuls astronautes qui ne sont pas dans un sommeil profond, et au moment où HAL semble commettre une erreur, ils tentent de le désactiver. En sus de contrôler l'engin, HAL tente de les contrôler à leur tour en les tuant. Heureusement, Bowman parvient à cesser sa folie et il poursuit seul son odyssée vers Jupiter. La quatrième et dernière partie est la plus complexe des quatre et elle contient l'une des scènes les plus incroyables de l'histoire du cinéma. Bowman se retrouve dans une porte stellaire qui le propulse dans une autre dimension. Là, il renaîtra sous forme d'un ftus.
Il faut savoir que pour le scénario du film, Stanley Kubrick a travaillé en étroite collaboration avec l'auteur de nouvelles de science-fiction, Arthur C. Clarke. Le scénario original de 2001: L'Odyssée de l'Espace a pris seulement 58 jours à être écrit (du 13 octobre 1965 au 9 décembre 1965). La deuxième partie du film est basée sur la nouvelle The Sentinel, qu'Arthur C. Clarke a écrit en 1948, tandis que la première partie du film est inspirée de Encounter at Dawn, du même auteur. Une chose inouïe que Kubrick a apporté aux films de science-fiction, c'est que son film ne montre pas d'extraterrestres ni de guerres intergalactiques. C'est un film de science-fiction pour adultes. Au fait, le sigle HAL provient de Heuristic ALgorithmic Computer, mais si on change chaque lettre par celle qui la suit dans l'alphabet, cela nous donne IBM.
L'ASPECT TECHNOLOGIQUE INDUSTRIEL
Pour le tournage de 2001: L'Odyssée de l'Espace, Stanley Kubrick avait tous les pouvoirs quant aux décisions. Cette opportunité allait de pair avec le succès de ses précédentes uvres, Lolita (1962) et Docteur Folamour (1964). Contrairement aux mouvements du néoréalisme italien (1945-1952) et de la Nouvelle Vague française (1959-1967) qui privilégiaient les tournages en décors réels, 2001: L'Odyssée de l'Espace a été entièrement tourné dans les studios de Metro-Goldwyn-Mayer (MGM). Une immense sphère qui tourne sur elle-même a été fabriquée afin de pouvoir faire la scène inédite où Dave Bowman court pour s'entraîner. Beaucoup de maquettes ont été utilisées pour les vaisseaux et les autres objets devant une toile noire parsemée d'étoiles pour représenter la réalité le plus fidèlement possible. Ce principe sera repris par George Lucas pour sa première trilogie de La Guerre des Étoiles de 1977 à 1983. Quant à la fameuse porte stellaire qui tire sa source du cinéma expérimental, c'est grâce à Douglas Trumbull que nous pouvons assister à cette apothéose cinématographique. Il a eu le feu vert de la part de Kubrick, geste très rare de la part du cinéaste. Le film, ou plutôt un travail de longue haleine, offre aussi un son unique puisqu'il a été développé sur six pistes différentes, ce qui était nouveau à l'époque. C'est pourtant le procédé que l'on appelle THX de nos jours et il est utilisé couramment. Pour le sol lunaire, plusieurs tonnes de sable ont été acheminé dans le studio.
L'ESTHÉTIQUE
Pour l'esthétique de ce film atypique, Kubrick a utilisé des angles de caméra révolutionnaires qui remettent en question toute notion de gravité. Les plans-séquences sont nombreux sur les airs musicaux, mais quand il n'y a pas de musique, les plans sont normaux. La première et la dernière partie sont entièrement silencieuses, il n'y a aucun dialogue avant la 25e minutes du film et les dernières 23 minutes sont tout aussi muettes. La voix de Douglas Rain a été ajouté au montage; il n'a donc jamais visité le plateau de tournage. Aucun acteur du film n'a connu d'ascension dans le milieu du cinéma. Kubrick n'a donc pas misé sur le vedettariat pour promouvoir son film. De plus, la fin du film est très métaphorique et philosophique. Ce n'est pas du tout un " happy end " ordinaire. On ne peut passer sous silence l'ellipse la plus célèbre de l'histoire du cinéma: quand l'os se change en fusée entre la première et la deuxième partie. Il nous propulse de quatre millions d'années, soit du passé de l'homme vers son futur inconnu. Avec un budget de près de 10.5 millions de dollars, Kubrick a eu l'audace de traiter un film qui parle de la préhistoire alors que le monde était en plein changement social.
On ne peut que dire de Kubrick qu'il est un auteur puisqu'il a sa propre signature en plus d'intervenir dans chaque phase de la production. Son thème de prédilection est celui du côté obscur de l'homme qui est plus fort que son côté clair. Il montre l'avers de la médaille, mauvais et sinistre, plutôt que le revers, bon et posé. Dans Orange Mécanique (1971), Kubrick fait même preuve d'auto-référentialité en montrant le disque vinyle de 2001: L'Odyssée de l'Espace dans la scène où Alex va chez le marchand de disques.
LES IDÉOLOGIES
"L'homme est une corde tendue entre l'animal et le Surhomme, une corde au-dessus d'un abîme." Cette phrase pourrait être la prémisse du film, mais il s'agit surtout d'une citation que le philosophe allemand Friedrich Nietzsche a écrit dans son livre Ainsi parlait Zarathoustra en 1883. 2001: L'Odyssée de l'Espace traite ainsi du passé animal de l'homme ainsi que la destinée surhumaine qui l'attend. Il est loisible de croire que Kubrick adhère clairement aux écrits de Nietzsche puisqu'il présente en images cette philosophie. Ainsi parlait Zarathoustra est aussi le titre de la chanson d'ouverture et de fermeture du film composée par Richard Strauss. Il sied de dire que le film s'ouvre et se termine sur la philosophie de Nietzsche.
De plus, le film se divise en quatre parties indépendantes l'une de l'autre. Le fil d'Ariane est le monolithe dont la signification pourrait être une métaphore de Dieu et de la raison. Il est présent lorsque l'homme, encore un être primitif, pense à se défendre contre les autres espèces, et lui-même. Il est aussi sur la Lune quand l'homme pousse sa raison jusqu'à explorer d'autres lieux dans l'espace. Finalement, l'homme devient à son tour un Créateur lorsqu'il crée HAL qui pense par lui-même. Voilà ce qui pousse Bowman à devenir un surhomme: l'envie de l'Humanité à atteindre la même position que son propre créateur. D'où le nom Bowman, "l'homme sagittal" qui est propulsé dans une autre dimension à la fin. La flèche symbolise "la pensée qui introduit la lumière et l'organe créateur, qui ouvre pour féconder, qui dédouble pour permettre une synthèse c'est aussi le trait de lumière, qui éclaire l'espace clos, parce qu'on l'ouvre." Ladite fin s'explique par le fait qu'il se retrouve dans un lieu à l'abri de l'espace et des repères chronologiques. À ce moment, on est dans sa tête; la bande sonore indique qu'il est sur une table d'expérimentation où des extraterrestres l'analysent en usant un sabir incompréhensible. On dit que l'homme est pris entre ces deux chose : il ne connaît pas l'infiniment petit ni l'infiniment grand et il ignore son passé et son futur. Bowman devient alors le maître de céans qui renaît sous la forme embryonnaire d'un être capable de contrôler l'espace et le temps. Il devient un Dieu, comme le disait Nietzsche dans sa philosophie.
Outre le monolithe, Kubrick a fait plusieurs références à un Créateur. Par exemple, la planète Jupiter n'a pas été choisie au hasard. Dans la mythologie romaine, Jupiter est le Dieu suprême (Zeus pour les Grecs). Tout comme Jupiter, Kubrick " ne recherche ni le dialogue, ni la persuasion : il tonne. " Il faut toutefois mentionner qu'à l'origine, c'était Saturne qui était la planète visée. Mais Kubrick et son équipe n'ont pas été capable de créer les anneaux de Saturne. Aussi, la salle quand on est dans la tête de Bowman date de la période médiévale, sous le règne du Roi-Soleil, Louis XIV. Finalement, dans la première partie du film, il y a 13 singes autour du monolithe. Le 13e membre d'un groupe était considéré, dans l'Antiquité, comme le plus puissant et le plus sublime. Parmi les douze autres dieux, Zeus est le 13e et l'auguste. Donc, on pourrait dire que le singe qui raisonne dans la première partie est le 13e du clan qui deviendra un Créateur dans sa destinée. Dans le tarot, la mort est un recommencement après l'achèvement d'un cycle. C'est pourquoi Bowman renaît dans un nouveau cycle, où il sera un surhomme.
Ainsi, 2001: L'Odyssée de l'Espace c'est l'évolution de l'intelligence humaine, mais aussi le combat de l'homme contre la machine dans la troisième partie. Un ennemi qu'il s'est lui-même inventé. Stanley Kubrick, grand expert aux échecs, a même illustré ce combat quand HAL et Dave Bowman jouent l'un contre l'autre à ce jeu. Le premier monolithe pousse l'homme à raisonner, le second le pousse à créer et le troisième le pousse à explorer l'inconnu.
CONCLUSION
Pour conclure cette analyse, voici des statistiques intéressantes à
savoir à propos de 2001: L'Odyssée de l'Espace. L'American
Film Institute (AFI) le considère comme le 22e meilleur film jamais réalisé
dans son top 100 de tous les temps. Le 26 août 2004, le journal The
Guardian consacra 2001: L'Odyssée de l'Espace comme étant
le second meilleur film de science-fiction, derrière Blade Runner
(1982) de Ridley Scott. Il faut savoir aussi que Stanley Kubrick a reçu
un Oscar pour les meilleurs effets visuels en 1969. À mon sens, ce film
n'est pas une uvre de science-fiction. C'est plutôt un documentaire
métaphorique et philosophique sur l'évolution de l'homme. Un film
de Stanley Kubrick, c'est une lampe magique. Lorsque tu t'y frottes, tu vois
émaner tout le génie du cinéaste dans chaque image et dans
chaque son. 2001: L'Odyssée de l'Espace est classé numéro
un dans mes films favoris car il est intelligent, subtil et très agréable
à contempler à chaque visionnage. Les films contemporains sont
des casse-tête où chaque pièce est tirée d'un classique
d'autrefois. Un collage de la sorte mérite-t-il porter le sceau d'uvre
cinématographique? Non.
Faits intéressants:
- La première ligne de dialogue est dite après 25 minutes et 38 secondes. Les 23 dernières minutes sont aussi muettes que le commencement du film. Donc, sur une durée de 2h28, le film a 1h28 de dialogues.
- Le scénario original de 2001: L'Odyssée de l'Espace a pris seulement 58 jours à être écrit (du 13 octobre 1965 au 9 décembre 1965). La partie du film se situant sur la Lune est basé sur la nouvelle The Sentinel, qu'Arthur C. Clarke a écrit en 1948, tandis que celle du début sur l'origine de l'homme est inspiré de la nouvelle Encounter at Dawn, du même auteur.
- 2001: L'Odyssée de l'Espace est considéré comme l'un des meilleurs films de science-fiction (avec Blade Runner (1982)), notamment parce que les vaisseaux ont remplacé leurs gros réacteurs bruyants par de belles formes gracieuses se déplaçant sous des airs classiques de la musique.
- La preuve que Stanley Kubrick a le soucis des détails: nous pouvons voir les instructions pour l'éjection des explosifs sur une porte et ce, à peine une seconde à l'écran.
- Le budget étant d'environ 10.5 millions de dollars, ses recettes mondiales sont largement supérieures, soit un montant total de 190.7 millions de dollars.
- Douglas Rain, qui faisait la voix de l'ordinateur HAL, n'a jamais visité le plateau de tournage.
- La fille de Stanley Kubrick, Vivian, est la petite fille que l'on voit dans la télévision pour son anniversaire.
- Dans un autre film de Stanley Kubrick sorti en 1971, Orange Mécanique, le réalisateur a fait une révérence à son précédent film, 2001: L'Odyssée de l'Espace (1968), dans la scène où Alex (Malcolm McDowell) se rend au magasin de disques et il demande si sa commande est arrivée. Au bas du plan, on voit clairement la pochette du disque vinyle de 2001: L'Odyssée de l'Espace, tout juste avant que Alex parle aux deux jeunes femmes.
-Réalisé par: Stanley Kubrick
-Distribution:Keir Dullea / Dr Dave Bowman
Gary Lockwood / Dr Frank Poole
William Sylvester / Dr Heywood R. Floyd
Daniel Richter / Moonwatcher
Leonard Rossiter / Dr Andrei Smyslov
Margaret Tyzack / Elena
Robert Beatty / Dr Rolf Halvorsen
Sean Sullivan / Dr Bill Michaels
Douglas Rain / voix de HAL 9000
Frank Miller / voix du Contrôleur de la mission
Bill Weston / Astronaute
Ed Bishop / Capitaine du Aries 1B Lunaire
Glenn Beck / Astronaute
Alan Gifford / Père de Frank Poole
Ann Gillis / Mère de Frank Poole-Genre: Science-Fiction / Aventures
-Durée: 148 minutes
-Budget: 10.5 millions
-Date de sortie: 3 avril 1968