FILMS CULTES
LA DOUCEUR DE VIVRE (LA 
  DOLCE VITA)
  1960
  
Par Steve Généreux
  
  Federico Fellini est né à Rimini, en Italie, en 1920. À 
  l'âge de 19 ans, après avoir passé deux mois à Florence, 
  Fellini part vivre à Rome. Le 12 avril 1939, il obtient un essai dans 
  l'hebdomadaire satirique à grand tirage le Marc'Aurelio pour faire partie 
  de l'équipe à part entière à partir de juin 1939. 
  Ce journal avait une rédaction qui comptait les humoristes les plus célèbres 
  de l'époque. Son passage au journal sera marqué par les rencontres 
  avec des professionnels du cinéma comme Macario, Aldo Fabrizi et Tullio 
  Pinelli. Durant la période de Fellini au Marc'Aurelio, l'Italie est sous 
  l'emprise du fascisme et le 3 Septembre 1939, la Deuxième Guerre mondiale 
  éclate. Évidemment, cette période de l'Histoire a grandement 
  influencé le jeune Fellini car, en 1942, il abandonne peu à peu 
  le journalisme pour écrire, en collaboration avec Aldo Fabrizi, Piero 
  Tellini et autres, des scénarios comme Avanti c'è posto (Mario 
  Bonnard, 1942), Campo de' fiori (Mario Bonnard, 1943) et L'Ultima carrozzella 
  (Mario Mattoli, 1943), qui sont vus par plusieurs comme des signes avant-coureurs 
  du néo-réalisme italien. Ces trois films témoignent d'une 
  nouvelle approche de la réalité, celle de l'Italie de la guerre 
  sous l'emprise du fascisme. Le futur réalisateur a également travaillé 
  pour la société de production ACI, dirigée par Vittorio 
  Mussolini, où il a rencontré Roberto Rosselini. Mais, en juillet 
  1943, la chute de Benito Mussolini entraîne la fermeture de plusieurs 
  maisons de production (incluant l'ACI) et, à cause de l'armistice de 
  septembre 1943, toutes les productions cinématographiques sont interrompues, 
  ce qui oblige Fellini à un repos forcé qui va durer environ un 
  an. Fellini va profiter de ce congé forcé pour se marier, en octobre 
  1943, avec Giulietta Masina (La Strada (Fellini, 1954)), une femme qu'il a rencontrée 
  lorsqu'il composait des sketches pour la radio. Au mois de juin 1944, Rome est 
  libérée par les américains. Fellini profite de cet événement 
  pour faire beaucoup d'argent en ouvrant une boutique de caricature pour les 
  soldats américains. Quelques mois plus tard, Rossellini a été 
  chercher Fellini pour un projet de court-métrage qui allait devenir plus 
  tard Rome ville ouverte (Roberto Rossellini, 1945). Ce film deviendra, en quelque 
  sorte, celui qui débutera le courant avant-gardiste : le néo-réalisme 
  italien. Mais c'est en collaborant de nouveau avec Rossellini, avec Paisà 
  (Roberto Rossellini, 1946), que Fellini a une révélation pour 
  le cinéma. " En suivant Rossellini pendant qu'il tournait Paisà, 
  à l'improviste il m'apparut clairement - une joyeuse révélation 
  - que l'on pouvait faire du cinéma avec la même liberté, 
  la même légèreté, avec lesquelles l'on dessine ou 
  l'on écrit. " Pendant la Deuxième Guerre mondiale, le grand 
  studio Cinecittà a été bombardé, ce qui a forcé 
  les réalisateurs d'après-guerre à se rapprocher de la vraie 
  vie et des vrais gens. Ils tournaient leurs films avec la technique et l'esthétique 
  du documentaire pour montrer avec le plus de réalisme possible les conséquences 
  de cette guerre sur le peuple italien. Donc, quatre ans après la révélation 
  du cinéma avec Paisà, Fellini réalise son premier film 
  avec Les feux du music-hall (Fellini, 1950). Dans l'ensemble de sa carrière, 
  Fellini a eu deux styles complètement différents. De Les feux 
  du music-hall (Fellini, 1950) à Les nuits de Cabiria (Fellini, 1957), 
  Fellini emprunte beaucoup au néo-réalisme sans faire complètement 
  parti de ce courant. Par contre, du film Juliette des esprits (Fellini, 1965) 
  à La voix de la lune (Fellini, 1990), il développe son propre 
  style et son propre langage cinématographique. Entre ces deux périodes, 
  Fellini réalise deux films de " transition ", La dolce vita 
  (Fellini, 1960), que nous allons analyser plus tard, et 8 ½ (Fellini, 
  1963). Michel Estève compare ce changement aux frères Lumières 
  et à Méliès. " 
 depuis 8 ½, la vision 
  créatrice de l'auteur, loin de demeurer fidèle au néo-réalisme, 
  s'insère délibérément dans l'onirisme et l'imaginaire. 
  Fellini est passé de Lumière à Méliès. " 
  Il a laissé tomber son côté documentaire (néo-réalisme 
  italien) pour aller un peu plus vers l'imaginaire du nouveau cinéma d'art 
  européen.
À partir de La dolce vita, l'uvre de Fellini se retrouve dans le courant cinématographique du nouveau cinéma d'art européen (le cinéma moderne). Dans la fiction moderne, le réalisateur nous rappelle que nous regardons un film en représentant les mécanismes du cinéma (par exemple : 8 ½, où Fellini fait du cinéma dans le cinéma), en nous donnant l'impression que la caméra vit d'elle-même (comme les longs plans-séquences du bal avec Sylvia dans La Dolce vita), en utilisant des personnages stéréotypés (les professeurs caricaturés dans Amacord (Fellini, 1973)), en se servant du montage évident (les jump-cuts dans La cité des femmes (Fellini, 1980)), en utilisant le cinéma de la distanciation (Fellini s'attarde souvent sur des choses complètement inutiles à l'intrigue qui n'est qu'accessoire) et en jouant sur l'ambiguïté de la fin (une fin ouverte). Tel que mentionné plus tôt, Fellini a développé son style et son propre langage cinématographique. Son style est, en quelque sorte, le réalisme magique car, tout en ayant l'air réel, on tombe dans l'imaginaire du réalisateur. Le spectateur sent qu'il y a une force supérieure qui le manipule. La grande signature de Fellini est sa fameuse caméra 360 degrés dans des plans-séquences . Le grand réalisateur est conscient de son impact, ce qui l'amène à se référer à lui-même tout en continuant de se référer à d'autres uvres (autant littéraire que cinématographique). Il est aussi reconnu pour ses changements de ton (changements d'atmosphère) remarquables, c'est-à-dire juxtaposer deux scènes qui ont une ambiance complètement opposée.
 Maintenant, nous allons analyser le premier film qui marque le changement 
  du style de Federico Fellini, La dolce vita. Commençons par l'analyse 
  du personnage principal Marcello Rubini (interprété par Marcello 
  Mastroianni). Comme dans la plupart des films du cinéma moderne, le personnage 
  principal est très stéréotypé, il n'a pas vraiment 
  de profondeur et il est le contraire du héros hollywoodien des films 
  classiques (il est donc un anti-héros). Marcello Rubini est un journaliste 
  à potin qui est en pleine crise existentielle, il cherche un sens à 
  sa vie (sens qu'il ne trouvera jamais). Le film s'avéra être, pour 
  Marcello, une véritable descente aux enfers et sa relation amoureuse 
  se dégrade au fur et à mesure que l'histoire avance. La dolce 
  vita a aussi un aspect blasphématoire qui marque l'époque de contestation 
  des années 60 (il est considéré comme le premier film de 
  la révolution sexuelle). Dans la scène d'ouverture, Jésus 
  est accroché à un hélicoptère qui survole Rome et 
  le Vatican, ce qui est, en quelque sorte, une insulte à la religion chrétienne 
  car on peut comparer métaphoriquement ce geste à un rejet de Jésus 
  par la société. De plus, la scène où Marcello parle 
  avec une autre personne dans une église et que celui-ci se met à 
  jouer de l'orgue montre le non-respect de la " maison de Dieu ". Fellini 
  fait aussi une double critique de la société avec la scène 
  de l'apparition de la Sainte Vierge. D'un côté, il critique encore 
  une fois la religion catholique en traitant d'un sujet plutôt mystique, 
  qui est la Sainte Vierge, en montrant les abus que des enfants peuvent faire 
  en profitant de la naïveté des gens et des failles de la religion 
  chrétienne. Ce qui est ironique avec cette scène, c'est qu'elle 
  se termine par la mort de l'enfant d'une femme qui demandait justement que la 
  Sainte Vierge le soigne. De l'autre côté, il critique le cirque 
  médiatique causé par les paparazzis . Les paparazzis sont dépeints 
  d'une manière peu reluisante, ils sont décrits comme des bêtes 
  assoiffées de potins qui sont prêt à tout pour arriver à 
  trouver un " scoop " (cette scène ainsi que celle où 
  Mme. Steiner revient voir sa famille, que son mari a tuée avant de s'enlever 
  la vie, et que les paparazzis s'acharnent sur elle en lui posant plusieurs questions 
  avant qu'elle ne sache qu'est-ce qui se passe en font preuve). Fellini critique 
  ainsi le non-respect des paparazzis pour la vie privée des gens.
  
  Contrairement aux films hollywoodiens classiques, tout ce qui est dans La dolce 
  vita n'est pas vraiment nécessaire à l'intrigue, si il y a une 
  intrigue. Le spectateur est jeté dans la vie d'un homme pour qui rien 
  n'est acquis, un homme qui se cherche dans un monde terriblement complexe dans 
  lequel chacun est capable de faire les choses les plus immorales (par exemple 
  : la scène de l'orgie finale où tout le monde semble à 
  son niveau le plus bas). Au lieu que ce film soit une histoire linéaire, 
  il est plutôt un assemblage de plusieurs parties indépendantes, 
  des blocs séparés qui sont reliés pour un former un seul 
  film (exemple : la partie avec Sylvia, interprété par Anita Ekberg, 
  les parties avec la femme de Marcello, la partie avec le père de Marcello, 
  etc.), donc ce film se résume à des tranches épisodiques 
  de la vie de Marcello qui dédramatisent l'histoire. La mise en scène 
  de La dolce vita est marquée par la signature de Fellini, qui est la 
  caméra 360 degrés et les changements de ton. La scène du 
  bal avec Sylvia en témoigne car la caméra suit les personnages 
  lorsqu'ils dansent et elle s'adapte à différents styles musicaux 
  (du jazz au rock'n roll en passant par de la musique classique), ce qui provoque 
  une atmosphère différente à chaque fois. Fellini veut aussi 
  montrer qu'il y a une certaine incommunicabilité dans la société. 
  Par exemple, lorsque Maddalena entraîne Marcello dans une salle vide et 
  qu'elle lui parle par l'intermédiaire d'un intercom, les deux se communiquent 
  des sentiments sans se voir, cela montre une certaine dépendance à 
  la technologie qui empêche la " vraie " communication. La scène 
  d'ouverture (lorsque Marcello est en hélicoptère et qu'il parle 
  à des femmes sur une terrasse) montre aussi une certaine incommunicabilité 
  de la société car des deux côtés, Marcello et les 
  femmes sur la terrasse, ils font semblant de se comprendre, mais en réalité 
  ils n'essaient même pas d'écouter l'autre. Pour finir, la fin de 
  La dolce vita est ambiguë (ouverte). Après la scène de l'orgie, 
  où tous les gens présents s'étaient abaissés à 
  leur niveau le plus bas, ils vont tous sur le bord de la plage où ils 
  voient des pêcheurs qui ont pêché un gros poisson un peu 
  bizarre. Le poisson repêché pourrait représenter métaphoriquement 
  la vie perdue de ces gens. Tout au long du film, ce groupe de personnes se croit 
  au dessus de tout le monde, ils vivent la vie avec douceur. Ils ne vivent que 
  pour s'amuser sans porter de jugement critique et sans regarder les problèmes 
  présents dans la société, bref ils errent sur la terre 
  sans se poser de questions. De plus, Fellini veut montrer encore une fois le 
  manque de communication. Lorsque la jeune serveuse du bar essaie de parler à 
  Marcello qui est sur la rive opposée, Marcello ne comprend rien de ce 
  qu'elle dit, alors il repart avec ses " amis " sans avoir rien compris. 
  Avec cette scène, on ne sait pas trop si c'est le début de la 
  prise de conscience du personnage principal sur le fait que sa vie est vide 
  et qu'il erre sur la terre sans but précis ou si il va tout simplement 
  continuer de vivre sa vie sans essayer de changer quelque chose. Finalement, 
  dans le dernier plan du film, la jeune femme regarde directement dans la caméra 
  ce qui affirme les mécanismes du cinéma (en nous rappelant que 
  nous regardons un film) et qui rejoint l'esprit du nouveau cinéma d'art 
  européen. Ce plan nous rappelle aussi qu'il y a quelqu'un qui manipule 
  notre pensée : le réalisateur.
Personnellement, je considère que La dolce vita est un véritable chef d'uvre car dans son contexte socio-historique, qui est celui des années 60, il est un précurseur pour la contre-culture et pour plusieurs autres remises en question. En 1960, tous les habitants de la terre commençaient à se remettre de la Deuxième Guerre mondiale. Après avoir été témoin des choses les plus horribles que l'humanité était capable de commettre (l'extermination des juifs, l'envoie de bombes nucléaires, etc.), l'homme a commencé à réfléchir sur l'Histoire pour essayer de trouver ce qui est propre à l'humanité, il voulait savoir où il en était rendu. Alors, Fellini ne fait pas exception à la règle et il a, avec La dolce vita, fait une véritable critique (pour ne pas dire caricature) de la société. Il voulait montrer le côté sombre de la société en dénonçant l'errance humaine. Ce film est aussi, comme mentionné plus tôt, le premier film de la révolution sexuelle qui durera pendant toutes les années '60-'70. Je trouve que Fellini a été très audacieux d'avoir critiqué les valeurs prônées à l'époque par l'Église catholique et les conservateurs. Tout d'abord, il critique les valeurs familiales avec la scène où monsieur Steiner tue ses deux enfants avant de s'enlever la vie. Ensuite, Fellini critique l'amour avec la relation ambiguë de Marcello et Emma. Marcello n'a pas vraiment l'air en amour avec elle, il est loin de lui rester fidèle et il va même jusqu'à nier cette relation (lorsqu'il parle avec son père). Fellini critique également les personnes qui ont La dolce vita en dénonçant clairement qu'ils ne sont qu'une façade et qu'ils sont complètement vides de personnalité (ironiquement, le seul qui se posait des questions sur la vie est celui qui s'est enlevé la vie car il s'était rendu compte que la vie n'avait aucun sens). Finalement, comme nous l'avons vu précédemment, il critique aussi la religion et la communication dans la société.
En conclusion, le courant (ou tendance) cinématographique du nouveau cinéma d'art européen (incluant les Fellini, Bergman, Antonioni, etc.) est sans aucun doute mon courant favoris car il a complètement changé la face du cinéma autant par l'esthétique personnalisée par laquelle on reconnaît l'auteur que par l'idéologie employée. Pour ce qui est de Fellini, je crois qu'il a prouvé avec son uvre qu'il est un auteur accomplit. On peut le qualifier d'auteur pour plusieurs raisons. Premièrement, il a son mot à dire sur toutes les étapes de la production (du scénario au montage) et il a droit au " final cut ". Il s'est créé son propre style (le réalisme magique), il a sa propre signature par lequel on le reconnaît et il a même un adjectif à son nom.
" Fellinien, enne : adj. Qui évoque l'imaginaire de Fellini. Une créature fellinienne. "
Dans l'ensemble de son uvre, Fellini a une certaine récurrence 
  de thèmes, mais il s'adapte à toutes les époques. Par exemple, 
  il emploi souvent l'image de la femme idéalisée (Sylvia dans La 
  dolce vita, les femmes en général dans Amacord, etc.) ou l'image 
  de la prostituée (Maddalena dans La dolce vita, la nymphomane dans Amacord, 
  la prostituée qui danse avec les jeunes dans 8 ½, etc.). Il met 
  en scène des types d'ambiance semblables, comme l'ambiance du music-hall, 
  des cabarets, du cirque, des bals, etc. Fellini emploi les mêmes thèmes, 
  mais en les améliorant selon les époques. Par exemple, en 1963, 
  Fellini fait une scène où le harem de Guido (Marcello Mastroianni) 
  commence une révolution (dans 8 ½). 17 ans plus tard (Dans La 
  cité des femmes en 1980), le personnage interprété par 
  Marcello Mastroianni se retrouve dans un hôtel où les femmes font 
  une autre révolution pour affirmer leur sexualité, mais beaucoup 
  plus radicale car l'action se passe après la révolution sexuelle 
  des années '60-'70. C'est le principe même de l'auto-référentialité. 
  Pour La dolce vita, je trouve ce film formidable car il est très avant-gardiste 
  et la critique sociale est faite d'une manière brillante et révolutionnaire. 
  Le côté technique est complètement éblouissant, comme 
  l'uvre de Fellini en entier d'ailleurs, donc ce n'est pas surprenant qu'il 
  ait gagné la Palme d'or au festival de Cannes en 1960. Malheureusement 
  pour le monde du cinéma, Federico Fellini est mort subitement d'un arrêt 
  cardiaque à Rome le 31 octobre 1993.
-Réalisé par: Federico Fellini
-Distribution:Marcello Mastroianni / Marcello Rubini
Anita Ekberg / Sylvia
Anouk Aimée / Maddalena
Yvonne Furneaux / Emma
Magali Noël / Fanny
Alain Cuny / Steiner
Annibale Ninchi / Père de Marcello
Walter Santesso / Paparazzi
Valeria Ciangottini / Paola
Riccardo Garrone / Riccardo
Ida Galli / Débutante de l'Année
Audrey McDonald / Jane
Polidor / Clown-Genre: Drame
-Durée: 174 minutes
-Date de sortie: 19 avril 1961 (Italie: 5 février 1960)