L'Action nationale

bulletin - série 2003

Un marché de dupes
Le Québec canadian est un p’tit Québec.

Robert Laplante
Directeur de L'Action nationale 15 décembre 2003

Voilà des mois que ça dure. Un vent de changement souffle, paraît-il, sur le Canada. Si l’on se fie au babillage médiatique, le nouveau Premier ministre n’aurait rien en commun avec le «vieux » ministre des Finances, celui-là qui a organisé la plus grande arnaque sur la caisse d’assurance-emploi.

La métamorphose serait-elle à ce point efficace pour faire oublier le flibustier qui pratique l’évasion fiscale en faisant battre pavillon de complaisance aux navires qui font sa fortune ? Réussira-t-elle à faire oublier que cet homme a été l’architecte de la stratégie d’asphyxie fiscale en passe de réduire à l’insignifiance le pouvoir de l’Assemblée nationale du Québec ? Parviendra-t-elle à semer l’amnésie au point de faire oublier les manœuvres de celui-là qui a permis aux membres de l’establishment de transférer des centaines de millions dans des fiducies familiales à l’abri du prélèvement fiscal ?

Il faut en convenir, Paul Martin réussira tout cela. Il le fera parce que le Canada est prêt à payer ce prix, parce que les Canadians ont accepté de soumettre leur démocratie au parti unique plutôt que de faire la moindre concession envers tout ce qui aurait pu avoir l’air d’un signe de reconnaissance du caractère bi-national du Canada. Ils sont désormais convaincus que la question du Québec est réglée. Ils sont tout à la construction de leur vie nationale, de leur réalité nationale enfin délestée de l’encombrant fardeau de la différence québécoise.

Et c’est en cela que Paul Martin leur apparaît l’homme du changement. Jean Chrétien n’était plus, pour eux, qu’une relique fadasse, le témoin d’une époque jugée non seulement révolue, mais dont le souvenir mérite même d’être chassé de la vie publique. La vie normale enfin, pour un pays normal. Un pays anglais enfin gouverné selon les vœux de sa majorité désormais débarrassée de la mauvaise conscience des uns, des lamentations des autres, enfin soulagée de n’avoir plus même à préserver les apparences, à faire semblant d’être conciliante avec sa grosse minorité geignarde. Tous canadian once and forever.

Chez Gesca on entonne un vieux refrain pour mieux feindre de ne rien entendre. Les analyses ont déjà commencé de pleuvoir pour compter les anglo bilingues, pour soupeser l’influence du Québec dans le cabinet, pour savoir si les nouveaux gérants de la bourgade seront plus influents que les anciens lieutenants retournés jouer les plantons d’arrière-banc. On va nous vanter la profondeur de vue, l’expérience et la fraîcheur des nouveaux promus, se réjouir du changement de ton, se remettre même à prétendre que les choses vont s’améliorer … pour aussitôt se répandre en nuances pour dire que, tout compte fait, elles n’auront pas tant à changer puisque, Chrétien parti, l’on constate déjà que le plus inacceptable était dans la manière…

La mise en scène de la nouveauté ne suffira cependant pas à cacher une continuité lamentable. Paul Martin, comme tous ceux qui l’ont précédé, a encore trouvé le moyen de nommer un francophone de service pour faire la sale besogne. Pierre Pettigrew, son nouveau concierge, ne sera puissant à la Santé que pour mieux faire la politique qui visera le Québec à la jugulaire. Un précieux pédant pour nous servir la condescendance d’Ottawa pour nos grabataires !

Il fallait y penser. Avec quelle délicatesse affectée va-t-il nous expliquer qu’il faut passer outre les compétences québécoises pour laisser primer la compassion canadian !

Pendant que les manifestants se promettent d’en remettre, exaspérés par la positions et l’attitude de leur Premier sous-ministre, c’est le Canada qui fait la loi dans nos rues. Car la politique de Jean Charest n’est rien d’autre qu’un produit de mauvaise sous-traitance. L’adversaire de l’article 45 du Code du travail nous donne en effet une illustration parfaite de l’ordre qu’il entend voir régner.

Son donneur d’ouvrage est à Ottawa, il doit faire avec ce qu’on lui laisse et il en fera payer le prix à ceux qui s’exécutent. Le Québec canadian est un p’tit Québec. Ses institutions ne sont plus au service du bien commun et de l’élaboration des finalités collectives, ce sont des relais. Des relais que Paul Martin a instrumentalisés en appliquant une politique fiscale et budgétaire qui a programmé la réduction du gouvernement du Québec au rang d’agence de livraison de services.

Ce que Jean Charest tente de présenter comme de la fermeté n’est en réalité que du consentement. Il n’est rien de plus et rien d’autre qu’un francophone de service en poste à la succursale plutôt qu’à la maison-mère.

Un nouveau gouvernement sous Paul Martin ? C’est bien secondaire car il servira le même État, il continuera la même politique, il construira la même nation où l’on veut nous dissoudre. Les fédéralistes québécois peuvent bien s’agiter à disserter sur l’essence de la nouveauté, ils s’activent sur une question futile parce qu’ils ont déjà cédé sur l’essentiel. Avec Paul Martin, le Canada peut enfin se penser comme un État achevé, c’est-à-dire comme l’État qui a achevé d’en finir avec le scrupule que suscitaient, de temps à autre dans sa classe politique,

les fédéralistes qui tentaient de définir un destin spécifique pour le Québec. Ils ont désormais renoncé à ce rôle et se contentent de se disputer des plans de carrière à s’occuper de la clientèle électorale. Et comme ils sont nombreux et les places qui comptent, en diminution, la rareté des fauteuils qu’ils occupent achève de les convaincre qu’ils en ont d’autant plus de valeur. Ils transigent sur un marché de dupes.

N.B. Le Bulletin du lundi fait relâche pour la période des Fêtes. Joyeux Noël et Bonne Année !