L'Action nationale
bulletin - série 2003
Un marché de dupes
Le Québec canadian est un p’tit Québec.
Robert Laplante
Voilà des mois que ça dure. Un vent de changement souffle,
paraît-il, sur le Canada. Si l’on se fie au babillage
médiatique, le nouveau Premier ministre n’aurait rien en
commun avec le «vieux » ministre des Finances, celui-là qui a
organisé la plus grande arnaque sur la caisse
d’assurance-emploi.
La métamorphose serait-elle à ce point
efficace pour faire oublier le flibustier qui pratique
l’évasion fiscale en faisant battre pavillon de complaisance
aux navires qui font sa fortune ? Réussira-t-elle à faire
oublier que cet homme a été l’architecte de la stratégie
d’asphyxie fiscale en passe de réduire à l’insignifiance le
pouvoir de l’Assemblée nationale du Québec ? Parviendra-t-elle
à semer l’amnésie au point de faire oublier les manœuvres de
celui-là qui a permis aux membres de l’establishment de
transférer des centaines de millions dans des fiducies
familiales à l’abri du prélèvement fiscal ?
Il faut en convenir, Paul Martin réussira tout cela. Il le
fera parce que le Canada est prêt à payer ce prix, parce que
les Canadians ont accepté de soumettre leur démocratie au
parti unique plutôt que de faire la moindre concession envers
tout ce qui aurait pu avoir l’air d’un signe de reconnaissance
du caractère bi-national du Canada. Ils sont désormais
convaincus que la question du Québec est réglée. Ils sont tout
à la construction de leur vie nationale, de leur réalité
nationale enfin délestée de l’encombrant fardeau de la
différence québécoise.
Et c’est en cela que Paul Martin leur apparaît l’homme du
changement. Jean Chrétien n’était plus, pour eux, qu’une
relique fadasse, le témoin d’une époque jugée non seulement
révolue, mais dont le souvenir mérite même d’être chassé de la
vie publique. La vie normale enfin, pour un pays normal. Un
pays anglais enfin gouverné selon les vœux de sa majorité
désormais débarrassée de la mauvaise conscience des uns, des
lamentations des autres, enfin soulagée de n’avoir plus même à
préserver les apparences, à faire semblant d’être conciliante
avec sa grosse minorité geignarde. Tous canadian once and
forever.
Chez Gesca on entonne un vieux refrain pour mieux feindre de
ne rien entendre. Les analyses ont déjà commencé de pleuvoir
pour compter les anglo bilingues, pour soupeser l’influence du
Québec dans le cabinet, pour savoir si les nouveaux gérants de
la bourgade seront plus influents que les anciens lieutenants
retournés jouer les plantons d’arrière-banc. On va nous vanter
la profondeur de vue, l’expérience et la fraîcheur des
nouveaux promus, se réjouir du changement de ton, se remettre
même à prétendre que les choses vont s’améliorer … pour
aussitôt se répandre en nuances pour dire que, tout compte
fait, elles n’auront pas tant à changer puisque, Chrétien
parti, l’on constate déjà que le plus inacceptable était dans
la manière…
La mise en scène de la nouveauté ne suffira cependant pas à
cacher une continuité lamentable. Paul Martin, comme tous ceux
qui l’ont précédé, a encore trouvé le moyen de nommer un
francophone de service pour faire la sale besogne. Pierre
Pettigrew, son nouveau concierge, ne sera puissant à la Santé
que pour mieux faire la politique qui visera le Québec à la
jugulaire. Un précieux pédant pour nous servir la
condescendance d’Ottawa pour nos grabataires !
Il fallait y
penser. Avec quelle délicatesse affectée va-t-il nous
expliquer qu’il faut passer outre les compétences québécoises
pour laisser primer la compassion canadian !
Pendant que les manifestants se promettent d’en remettre,
exaspérés par la positions et l’attitude de leur Premier
sous-ministre, c’est le Canada qui fait la loi dans nos rues.
Car la politique de Jean Charest n’est rien d’autre qu’un
produit de mauvaise sous-traitance. L’adversaire de l’article
45 du Code du travail nous donne en effet une illustration
parfaite de l’ordre qu’il entend voir régner.
Son donneur
d’ouvrage est à Ottawa, il doit faire avec ce qu’on lui laisse
et il en fera payer le prix à ceux qui s’exécutent. Le Québec
canadian est un p’tit Québec. Ses institutions ne sont plus au
service du bien commun et de l’élaboration des finalités
collectives, ce sont des relais. Des relais que Paul Martin a
instrumentalisés en appliquant une politique fiscale et
budgétaire qui a programmé la réduction du gouvernement du
Québec au rang d’agence de livraison de services.
Ce que Jean
Charest tente de présenter comme de la fermeté n’est en
réalité que du consentement. Il n’est rien de plus et rien
d’autre qu’un francophone de service en poste à la succursale
plutôt qu’à la maison-mère.
Un nouveau gouvernement sous Paul Martin ? C’est bien
secondaire car il servira le même État, il continuera la même
politique, il construira la même nation où l’on veut nous
dissoudre. Les fédéralistes québécois peuvent bien s’agiter à
disserter sur l’essence de la nouveauté, ils s’activent sur
une question futile parce qu’ils ont déjà cédé sur
l’essentiel. Avec Paul Martin, le Canada peut enfin se penser
comme un État achevé, c’est-à-dire comme l’État qui a achevé
d’en finir avec le scrupule que suscitaient, de temps à autre
dans sa classe politique,
les fédéralistes qui tentaient de
définir un destin spécifique pour le Québec. Ils ont désormais
renoncé à ce rôle et se contentent de se disputer des plans de
carrière à s’occuper de la clientèle électorale. Et comme ils
sont nombreux et les places qui comptent, en diminution, la
rareté des fauteuils qu’ils occupent achève de les convaincre
qu’ils en ont d’autant plus de valeur. Ils transigent sur un
marché de dupes.
N.B. Le Bulletin du lundi fait relâche pour la période des
Fêtes. Joyeux Noël et Bonne Année !
Directeur de L'Action nationale