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PROCLAMATION OF PIERRE CLÉMENT LAUSSAT
[NA:SD, Orleans Terr. Papers, II]
[November 30, 1803]
PROCLAMATION
Au Nom De la République Française.
Pierre Clément Laussat, Préfet Colonial, Commissaire du Gouvernement Français, Aux Louisianais.
LOUISIANAIS, La mission qui m'avait transporté à travers 2500 lieues de mer au milieu de vous, cette mission dans laquelle j'ai
long-tems placé tant d'honorables espérances & tant de voeux pour votre bonheur, elle est aujourd'hui changée: celle dont je suis en ce moment le
ministre & l'exécuteur, moins douce quoiqu'également flatteuse pour moi, m'offre une consolation, c'est
qu'en général elle vous est encore beaucoup plus avantageuse.
En vertu des pouvoirs & des ordres respectifs, les Commissaires de S.M.C. viennent de me remettre le pays, & vous voyez les étendards flottans de la République Française & vous entendez le bruit répété
de ses canons vous annoncer en ce jour de toutes pa[rtes] le retour de sa domination sur ces Plages: elle n'y sera, LOUISIANAIS, que d'un instant, & je suis à la veille de les transmettre aux Commissaires des Etats-Unis, chargés d'en prendre
possession, au nom de leur Gouvernement Fédéral: ils sont près d'arriver; je les attends.
Les approches d'une guerre commencée sous de sanglans & terribles auspices & menaçante pour les quatre parties du monde, ont conduit le Gouvernement Français à reporter son attention & ses
réflexions sur ces contrées: des vues de prudence & d'humanité, s'alliant à des vues d'une politique plus vaste, plus solide, dignes en un mot du génie qui balance à cette
heure même de si grandes destinées parmi les Nations, ont alors donné une direction nouvelle aux intentions bienfaisantes de la France sur la Louisiane: elle l'a
cédée aux Etats-Unis d'Amérique.
Vous devenez ainsi, LOUISIANAIS, le gage chéri d'une amitié qui ne peut manquer d'aller se fortifiant de jour en jour entre les deux
Républiques & qui doit contribuer si puissamment à leur commun repos & à leur commune prospérité.
L'article III du Traité ne vous échappera point: "Les Habitans, y est-il dit, des territoires cédés seront incorporés dans l'union des Etats-Unis, & admis, aussitôt qu'il sera possible, d'après les principes de la
Constitution Fédérale, à la jouissance de tous les droits, avantages & immunitès des Citoyens des Etats-Unis; &, en attendant, ils seront maintenus & protégés dans la jouissance [de] leurs libertés, propriétés & dans
l'exercice des religions qu'ils professent".
Vous violà donc, LOUISIANAIS, investis tout d'un coup d'un droit acquis aux prérogatives d'une constitution & d'un gouvernement libres, élevés par la force, cimentés par les traités,
& éprouvés par l'expérience & les années.
Vous allez faire partie d'un Peuple déjà nombreux & puissant, renommé d'ailleurs par son
activité, son industrie, son patriotisme, ses lumières, & qui, dans sa marche rapide, promet de remplir un des rangs les plus brillans que jamais
Peuple ait occupé sur la face du Globe.
Sa position est à la fois tellement heureuse, que ses succès ni sa splendeur ne
peuvent néanmoins de long-tems nuire à sa félicité.
Quelque bienveillantes & pures que fussent les volontés d'une mèrepatrie, ne le savez-vous pas? un immense éloignement est un rempart inexpugnable en faveur de l'oppression, des
exactions & des abus: souvent même la facilité & la certitude de les y couvrir corrompt l'homme qui les envisageait d'abord avec le plus de haine & de crainte.
Dès à présente vous cessez d'être exposés à cet inconvénient
funeste & désespérant.
Par la nature du gouvernement des Etats-Unis & des garanties dans la jouissance desquelles vous entrez sur le champ, vous aurez, sous un régime même p[ro]visoire,
des chefs populaires, impunément sujets à vos réclamations & à votre censure, & qui auront un besoin permanent de votre estime, de vos suffrages & de votre affection.
Les affaires & les intérêts publics, loin de vous être interdits, seront vos affaires & vos intérêts propres, sur lesquels les opinions sages & impartiales seront sûres à
la longue d'obtenir une influence prépondérante, & auxquels même vous ne pourriez demeurer indifférens sans encourir d'amers repentirs.
L'éporque arrivera promptement où vous vous donnerez une forme de gouvernement particulier qui, en même-tems qu'elle respectera les maximes sacrées consignées dans le pacte social de
l'union fédérale, sera adaptée à vos moeurs, à vos usages, à votre climat, à votre sol, à vos localités.
Mais vous ne tarderez pas surtout à ressentir les précieux avantages d'une justice intègre, impartiale, incorruptible, où les formes invariables de la procédure & sa publicité, où
les bornes soigneusement posées à l'arbitraire de l'application des lois concourront, avec le caractère moral & national des juges & des jurys, à répondre efficacement aux Citoyens de leur sûreté
& de leurs propriétés; car c'est ici un des attributs singulièrement propres à la domination sous laquelle vous passez.
Ses principes, sa législation, sa conduite, ses soins, sa vigilance, ses encouragemens, pour les intérêts de l'agriculture & du commerce, & les progrès qu'ils y ont faits sont bien connus de vous, LOUISIANAIS,
& le sont par la part même que vous en avez retirée avec tant de fruit dans ces dernières années.
Il n'y a point & ne peut y avoir de métropole sans monopole colonial plus ou moins exclusif: au contraire, de la
part des Etats-Unis, vous n'avez à attendre qu'une liberté sans limites à l'exportation, & que des droits à l'importation combinés seulement au gré de vos besoins publics ou de votre industrie
intérieure: par l'extrême concurrence, vous acheterez bon marché, vous vendrez cher & vous recueillerez en outre les bénéfices d'un immense entrepôt: le Nil de l'Amérique, ce Mississipi, qui baigne,
non des déserts d'un sable brûlant, mais les plaines les plus étendues, les plus fécondes, les plus heureusement situées du nouveau Monde,
se verra incessamment, sous les quais de cette autre Alexandrie, couvert des mille vaisseaux de toutes les Nations.
Parmi eux, vos regards, je l'espère, LOUISIANAIS, distingueront toujours avec complaisance le Pavillon Français, & sa vue ne cessera de récréer vos coeurs: tel est notre ferme espoir; je la professe formellement ici au nom
de mon pays & de son Gouvernement.
BONAPARTE, en stipulant, par l'article VII du traité, que les Français seraient admis pendant douze ans, à commercer sur vos rivages aux même conditions & sans payer d'autres droits que les citoyens
mêmes des Etats-Unis, a eu pour l'un de ses principaux buts, celui de donner, aux anciennes liaisons entre les Français de la Louisiane & les Français de l'Europe,
l'occasion & le tems de se reformer, de se resserrer, de se perpétuer. Une nouvelle correspondance de rapports va s'établir entre nous d'un continent à l'autre, d'autant plus satisfaisante & durable qu'elle sera purement fondée sur une constante réciprocité de sentimens,
de services & de convenances. Vos enfans, LOUISIANAIS, seront nos enfans, & nos enfans deviendront les vôtres: vous les enverrez perfectionner leurs connaissances & leurs talens au milieu de nous,
& nous les enverrons parmi vous accroître vos forces, votre travail, votre industrie, & arracher avec vous à une nature encore indomptée ses tributs.
Je me suis plû, LOUISIANAIS, à opposer avec quelque étendue ce tableau aux reproches touchans d'abandon & aux tendres regrets, que
l'attachement ineffaçable d'une infinité d'entre vous à la patrie de leurs ancêtres leur ont fait exhaler en cette circonstance: la France &
son Gouvernement en entendront le récit avec amour & reconnaissance; mais vous leur rendrez avant long-tems par votre propre expérience cette justice qu'ils se sont signalés envers vous par le plus
éminent & le plus mémorable des bienfaits.
La République Française retrace, dans cet événement, la première aux siècles modernes l'example d'une Colonie qu'elle émancipe volontairement elle-même, l'exemple d'une de ces Colonies dont
nous retrouvons avec charme l'image dans les beaux âges de l'antiquité: puissent ainsi de nos jours & à l'avenir un Louisianais & un Français ne se
rencontrer jamais sur aucun point de la terre sans se sentir attendris & portés à donner mutuellement le doux nom de frères;
puisse ce titre être seul capable de représenter désormais l'idée de leurs éternels engagemens & leur libre
dépendance!
A la Nouvelle-Orléans, le 8 Frimaire an XII de la République Française & 30 Novembre 1803.
Signé LAUSSAT.
Par le Préfet Colonial, Commissaire du Gouvernement Français, le Secrétaire de la Commission, Signé DAUGEROT.
[Endorsed] Citizen Laussats'[sic] Address &c to the Lousianian's [sic]
.
««RETOUR»».
Source: Territorial Papers of the United States, Volume IX: The Territory of Orleans,
1803-1812 (Clarence E. Carter, ed., Washington: U.S. Government Printing Office, 1940), 126-129.
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