La mémoire de Mirabel


ENTRE MIRABEL ET DORVAL,
L'HISTOIRE FERA LE PARTAGE

La memoire de Mirabel
PAR GILLES BOILEAU, GÉOGRAPHE

Le dossier Mirabel-Dorval ne peut laisser personne indifférent. Survenant au coeur de la région la plus importante du Québec, cette décision d'abandonner partiellement Mirabel au profit de Dorval pourrait avoir un effet exemplaire sur tout le Québec.

Considéré comme un des plus vastes projets d'aménagement du territoire, politiciens et universitaires en ont presque fait un exemple parfait et universel, un vrai modèle! Vingt-cinq ans plus tard, on parle d'erreur. Or si Mirabel fut une erreur, ce ne fut pas de construire un nouvel aéroport international dans la région de Montréal mais plutôt de le vouloir démesuré, de déstructurer un territoire deux fois séculaire, de brimer et de traiter injustement des milliers de Québécois et de ne pas donner à cet aéroport tous les moyens dont il aurait eu besoin pour se développer et assurer son avenir.

Nous avons voulu faire revivre partiellement l'histoire de Mirabel. Nous l'avons fait en nous inspirant largement de La mémoire de Mirabel et en nous souvenant de la longue lutte menée par des milliers de compatriotes pour conserver leur terre et leur dignité. Nous avons puisé d'autant plus généreusement dans La mémoire de Mirabel que nous avons collaboré à la rédaction de ce témoignage avec M. Jean-Paul Raymond, le regretté président du Centre d'Information et d'Animation Communautaire au sein duquel étaient regroupées la majorité des victimes de l'expropriation.

Au sein du regroupement des expropriés, M. Jean-Paul Raymond et Mme Rita Lafond sont ceux qui ont combattu le plus férocement pour que les villageois et les agriculteurs des paroisses dépouillées de leurs terres et de leur identité par l'annonce de l'expropriation finissent par retrouver un jour leur dignité. Ce fut fait entre 1985 et 1988. Depuis lors, M. Raymond nous a quittés pour un monde meilleur et Mme Lafond continue de se dévouer pour les siens dans son milieu. À l'annonce du transfert des vols internationaux de Mirabel à Dorval, elle eut une réaction spontanée... «J'ai l'impression de voir rouvrir le cercueil» a-t-elle dit sur les ondes de Radio-Québec. Comme elle avait raison!

La grande tricherie

Nous nous souvenons tous de ces grands panneaux jaunes apposés sur les granges et les maisons du territoire exproprié et par lesquels les victimes du grand hold-up du 27 mars 1969 voulaient manifester leur mécontentement et leur profonde indignation envers les autorités fédérales qui, tout d'un coup, venaient les déposséder de leur patrimoine et de l'héritage qu'ils se proposaient de laisser à leurs enfants. On parlait alors du hold-up de Mirabel. La récente décision des autorités d'ADM (Aéroports de Montréal) nous obligera à revoir toute l'histoire de Mirabel et nous forcera surtout à ajouter un autre chapitre, assez triste je crois, à ce drame qui a injustement frappé, il y a plus d'un quart de siècle déjà, quelques milliers de paisibles citoyens et leurs familles.

Rappelons au passage ce qu'écrivait Mgr Charles Valois, évêque de Saint-Jérôme et grand défenseur des expropriés, dans La Mémoire de Mirabel... «Les habitants des onze villages touchés par l'expropriation de Mirabel ont connu eux aussi l'exil, comme le peuple de Dieu dans l'Ancien Testament.

Plusieurs sont partis, sous une pression aussi injuste qu'à courte vue; d'autres sont devenus des étrangers sur les terres que leurs ancêtres avaient arrachées à la forêt». C'est le 27 mars 1969 que le gouvernement fédéral annonçait publiquement son intention de construire le nouvel aéroport international de Montréal, connu par la suite sous le nom de Mirabel. Pour donner suite à ce projet démentiel, le gouvernement libéral d'Ottawa a exproprié près de 100 000 acres des meilleures terres agricoles du Québec.

Aujourd'hui nous comprenons que jamais la perte de ces terres fertiles et de ce patrimoine unique n'aurait pu être compensée par les avantages fictifs et illusoires d'un aéroport devenu aujourd'hui gênant et coûteux et dont on cherche toujours la véritable vocation. Les dernières décisions, prises dans une sorte de panique politico-économique, prouvent à tous qu'on aurait pu épargner à des milliers de personnes et à des centaines de familles une quantité appréciable de soucis et de chagrins.

Pendant plus de quinze ans, de 1969 à 1985 surtout, des fonctionnaires méprisants, des hommes politiques arrogants, des concitoyens indifférents et bien d'autres ont assisté sans broncher à la lutte que menaient les hommes et les femmes de Mirabel. Le harcèlement psychologique et la constante guerre des nerfs menée avec hargne et méchanceté contre les expropriés ont failli venir à bout de la patience et du courage de plusieurs. À partir de 1969, les propriétaires de Mirabel, et en particulier les agriculteurs, ont vécu une situation difficile, injuste, humiliante et pénible, parfois même dramatique à un point que nous avons peine à imaginer aujourd'hui. Avec le temps, au bout d'une lutte aussi longue qu'acharnée, les expropriés de Mirabel ont retrouvé la lumière et leur fierté. Aujourd'hui, on vient leur dire que c'était une erreur et que jamais on aurait dû les exproprier. ¨

Quel jugement devrions-nous porter sur l'ineffable Pierre-E. Trudeau qui parlait de ces 10 millions de passagers qui feraient de Mirabel un des plus grands aéroports au monde? Mais plutôt que de perdre notre temps à nous remémorer les bêtises de ceux qui ont imaginé cette vaste et triste escroquerie, il serait peut-être plus utile de nous employer à trouver des solutions aux problèmes que créera cette nouvelle forme d'expropriation.

Laisserons-nous les expropriés d'hier devenir les victimes d'une nouvelle forme d'expropriation sans rien dire? Jean-Paul Raymond parle de l'expropriation Laissons M. Raymond, le grand leader des expropriés de Mirabel, raconter comment il a vécu les premières heures de cette grande tourmente qui s'est abattue sur les paysans de Mirabel en 1969... «Quand j'ai appris la nouvelle de l'expropriation, j'ai commencé par essayer de savoir si c'était bien vrai ou si ce n'était qu'une fausse rumeur. On avait bien entendu la nouvelle à la radio et on avait lu dans les journaux que le nouvel aéroport serait construit dans la région de Sainte-Scholastique. Qu'est-ce que cela pouvait bien vouloir dire au juste? C'est le ministre Marchand qui a lancé la primeur sur les ondes de la radio, le 27 mars 1969, entre deux et trois heures de l'après-midi. - M. Jean-Paul Raymond. leader des expropriés de Mirabel. Phographie de Gilles Boileau.-

C'est comme ça qu'on l'a appris. Puis le lendemain matin, on a couru les journaux pour savoir où le gouvernement voulait situer son projet exactement, pour savoir si nous allions véritablement être expropriés ou non». «C'est dans La Presse qu'on a vu le plan pour la première fois. Là, on a vu que la petite paroisse de Sainte-Monique était toute expropriée. C'était clair, pas moyen de se tromper: comme je restais dans une paroisse qui devait disparaître totalement, j'allais devoir disparaître moi aussi. C'est donc le lendemain, 30 mars, que j'ai su que je devrais partir avec toute ma famille. Nous devrions quitter une terre que les Raymond cultivaient depuis 1804. Ça n'a pas été long que nous en avons tous jasé entre nous, parents, voisins et amis, aussi bien dans le village que dans les rangs. Déjà, plusieurs questions nous venaient à l'esprit.

Il vont prendre combien de temps pour nous shipper? Quand va-t-on être obligé de partir? C'était la première question et la plus importante. Deuxième question: où va-t-on aller? Troisième question: quand allons-nous être payés? Quel montant allons-nous recevoir? Dans combien de temps? Plus on réfléchissait, plus on se posait de questions. On en était rendu à faire toutes sortes de déductions et de suppositions».

«A peine trois ou quatre jours après l'annonce de cette nouvelle surprenante, les gens d'Ottawa convoquèrent une grande assemblée à Sainte-Scholastique. Il y avait des fonctionnaires, des députés, des ministres autant du provincial que du fédéral. Gaston Binette, le député du comté de Deux-Montagnes à Québec, était présent. Il y avait aussi "Bédeau" Laurin, le préfet du comté. C'était à l'époque où Major était député à Ottawa, mais lui on ne le voyait jamais. L'église de Sainte-Scholastique était pleine à craquer, même que ça débordait dans la grande salle d'à côté. Il y avait plein de monde. Il a d'abord fallu se trouver un endroit pour stationner.

Il y avait des automobiles partout. J'ai dû m'arrêter juste en sortant de la côte Saint-Jean. Le petit village de Belle-Rivière n'avait jamais vu passer autant de gens qui cherchaient un trou pour laisser leur voiture. Il a fallu venir à l'église à pied. Comme l'expropriation devait toucher entre 10 000 et 12 000 personnes, on comprend que des milliers soient venues s'informer. Il y avait beaucoup de monde à la messe». «L'église était bondée. Je vois encore tout ça dans ma tête. On avait de la misère à rentrer. Nous avions fait presque deux milles à pied, ma femme et moi, pour venir nous faire dire que nous aurions bientôt sur le territoire le plus grand aéroport au monde, qu'il y aurait plein de jets, que cet aéroport international serait extraordinaire. Nous avons dû écouter toutes sortes de maudites niaiseries mais personne n'a été capable de nous dire vraiment ce qui allait arriver»...

Délire à Mirabel

C'est dans un document superficiel et peu sérieux que le Family Compact qui dirige ADM suggère de dépouiller Mirabel de l'essentiel de ses activités pour tenter de redorer le blason de Montréal en redonnant vie à Dorval. Il est étrange quand même de constater que les raisons qui étaient invoquées pour construire Mirabel en 1969 sont maintenant reprises pour le compte de Dorval.

Il est étrange de constater également que MM. Ouellet et Chrétien - pour ne nommer que les deux plus connus - qui faisaient partie de l'équipe d'iconoclastes qui ont détruit l'un des plus beaux terroirs du Québec reconnaissent 25 ans plus tard que Mirabel fut une erreur. M. Fox, lui, quand il était député, répétait que Mirabel n'était pas une erreur mais plutôt une expérience! Comment peut-on prétendre pouvoir bien gérer un pays tout entier quand on est incapable de planifier convenablement l'avenir d'un territoire rural de 150 kilomètres carrés?

Dans un bêtisier constitué des déclarations des politiciens de l'époque, une place de choix serait réservée à Jean Drapeau. Dans une déclaration faite au Devoir le 31 décembre 1979, l'illustre personnage déclarait... «Il n'y aura pas un deuxième Mirabel pour peut-être 50 ans. Même aux Etats-unis, ils sont incapables d'en construire un. Au prix qu'il a coûté, il n'est pas question d'en bâtir un autre ailleurs au Canada, même pas à Toronto; d'abord ils n'en veulent pas et ils n'ont pas d'argent. Il est connu et reconnu en Amérique et même dans le monde entier, qu'il n'y a absolument rien de comparable à l'aéroport de Mirabel comme potentiel. Fort heureusement, le territoire est assez grand et je ne me gêne pas pour dire: n'allez jamais faire la bêtise de remettre du territoire. Pour une fois, que par sagesse ou par erreur, il a été décidé assez grand, gardez cela! Il n'y a aucun doute que Mirabel deviendra l'aéroport principal de New-York.»

Pour sa part, feu l'ancien ministre libéral Gérard-D. Lévesque avait déclaré en 1973 que ... «Si Ottawa prête vie au projet, l'aéroport international de Mirabel deviendra un des plus grands centres de manutention de cargo aérien en Amérique et la région sera dotée d'un des plus grands parcs industriels du Québec». Aussi visionnaire que l'ancien maire de Montréal! Au chapitre des belles promesses, M. Francis Fox a lui aussi tenu à se faire valoir. Ainsi, en décembre 1978, il annonçait la construction, pour 1982, d'un pénitencier dans le secteur de Saint-Canut, au coût de 30 millions de $. Près de 350 emplois permanents devaient être créés.

Dans une revue intitulée Québec international, le gouvernement libéral du Québec écrivait en 1975... «Trait d'union le plus court entre les deux continents, point de rencontre des voies fluviales, ferroviaires et routières du nord-est américain, Montréal-Mirabel, le plus grand complexe aéroportuaire du globe, est incontestablement la porte de l'Atlantique Nord. Il vient à point nommé assurer la relève des aéroports engorgés qui, dans l'est et le midwest des États-Unis, se révèlent impuissants à absorber la croissance du trafic et plus particulièrement du cargo aérien. La carrière de la côte Saint-Louis

L'incompréhensible décision de tourner le dos à Mirabel au profit de Dorval nous remet en lumière quelques moments pénibles de l'histoire des expropriés de 1969. Si on relisait, entre autres, ce qu'écrivait M. Jean-Paul Raymond dans La Mémoire de Mirabel à propos de la carrière de la Côte Saint-Louis, par exemple, on comprendrait un peu mieux tout l'odieux de cette décision prise sans raison ni réflexion par les dirigeants d'ADM. Voyons ce qu'écrivait en 1988 Jean-Paul Raymond à propos d'une carrière que les entrepreneurs fédéraux décidèrent d'exploiter dans la Côte Saint-Louis, à l'extrémité est du rang Saint-Hyacinthe...

«Quand ils ont décidé de faire une carrière dans la Côte Saint-Louis, ils ont d'abord établi un périmètre à l'intérieur duquel personne ne devait rester. Même ceux qui ne se faisaient enlever qu'une infime partie de leur terre étaient obligés de quitter les lieux. Tout ça s'est passé en 1970-1971. Les Travaux publics (Ottawa) avaient besoin de pierre pour les pistes, les viaducs, les fondations de l'aérogare et toutes sortes d'autres travaux.

Affiche utilisée par les expropriés de Mirabel. Remarquons que la forme du territoire exproprié, une fois retournée sur elle-même, rapelle la silhouette d'un homme armé. Phographie de Gilles Boileau.

C'est en raisonnant de cette façon qu'on a obligé Marcel Lapierre à abandonner son patrimoine. Pourtant c'est à peine si on touchait au trécarré de sa terre. Ingénieurs et fonctionnaires avaient décidé, dans leur froide sagesse, de faire disparaître tout ce qu'il y avait de vivant à l'intérieur du trait du compas. On a obligé des gens à partir en vitesse parce qu'on avait besoin d'une lisière de 20 pieds de large tout du long du rang pour élargir la route. Parfois, c'est à peine si la clôture était touchée». «Le cas de M. Cardinal est encore plus éloquent. Au moment de l'expropriation, M. Cardinal commençait à être assez âgé. Il habitait le petit village qu'on appelait justement Mirabel. Bien avant qu'on parle de l'aéroport, il y avait là une petite école entre la Côte Saint-Louis et le rang Saint-Hyacinthe. Il n'y avait pas d'église, mais plusieurs services: moulin à farine, garage pour la réparation de la machinerie, boutique de forge, petite épicerie du coin, etc. Une fois devenu rentier, M. Cardinal se retira dans le petit hameau de Mirabel plutôt que de s'installer dans le village de Sainte-Scholastique».

«Dans ses travaux de planification, le gouvernement fédéral avait donc décidé d'ouvrir une carrière pour avoir la pierre nécessaire à la préparation du béton et du ciment pour les pistes et l'aérogare. Dans leur intelligence, les fonctionnaires fédéraux ont décidé d'implanter cette carrière en plein coeur du petit village de Mirabel. Ils ont ainsi forcé les expropriés qui se trouvaient à un mille à la ronde à quitter les lieux rapidement, avec ou sans entente sur le montant de l'expropriation».

«Il y avait dans ce secteur de la paroisse environ 35 résidences et une vingtaine de fermes. Au total, une cinquantaine d'établissements durent être abandonnés pour faire place à la carrière projetée. Après avoir reçu l'ordre de partir, M. Cardinal s'acheta un terrain à Saint-Eustache avec l'intention de s'y faire bâtir une nouvelle résidence». «Mais au même moment, des grèves assez féroces sévissaient sur les chantiers de construction si bien qu'il ne put faire construire sa maison dans les délais prévus.Menuisiers et charpentiers durent cesser leurs activités alors que les fondations venaient à peine de sortir de terre.

Dans ces conditions, il devenait impossible à M. Cardinal de rencontrer l'échéance qui lui avait été imposée et il ne put quitter sa maison de Mirabel pour le 30 septembre. Le fédéral acquiesçant à une requête de sa part, un délai de 15 jours lui fut accordé, tout juste. C'est là que le drame allait éclater». Les larmes de M. Cardinal «La grève de la construction finit par se régler. En vitesse, les ouvriers terminèrent une ou deux pièces de la nouvelle maison, à Saint-Eustache, de façon à permettre à M. Cardinal - qui venait de se faire expulser de chez lui en raison de l'expropriation - de se loger, avec ses biens, du moins d'une manière temporaire.

C'est donc dans la seizième journée que lui et son gendre se mirent en frais de commencer le déménagement à l'aide d'un petit camion d'une demie tonne seulement. Le camion avait une bien petite capacité de chargement. Pour venir à bout de transporter tout un ménage, il fallait prévoir au moins quelques voyages entre Saint-Eustache et le petit hameau de Mirabel».

«Quand M. Cardinal et son gendre revinrent de Saint-Eustache après leur premier voyage, ils eurent la triste surprise de voir leur maison en flammes! Les fédéraux avaient mis le feu à sa résidence qui brûlait avec tout ce qui restait de ménage et de biens personnels à l'intérieur. C'est toute une vie qui disparaissait bêtement. M. Cardinal a pris son mouchoir - il y avait bien des souvenirs dans cette maison-là - puis s'est mis à pleurer. --- Maison ancestrale sise à Sainte-Monique, incendiée en octobre 1970 par les fonctionnaires fédéraux. Phographie de Gilles Boileau.

Ils ont remonté dans leur camion et ont repris en silence la route de Saint-Eustache». «Aujourd'hui, on sait que le fédéral s'est trompé. La véritable carrière fut creusée à deux milles et demi ou trois milles plus loin. Il n'y a plus de petit village à Mirabel et les fardoches cachent l'embryon de carrière. Les terrains abandonnés de force par les expropriés sont passés à la revente. Et M. Cardinal n'aurait jamais dû être exproprié et encore moins forcé de quitter son foyer». * * * *

Il y a quelques semaines, le premier ministre du Canada a dit qu'il ne pleurerait pas si on fermait Mirabel. Il n'a pas pleuré non plus quand le gouvernement dont il faisait partie, en 1969, a exproprié 80 000 acres de terre en trop tout autour de Sainte-Scholastique et de Sainte-Monique; il n'a pas pleuré non plus quand les barbares ont mis le feu à la maison de M. Cardinal. C'est par dizaine et même par centaines que l'on pourrait multiplier les exemples de la turpitude des fonctionnaires du gouvernement fédéral et des boss de la Société immobilière du Canada.

Vingt-cinq ans plus tard, on rouvre le cercueil, selon l'expression justement utilisée par Madame Rita Lafond, une combattante de la première heure. On le fait sans gêne ni honte aucune, avec effronterie même, en se cachant derrière le paravent des intérêts économiques du pays. On le fait en s'appuyant sur des arguments faux et fallacieux, regroupés en hâte dans un document - signé ADM - où transpirent l'hypocrisie et le parti-pris, voire même l'incompétence. On le fait sans aucune compassion pour les milliers de Québécois qu'on a dépossédés brutalement et inutilement entre 1969 et 1975; on le fait en nous cachant les véritables raisons de cette supercherie et surtout en ignorant volontairement les véritables conséquences de ce transfert. Qui reprendra le flambeau que M. Jean-Paul Raymond porta avec tant de panache jusqu'à sa disparition en juillet 1988?

Les fonctionnaires et les génisses Nous avons accumulé de nombreux exemples et de nombreuses preuves du comportement inacceptable des fonctionnaires fédéraux. Les barbares étaient nombreux et n'avaient aucune retenue. Voyons quelques autres cas. Ces tristes histoires vécues sont toujours tirées de La mémoire de Mirabel. «Le cas de M. Campeau est différent... Fatigué par les longues procédures de l'expropriation qui l'avaient épuisé, M. Campeau souffrait d'insuffisance cardiaque et était à l'hôpital où on lui injectait du sérum pour tenter de lui refaire une meilleure santé. Les fonctionnaires fédéraux ne se sont pas gênés et sont allés le voir jusqu'à l'hôpital. On lui avait d'abord offert $55 000 pour sa ferme, y compris le terrain, les bâtisses, dont une belle grange à comble français, et une imposante maison de brique. M. Campeau avait trouvé cette offre insuffisante. Il souhaitait recevoir davantage».

«Les individus mandatés par le gouvernement fédéral pour négocier en son nom se sont rendus à l'hôpital pour lui dire: "Si tu n'acceptes pas l'offre déjà faite, on va te baisser de $5 000, ce n'est plus $55 000 qu'on va te donner mais plutôt $50 000." Imaginez alors la réaction de M. Campeau, immobilisé sur son lit, avec des aiguilles dans les bras qui laissaient couler le sérum. Tout excité, il s'est mis à remuer et les aiguilles se sont déplacées, lui causant de sérieux malaises». «Son garçon, arrivé sur les entrefaites, s'étonna de voir les deux experts du gouvernement dans la chambre de son père et qui tentaient de le faire signer de force.

Après avoir appris que les experts en question avaient menacé son père de diminuer leur offre, le fils mit les deux grossiers représentants du gouvernement à la porte en leur disant clairement que leur conduite était scandaleuse et qu'il était tout à fait déraisonnable de venir relancer son pauvre père jusque sur son lit d'hôpital pour tenter de lui arracher une signature sous les menaces et le chantage».

«Il y aussi l'exemple de la maison de Madame Leroux. Les fonctionnaires ont voulu lui redonner son aspect d'autrefois. Pour cela, il fallait changer les fenêtres. Les travaux ont débuté tard à l'automne. Au bout de quelques jours, les ouvriers se sont disputés avec le fédéral et les travaux ont été arrêtés. Les Leroux ont donc passé une bonne partie de l'hiver au froid, avec du polythène dans les châssis.

Corvée des expropriés pour reconstruire la grange de Claude Girard, dans le rang de la Côte double. -- Phographie de Gilles Boileau.

C'était une façon de vouloir les écoeurer, mais ils ont résisté à toutes les pressions et ne sont pas partis». «Il y aurait long à dire sur les encans et tous ces agriculteurs qui devaient se débarrasser de leur matériel et de leurs animaux à des prix ridicules. Après avoir travaillé fort pendant des années et des années, voir partir tout ça pour presque rien, c'était se faire arracher l'âme. J'ai même vu des vaches qu'on avait entassées dans des enclos afin de les vendre quitter ces enclos pour regagner leur étable! Les fermiers étaient attachés à leurs animaux. Quant tu montres à boire à une petite génisse et que tu dois t'en occuper pendant de longs mois avant qu'elle te rapporte quelque chose, tu y penses deux fois avant de t'en séparer».

«Jusqu'où pouvait-on tenter de nous faire avaler le calice de l'amertume? Jusqu'où pouvait-on pousser les limites de la dépossession et de l'arrachement? Face à de tels comportements, il ne fallait pas s'étonner qu'il y ait eu parfois du grabuge à Sainte-Scholastique». * * * *

Les Aéroports de Montréal viennent de nous annoncer, à grand renfort de publicité dans les quotidiens montréalais, que le transfert des vols internationaux de Mirabel à Dorval n'entraînera pas d'impacts négatifs sur les zones environnantes. Il n'y aurait pas d'impact négatif sur l'environnement... le bruit n'augmentera pas... presque pas de pollution... pas beaucoup plus de circulation automobile. Comment pourrions-nous ajouter foi à une étude d'impact réalisée par ADM pour ADM, même validée par Lavalin? Comment peut-on à la fois être juge et partie? Dans ce dossier, on reprend les arguments invoqués en 1969 pour dire cette fois que c'est à Dorval que tout doit être concentré. Ce qui était bon pour Mirabel en 1969 ne l'est plus. Mais ce qui est le plus honteux, c'est qu'en 1969 on pouvait déjà prévoir les perturbations qui aujourd'hui affectent le transport aérien.

Ottawa le savait et avait déjà posé des gestes qui allaient un jour précipiter le déclin de Mirabel... en attendant que la situation ne devienne à nouveau invivable à Dorval et que l'on doive revenir avant longtemps sur les terres de Sainte-Scholastique et de Sainte-Monique. Mais dans tout ce triste dossier, je déplore qu'aucun véritable leader ne se soit encore manifesté pour prendre la tête d'un véritable mouvement de résistance bien structuré et efficace. Le leadership, ça ne s'achète pas. Je m'ennuie de Jean-Paul Raymond. Je m'ennuie surtout d'un chef qui serait capable de modifier, autant par son talent et son jugement que par sa parole et son bons sens, de modifier le cours de l'histoire, ou plutôt de tenter d'en contrôler l'évolution pour le plus grand bien des collectivités. vers le haut

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08/2003

Last Modified 08/20/2003