Francosphère-Québec-Tribune Libre LES SABLES-MOUVANTS DU STATU QUO Francosphère-Québec-Tribune Libre Paris, le 19 juillet 2003 - Tandis que les médias québécois, pour l’essentiel aux mains de groupes d’intérêt fédéralistes, s’appliquent avec constance à ruiner l’idée même de l’indépendance, les fédérastes reprennent à leur compte l’idée d’un État-nation canadian, avec une recette simple : la négation de la réalité québécoise. LES SABLES-MOUVANTS DU STATU QUO par Jean-Louis ARCHAMBAULT Les médias québécois, pour l’essentiel aux mains des mêmes groupes d’intérêt fédéralistes, s’appliquent avec constance à ruiner l’idée même de l’indépendance du pays. Et, depuis de longues années, ils assènent ad nauseam les mêmes types d’affirmations en trompe-l’œil. Jamais bien sûr il n’est question des avantages que pourrait tirer la population québécoise d’une gestion directe de ses affaires, soustraite à l’arbitraire d’Ottawa. Encore moins de libération nationale, ou d’une égalité véritable, par le biais de deux états, entre deux cultures très différentes. Non, l’indépendance est toujours présentée sous un angle pénible, celui d’une séparation douloureuse d’avec la mère canadienne protectrice, à laquelle les Québécois devraient tout : démocratie, dialogue, prospérité, jusqu’au droit de parler français…. Dans ce registre affectif, une sécession apparaît donc comme difficile, risquée, voire inutile. Bref, une épouvantable transgression. D’ailleurs, les mêmes médias vous le répètent à l’envi. Les Québécois dans leur majorité ne veulent pas entendre parler de l’indépendance. Il est vrai que, assailli par les difficultés quotidiennes ou grisé par les vertiges de l’amour, le Québécois moyen verrait sans doute approcher avec appréhension l’heure d’une nouvelle décision politique… Peur de perdre, une nouvelle fois, en ruinant peut-être à jamais les chances d’émancipation du Québec, ou peur d’affronter les incertitudes qui suivraient la naissance d’un pays. D’ailleurs, à chaque mois qui passe, un nouveau sondage vient le conforter dans l’idée que la majorité de ses concitoyens pense comme lui. Dans ces conditions, le statu quo peut s’avérer rassurant. Vivre comme avant… en évitant l’affrontement, comme si, dans un monde apparemment immuable, le reste du Canada ne poursuivait pas, lui, des objectifs conformes à ses intérêts, antinomiques de ceux du Québec. LES TROMPE-L’ŒIL DE LA LOI 101 Le Québec n’est-il pas protégé par une charte de la langue française ? Et l’obligation pour les enfants d’immigrés de fréquenter l’école française ? Qu’en faites-vous ? Chacun sait qui sont, en effet, ces enfants de la loi 101, censés pérenniser la majorité francophone au Québec. Enfants de la loi 101 … Comme on dirait bébés éprouvettes, ou organismes transgéniques ! Vingt-cinq ans après, il serait temps de regarder les choses en face. Cette loi ne constitue qu’un barrage provisoire, qui retient les hautes eaux du bilinguisme. Et les saboteurs sont toujours là, aux aguets, prêts à faire sauter l’ultime rempart de la seule nation française d’Amérique, drapés bien sûr de l’inusable alibi de la modernité…. Car, eu égard au rapport de forces de 1 à 50 existant en Amérique du nord entre francophones et anglophones, le bilinguisme institutionnalisé abaisserait le français, nécessaire aujourd’hui au Québec, au statut de langue utile, seulement, dans un premier temps, avant que, par la force des choses, il ne devienne un idiome carrément folklorique. Si le Québec n’est pas la Palestine, il pourrait bien devenir la Louisiane, chacun le sait depuis longtemps. En réalité, la loi 101 traduit bien toutes les contradictions et l’ambiguïté des Québécois. Car quelle autre nation au monde, hors la leur, accepterait de voir sa survie dépendre d’une charte votée par un parlement ? Quel peuple accepterait de vivre ainsi sous perfusion, dans une confiance trompeuse ou une crainte permanente ? Peuple en sursis…. Et si le médicament venait à manquer ? Beaucoup des fameux enfants de la loi 101 vivent en fait l’apprentissage du français comme une contrainte, rechignant, dans le laminoir nord-américain, à s’intégrer à une culture minoritaire. Et, même s’ils ont toujours vécu au Québec, leur sentiment d’appartenir au Canada l’emporte chez une majorité d’entre eux. La raison en est simple. Le Québec n’est pas un véritable État, ses habitants ne l’ont jamais vraiment voulu. Ils se sont arrêtés à quelques milliers de voix… Un jour de plus, ou un jour de moins, et le sort en aurait peut-être décidé autrement. Mais les choses étant ce qu’elles sont, il n’y a qu’une seule maison pour les allophones, la maison canadienne, qui fixe les règles importantes et tient les provinces en respect, et plus particulièrement l'une d’entre elles… Il va de soi qu’un État francophone indépendant, seul à même de légiférer sur son territoire, changerait radicalement la donne et éclaircirait l’avenir. Souhaitons seulement que, si disparition de la loi 101 il y a, elle ait bien lieu dans ce cadre là… De fait, le statu quo de province se prolongeant, la fameuse loi pourrait davantage encore révéler ses faiblesses, en créant un sentiment de sécurité illusoire. Car à une époque où l’accélération technologique est sans précédent (comment faisions-nous, il y a 7 ou 8 ans seulement, lorsque nous n’avions ni l’Internet, ni le portable ?…) l’érosion des cultures minoritaires s’effectue à un rythme encore inconnu dans l’histoire de l’humanité. Le fait que l’on parle français sur un morceau d’Amérique depuis quatre cents ans n’a plus rien de rassurant. L’assimilation presque totale des francophones, réalisée en quelques décennies dans les états du nord des USA, (New Hampshire, Maine, Vermont, Massachusetts notamment) et dans le Canada hors Québec, pourrait, à l’heure de la mondialisation culturelle, s’effectuer à une rapidité nouvelle et inattendue au Québec. Partout, la civilisation anglo-américaine, principal vecteur de la culture de loisirs, imprègne de ses rites les couches les plus larges de la population, toutes catégories sociales confondues. La liberté, c’est chausser des Nike et enfiler un Calvin Klein, avaler un hamburger au fast food à la sortie d’un thriller américain, écouter des hits anglais et, pour les plus jeunes surtout, occuper son temps à la recherche des derniers war games. S’aplatir devant les montages grossiers de la trash TV, qui séduit pour abêtir. Rentrer dans le star-system pour ne voir des choses que l’apparence. Oublier la férocité des rapports sociaux… Sub-culture cache-sexe qui emporte tout sur son passage ! Au diable l’idéalisme, le rêve d’un pays façonné par les ancêtres, où s’épanouiraient les générations futures ! Tout cela relève des vieilles rengaines des politiciens souverainistes, comme dirait Jean Charest, nouvelle icône du peuple québécois pour le Canada anglais. D’ailleurs, fédéraliste et souverainiste, qu’est-ce que cela veut dire aujourd’hui ? Ainsi le Québec avance-t-il dans l’absurdité, jusqu’à la négation de la réalité et dans l’ignorance ou le déni des intérêts qui modèlent sa pensée et façonnent son mode de vie. Porté par les courants pervers de l’inconscience et de la facilité, comment évitera-t-il un jour l’angoisse de l’ensablement ? Personne ne le sauvera de la noyade. Les Québécois ne devront compter que sur eux-mêmes. En attendant, la province ronronne, anesthésiée par ses tisanes à l’unifolié. Ainsi, dans la belle fédération à l’effigie de la reine d’Angleterre, une fois l’an et à grand renfort de propagande, le Québec est-il invité à célébrer sa soumission. Que célébrer d’autre, en fait, que la brutale annexion d’une nation par une autre ? Et qu’en ce jour du Canada day, dernier en date, un valeureux représentant de la culture québécoise exprime son indignation, il n’en faut pas plus pour que la quasi totalité des médias se rue sur le trublion, le trouble-fête, accusé de tout et de son contraire. Alors quoi ! La patrie québécoise ne vaut même plus un coup de colère ? Le statut actuel du Québec, province aux allures trompeuses de forteresse, reflète bien en fait l’âme des Québécois, entre inhibition et velléités, orgueil et culpabilité. La fréquente dénégation du statut de colonisé ne trouve-t-elle pas ses racines dans une longue histoire de révoltes et de soumissions ? Que dire aujourd’hui du nouveau conseil de la fédération, présenté comme un cadeau à la Belle Province !…. Formidable régression par rapport aux rêves que le Québec avait forgés pour lui-même il y a encore quelques années ! Infiniment triste et affligeant, surtout lorsqu’on lit la presse anglophone, jubilant à l’idée d’un déclin inéluctable de la province à l’intérieur de ladite fédération. Du rêve d’un pays, état francophone indépendant, on passe à celui d’une province rentrée dans le rang, promise à un rôle toujours plus marginal… Quatre cents ans pour en arriver là ! Ainsi, le combat pour un état-nation semblant s’affaiblir au Québec, il reprend une vigueur nouvelle du côté canadian. C’est par la langue, et l’érosion de la majorité francophone du Québec, que le pouvoir anglophone espère arriver à ses fins. La période est favorable, puisque les Libéraux contrôlent les rênes de la Belle Province, et font preuve, en ce début de mandat, d’une particulière servilité… Le jour où, d’un océan à l’autre, l’état-nation canadian sera réalisé, Mario Dumont pourra enfin dire : " J’avais raison ! Il n’y a plus ni fédéralistes, ni souverainistes, que des fédéralistes souverains ! " Jamais le Québec moderne n’a connu pareil abaissement de ses dirigeants. Pourtant, dans cette jouissance affichée de la soumission, Charest et consorts oublient un pan entier de la psychologie du peuple qu’ils sont censés administrer. De noirceur trop point n’en faut. La négation de soi-même peut être ` le ferment d’une colère salutaire. L’indépendance, loin d’être une séparation douloureuse, apparaîtra vite comme une délivrance… Elle seule pourra sortir le Québec de sa précarité existentielle. Jean-Louis ARCHAMBAULT . |