Bon débarras!
Jean Chrétien en est rendu aux bilans. Il donnait samedi une entrevue à La Presse dans laquelle est exprimé l'essentiel de sa politique: «J'ai survécu», dit-il. Durer, cela semble avoir été le principal objectif de 41 années de vie publique. À renier les siens, à les mépriser, à les mettre à genoux, à les trahir, à diviser pour régner, à surfer sur les politiques de ses prédécesseurs et à corrompre la vie politique au Canada. Lorsque Jean Chrétien quittera ses fonctions en janvier 2004 (encore six longs mois à l'endurer), il n'y aura qu'une chose à dire : «Bon débarras !» Maintenant qu'il est sur son départ, beaucoup de gens seront tentés par l'indulgence. On va s'apitoyer sur le sort du «p'tit gars de Shawinigan», devenu depuis longtemps un gros gars de Bay Street, logé à nos frais au 24 Sussex Drive depuis dix ans, qui nomme au Sénat ses amis millionnaires et collecteurs de fonds pour le Parti libéral du Canada et tient des cocktails à 10 000 $ le billet pour permettre à des riches de lui serrer la pince dans une résidence cossue de Westmount. D'autres vont se féliciter du virage «éthique» qu'il vient de prendre en faisant adopter une loi sur le financement des partis politiques inspirée vaguement des intentions de René Lévesque. C'est oublier que cette décision vient au terme de 41 années de pratique durant lesquelles Chrétien a tiré profit des règles qu'il vient de changer, liant le financement des partis politiques aux intérêts de la grande entreprise et des grands syndicats. Il a redoré son blason en refusant de participer à la guerre en Irak, anomalie peu coûteuse dans un parcours d'alignement du Canada sur les positions du géant américain. Il vient de reprendre la pluralité des sièges au Québec avec deux victoires aux élections partielles ? Oui, mais avec un taux de participation de 25 %. C'est oublier que, en décembre, le Bloc québécois a gagné les deux élections partielles précédentes haut la main. Oublier aussi que, si le fédéralisme regagne en popularité, c'est peut-être justement parce que Jean Chrétien s'en va. Il voit comme l'une de ses principales réalisations l'adoption de la loi C-20 sur la clarté : c'est sûrement pour mieux oublier qu'il a failli perdre le Canada en 1995 et mieux masquer la popularité intacte de la souveraineté, qui reçoit l'appui de quatre Québécois sur dix encore aujourd'hui, malgré l'activisme fédéral et le désarroi des souverainistes. C'est oublier aussi que, en adoptant cette loi, la Chambre des communes et le Sénat ont déclaré solennellement que la sécession d'une province est légale au Canada, que le combat des Québécois souverainistes est légitime et que le Canada va accepter de négocier avec le Québec sitôt qu'une majorité se sera prononcée en faveur de la souveraineté lors d'un référendum. M. Chrétien parle encore des Québécois en utilisant le vocable de Canadiens français. Jamais il n'a été capable de comprendre la volonté d'autonomie des siens. Il faut dire qu'il nous a toujours un peu méprisés. J'ai relu récemment cette citation de lui, qui date d'avril 1982 : «La grande ambition de nos bourgeois québécois, celle d'avoir des ambassadeurs du Québec dans des Cadillac à l'étranger avec un drapeau de la province sur le capot, ce n'est pas l'ambition des Québécois. C'est bon pour les gars de la Grande-Allée à Québec. Mais ce n'est pas l'ambition du Québécois moyen qui va se baigner dans le Maine l'été, qui va en Floride en hiver et qui mange des hot-dogs au base-ball». Mangeur de hot-dogs, ça vous rappelle quelqu'un ? Ce mépris pour ses concitoyens, Chrétien l'a entretenu dans sa façon de faire de la politique, de souiller la politique, en pratiquant les manières dépassées : «Votez du bon bord si vous voulez obtenir les faveurs du fédéral». Politique des annonces et des rubans, des largesses et des achats de complaisance, des bourses du millénaire et des chèques à feuille d'érable, des drapeaux à Sheila Copps et le reste à l'avenant. Un milliard de dollars ont été égarés dans le scandale de Développement des ressources humaines Canada. Près d'un quart de milliard gaspillé dans le scandale des commandites pour augmenter la visibilité d'Ottawa au Québec. Au passage, neuf firmes de relations publiques, dont celles qui prêtent leur concours au Parti libéral, ont empoché des commissions s'élevant à 31 millions sur l'un des plus importants détournements de fonds perpétrés par un élu au Canada depuis la Confédération. Il y eut aussi le scandale de l'Auberge Grand-Mère, en 2000, dans lequel Jean Chrétien, qui était intervenu pour favoriser un ami, a été exonéré par un commissaire à l'éthique bidon. Jean Chrétien n'a jamais été à court de mensonges et de faux-fuyants. Il fut élu en promettant de réformer l'accord de libre-échange, ce qu'il n'a jamais fait. Il avait promis d'abolir la TPS, qui est toujours en vigueur. Sous son règne, la médecine à deux vitesses est apparue au Canada et l'écart entre les riches et les pauvres s'est accentué. Sous sa gouverne, l'assimilation des francophones minoritaires s'est poursuivie au galop. Et en réduisant de manière draconienne les transferts aux provinces pour la santé, il a contribué à la détérioration des services et à l'insatisfaction du public. Jean Chrétien a éloigné les citoyens de la politique. Le taux de participation est tombé à son plus bas en 75 ans, soit à 63 %, aux élections de 2000. Lors de ces élections, les forces centrifuges qui divisent le pays ont continué de se manifester, le Bloc québécois obtenant le même nombre de votes (à 18 000 près) qu'en 1997 et l'Alliance canadienne faisant élire dans l'Ouest quatre députés de plus qu'aux élections précédentes. M. Chrétien peut bien se consoler en consultant le palmarès des Nations unies, sa gouverne a été pitoyable. Il a détérioré la qualité de la vie politique au Canada. Il a été un mauvais premier ministre. Vivement son départ. Michel Venne est directeur de L'annuaire du Québec, chez Fides.
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