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Mohamed
Badaoui
Journaliste
Édition du samedi 19 et du dimanche
20 avril 2003
Le Parti québécois a donc perdu les élections et cessera pour longtemps de faire grincer des dents sur cette épineuse question de souveraineté. Le PQ, cette originalité internationale, cette exception politique, cette chaloupe qui vogue, fluctuat nec mergitur, sur un océan de Vikings, à un jet de mortier de l'empire le plus férocement opposé à l'indépendance, clame, en vieux français, et menace même, dans un monde désormais états-unique, de faire sécession pour devenir souverain.
Jamais un mouvement au monde n'a réalisé ce que le Parti
québécois a réalisé en recourant seulement à une touchante révolution
tranquille. Non seulement il a acquis une grande autonomie, il a également tenu
tête au gouvernement d'un État du G8.
Ailleurs, on se massacre par
millions pour moins que ça ! On fait des guerres sanglantes, des coups
d'État et des soulèvements. Et même dans d'altières nations comme la France et
la Grande-Bretagne, le sang est versé, en Irlande, en Corse, au Pays basque,
lorsque le mot «souveraineté» est à peine balbutié.
Voyez aussi l'Irak,
dont on a écrasé le peuple et saccagé, entre deux lunes, le patrimoine
inestimable et plusieurs fois millénaire, pour mater le fou qui le dirigeait,
celui qui a osé dire non au maître du moment.
Réserves de tolérance
Mais au Canada et au Québec, ces deux réserves mondiales de tolérance,
il se passe un phénomène auquel on n'accorde étrangement que peu
d'importance : celui de la coexistence pacifique entre l'universel et le
particulier, entre la mondialisation et la démondialisation, entre la fusion et
la défusion.
Dans cette unité des contraires, la dialectique semble
merveilleusement fonctionner. Pas de crises graves, pas de rebondissements
majeurs : tout semble glisser des mains comme un flétan enduit d'huile de
morue.
Et c'est au moment où se déroulait probablement l'une des plus
grandes catastrophes de l'humanité, l'un des plus grands crimes de l'histoire, à
savoir le pillage du musée de Bagdad, qu'ici, entre Chicoutimi, Mascouche et
Montréal, des hommes et des femmes, pacifiquement, les uns indépendantistes, les
autres fédéralistes, votaient et donnaient le pouvoir à ceux qu'ils jugeaient
dignes de l'exercer. Dans ce pays où toutes les ethnies sont représentées, même
les Kurdes, les Turcs et les Irakiens, les sikhs, les Tamouls, les Hutus, les
Tutsis, les mormons, les lubavitchs, pour ne citer que ceux-là, possèdent des
droits.
Tandis que toutes les religions, connues ou non, et toutes les
idéologies s'y côtoient sans se heurter, les politiciens confrontent leurs
positions, parfois violemment antagoniques, en discutant, en gueulant parfois,
mais en acceptant, comme une sentence divine, la sanction de l'urne. S'il y a
une victoire, s'il y a une souveraineté, c'est sûrement cela !
La raison l'a emporté
Que Jean Charest ait gagné, que
Bernard Landry ait perdu et que Mario Dumont ait dilapidé sa matière grise pour
presque rien, ce n'est pas ce fait que la mémoire retiendra. Il restera que dans
ce pays froid et loin, la raison l'a emporté, une autre fois, sur la folie.
Et sans en donner l'air, ce pays, que je ne nommerai pas pour ne
froisser personne, donne, malgré toutes les tares qu'on lui reproche, l'exemple
à suivre pour permettre aux hommes de vivre moins brutalement. Le PQ, qui prend
de plus en plus conscience de sa maturité, semble avoir aussi compris que le
monde ne s'est pas fait en un seul jour. Et c'est ainsi qu'il n'a pas hésité à
se délester sans ménagement d'un de ses piliers pour marcher de l'avant. Jacques
Parizeau, qui a eu du mal à s'adapter au puissant vent de changement qui souffle
sur la petite reine des provinces, l'a appris à ses dépens. Il sait maintenant
que sa franchise provinciale n'a plus court et qu'il faudra dorénavant remiser
l'armure au profit de la fleur de lys. Mais là aussi, cet homme qui porte son
idéal comme d'autres portent leurs armes et leurs bijoux s'est limité à un coup
de gueule retentissant mais s'est finalement souverainement incliné devant le
bien public.
Au regard de tous les conflits qui, partout au monde,
déchirent, à cause du pouvoir, la mère et le bébé, le Québec peut être fier
d'avoir donné au monde, sans tambours, sans trompettes, sans porte-avions, l'un
de ses plus glorieux moments de démocratie. Et même si énormément de pas restent
à faire sur le chemin de la Cité idéale, il ne faut jamais cesser de dire, sans
nécessairement hurler, que, chez nous, l'avis est respecté.