LE DEVOIR- Édition du samedi 26 et du dimanche 27 avril 2003
Les valises faites et à portée de la main, Jean Chrétien multiplie les actions d'homme d'État dans l'espoir de laisser un bon souvenir après 40 ans de batailles de taverne, de coups de gueule, de coups fourrés et de coups de force.
Une bonne fin peut-elle sauver un mauvais roman ? Non, bien sûr. Mais on est forcé de convenir qu'un mauvais roman avec une bonne fin est préférable à un mauvais roman qui se terminerait de façon lamentable. On ne peut donc qu'approuver le refus du premier ministre de s'associer à une guerre menée par des assoiffés de pétrole le crucifix à la main, tout comme sa décision de nettoyer le financement des partis politiques fédéraux (25 ans après le Québec).
Cette décision n'est peut-être qu'un cadeau d'adieu-jambette à son éventuel successeur Paul Martin pour l'aider à s'aplatir le museau dans ses futures fonctions, mais les résultats comptent ici davantage que les intentions -- et puis, pour être franc, avouons qu'à peu près tout le monde, sauf Paul Martin, se fiche des maux de tête de Paul Martin.
Cela dit, un malfaiteur repenti conserve tout son passé et, dans l'émotion qu'on ressent à le contempler, il reste toujours un peu de méfiance. L'histoire n'oubliera pas que Jean Chrétien a passé une bonne partie de sa carrière à diriger un gouvernement corrompu et à tenter d'écraser de tout son poids -- qui était celui de l'argent et de la majorité anglophone -- un peuple -- son peuple -- engagé dans la conquête de sa liberté.
Pour que la fin du roman politique de Jean Chrétien ait des chances de faire oublier l'histoire minable qui la précède, il faudrait bien d'autres bonnes actions. Il faudrait, par exemple, qu'il abandonne une fois pour toutes la stratégie de famine financière qu'il utilise contre le Québec pour le forcer à se mettre à genoux devant la statue de l'unité canadienne. Il faudrait aussi, malgré toutes les joies solitaires qu'elle a procurées à son ministre Stéphane Dion, abroger cette fameuse loi sur la clarté référendaire, qui n'a de clair que son esprit de domination.
Mais de cela, Jean Chrétien n'a sans doute ni la capacité ni -- très certainement -- la volonté. On a beau vouloir finir grand homme, il y a des choses au Canada qui ne se font pas.