DRAME SUR LE LAC ST-PIERRE
17 soldats sont morts gelés en traversant à pieds le Lac St-Pierre
Nous sommes en janvier 1779. Les grands froids de janvier ne sont pas sans nous rappeler toutes sortes de drames qui sont survenus au cours de l'histoire ancienne et récente pour cette période de l'année.
Peu après la défaite de Saratoga, en l'année 1778, un nouveau régiment fut créé avec les survivants de la bataille auxquels se sont joints des recrues. Pendant l'hiver de 1777-1778 les troupes allemandes de Brunswick stationnèrent près de Sorel et à l'hiver de 1778-1779, le régiment de von Barnes s'installa à Berthier et à Rivière-du-Loup.(Louiseville)
Pendant le conflit, et lors de leurs passages dans les campagnes, il était coutume pour les soldats d'être hébergés chez l'habitant, qui recevait un dédommagement monétaire.
Le 19 janvier 1779, une compagnie ou une colonne de marche de 44 soldats de la Légion allemande, a reçu l'ordre de se rendre de la Baie du Febvre à Pointe du lac, en traversant à pied le Lac St-Pierre, une distance de 3 lieues et demie.
Dans cette équipée, 15 soldats sont morts gelés et deux autres sont disparus. 10 soldats ont subi des amputations sévères aux doigts et au pied.
Le Brigadier Général Ehrenkrook bouleversé, rédige le compte-rendu de cet évènement en allemand, contrairement à l'usage dans la Légion allemande où tous les rapports des officiers sont rédigés en français. En effet, ce rapport est embarrassant à rédiger en ce sens qu'il veut justifier ses propres décisions et celles de ses subalternes responsables des ordres donnés pour effectuer ces déplacements de troupes.
On parle entre autres dans ce rapport de soldats bien vêtus, ce qui n'était pas le cas pour l'hiver. Quelques uns de ceux qui ont survécu à cette aventure, par initiative personnelle s'étaient procurés des manteaux d'hiver auprès de la population ou chez des gens qui les hébergeaient. En effet, des rapports mentionnent que certains étaient couverts de manteaux avec ceintures fléchées et tuques, une tenue qui n'étaient sans doute pas conforme à l'habillement réglémentaire de l'armée allemande.
Comme le mentionne le rapport en plus des 15 morts et deux disparus, 14 soldats ont été hospitalisés, dont 10 sont subi des amputations sévères aux mains et au pied.
Voici le texte du compte-rendu régigé en allemand par M. le Brigadier Général D'Ehrenkrook à Trois-Rivières, le 25ième jour de janvier 1779. Ce rapport est destiné au gouverneur, son Excellence Frederick Haldimand. Il est traduit en français par Charles Bas. Tuniefeldt, aide de camp de son Excellence.
"Monsieur le Brigadier d'Ehrenkrook, rapporte très humblement à Votre Excellence, qu'ayant reçu le 15ième de ce mois, de Monsieur le Quartier Maître Général Carleton, la Désignation pour le changement des Cantonnements, pour le Batt. d'Ehrenkrook, et de Barnes. Les arrangements étant faits le 18ième de ce mois, pour le changement du Batte. d'Ehrenkrook, et le 19ième pour les trois compagnies du Batte. de Barnes, lesquelles se trouvaient à Nicolet, et à la Baye, de passer de ce côté du fleuve pour se rendre à la Rivière du Loup. on avait ordonné aux compagnies de choisir le chemin le plus convenable pour eux. La compagnie qui se trouva à Nicolet, choisit le passage sur la Pointe du Lac, et les deux compagnies de la Baye choisissaient le chemin le plus court par le Lac St-Pierre, par la traverse balisée près de St-François laquelle doit faire trois lieues et demie."
"On s'était mis en marche vers les neuf heures du matin, avec le plus beau temps du monde, un ciel serin, et était ensoleillé, et le chemin beau. Ils avançaient au milieu du Lac, sans qu'un seul homme se plaignit du froid, mais environ après les onze heures, tout d'un coup vient un tourbillon et coup de vent du Nord, avec une poudrerie de Neige, qui renversa et ôta la respiration à 15 hommes, qui restèrent figés morts, presque sur la même place, malgré tous les soins qu'on tâcha de leur donner. Deux hommes sont aussi perdus, ou ensevelis sous la neige, sans qu'on puisse les trouver, pour leur donner les derniers devoirs."
"Un sergent du tambour et 13 soldats ont eu des engelures pour être transportés à l'Hôpital, 10 autres bien malades sont aux compagnies."
"Les officiers ont aussi fait tout leur possible pour rassembler et sauver le reste en marche, et sans que le chemin ne fut si bien balisé on n'aurait jamais pu se rendre, puisque la neige colla aux yeux et empêcha de voir la moindre chose. J'ai fait faire toutes les recherches et informations nécessaires, pour ce malheureux évènement, qu'il a plu à la Providence d'envoyer, à ce qu'on n'a point pu prévoir, mais je n'ai point trouvé le moindre reproche à faire aux officiers. Suivant les assurances et rapports donnés par Monsieur le lieutenant Colonel de Barnes, les soldats ont été bien vêtus, et on a pris tous les soins possibles, et on n'a point épargné les dépenses pour soulager les malades, lesquels sont en chemin de convalescence."
"Les officiers louent infiniment le zèle des Canadiens qui ont été avec eux, avec leur traîne pour le Bagage, et pour leur montrer le chemin. On a observé que ce coup de vent et grand froid n'a duré que trois heures. La compagnie qui a passé de Nicolet s'est retiré pendant ce temps dans les plus proches maisons de Pointe de Lac, et n'a rien souffert."
"Il me reste encore d'annoncer à Votre Excellence, comme les paroisses de Rivière du Loup, Maskinongé, l'Ormière, et St-Cuthbert, sont plus que suffisants pour cette compagnie, sans que l'Habitant et le soldat soient gênés, on n'aura pas besoin de la paroisse de Lanoraie et de Lavaltrie."
Signé: Gustave d'Ehrenkrook,
.......Brigadier Général.
Trois-Rivières, le 25 janvier 1779.
Connaissant trop bien l'horreur de la mort blanche, les habitants des environs se sont empressés de porter secours aux jeunes recrues de la Légion allemande, comme le souligne le rapport du Brigadier Général Ehrenkrook.
Ce drame nous porte à nous interroger sur les raisons de l'exclusion systématique dans les manuels d'histoire, de la présence de régiments prussiens ou allemands dans la "Province de Québec", lors de la guerre d'indépendance américaine.
Dans la dernièr série télévisée sur l'histoire du Canada, on ne fait pas mention du tout, de la participation de ces troupes.
Pourtant, la présence pendant sept ans de 10000 à 12000 soldats allemands sur le territoire de la "Province de Québec" constitue un évènement majeur dans l'histoire. Il fut une période où ils furent même presque la seule force militaire présente. Chose étrange on s'est évertué autant dans les histoires générales et régionales, à faire disparaître toute trace de la présence de soldats allemads sur le territoire du Québec pendant la guerre d'indépendance américaine.
Il est vrai que l'engagement de façon aussi discutable de ces troupes fut sujet à controverse et avait soulevé l'indignation en Europe. L'engagement des soldats par les princes allemands relevait plus du "kidnapping" que d'une campagne normale de recrutement.
On dénonmbrait en tout quelque 29770 soldats prusssiens engagés dans ce conflit,dont 17000 étaient stationnés à New-York. (Hessians)
Voici les tarifs qui avaient cours dans ce maquignonnage au bénéfice des Princes de Brunswick et de Hesse-Cassel.
Pour un groupe de 4200 fantassins et de 336 dragons à pieds obtenus du duc de Brunswick, la couronne britannique paiera la somme de 7 livres sterling, 4 shilllings et 4.50 pences pour chacun des soldats loués. Pour chaque homme tué et pour trois blessés invalides, la même somme s'applique. À ces sommes s'ajouent des montants forfaitaires payables aux princes allemands.
Conséquence de ce camouflage historique, on ignore l'implantation d'environ au Québec de 1400 militaires de la légion allemande, lesquels se sont fondus dans la majorité francophone. Ils ont apporté une grande contribution au milieu, et on retrouve les descendants de ceux-ci oeuvrant dans toutes les sphères de la société québecoise.
Cette mise à jour de la présence allemande au Québec pour cette période est l'oeuvre de descendants de ces militaires en poursuivant leurs travaux de généalogie. La plupart de ces descendants même aujoud'hui, ignorent leur origine et constituent un pourcentage appréciable de la population du Québec.
Sources:
--Université Laval, "La collection Haldimand."
--"Les Mercenaires allemands au Québec au XVIIIième siècle et
..leur apport à la population." par Jean-Pierre Wilhelmy
--"Les Annales du Canada, 1887-1888"
--Le Dictionnaire Biographique du Canada
--"L'Histoire populaire du Québec"
..par Jacques Lacoursière.