VIE
Marie Bashkirtseff ou la rage de
survivre |
"Je ne l'ai vue qu'une
fois,
je ne l'ai vue qu'une heure... Je ne l'oublierai jamais."
François Coppée, préface des Lettres de Marie Bashkirtseff
Depuis plus d'un
siècle, Marie Bashkirtseff ne cesse de fasciner par sa beauté, son élégance, ses
dons multiples, ses excentricités, sa personnalité de femme libre, son destin
fiévreux, magnifique et tragique.
Bonakoff, Madame Bashkirtseff en 1855 |
Née le 12 novembre 1858 dans la petite noblesse
Ukrainienne, Marie connut une adolescence errante et cosmopolite près de
sa mère et d'une véritable tribu de parents, de domestiques,
d'institutrices...
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 Marie
Bashkirtseff Portrait de son frère
Paul vers 1880 |

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En 1871, Mme Bashkirtseff s'installa à Nice,
dans une superbe villa sur la Promenade des Anglais.
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Puis à Paris en 1877, dans un hôtel
particulier de la Plaine Monceau, rue Ampère.
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Très tôt Marie entra dans la légende par sa
singularité et sa culture.
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Originale, excentrique, elle défrayait l'opinion
avec des audaces que n'osait aucune demoiselle de son époque. Presque
tous ses vêtements étaient blancs, comme ses chiens, comme son équipage
qu'elle conduisait elle-même le long de la Promenade des
Anglais. |
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Adolescente surdouée,
elle parlait cinq langues, lisait le grec et le latin. La philosophie et les
sciences la passionnaient. Elle peignait, sculptait, jouait de plusieurs
instruments et travaillait sa belle voix de mezzo-soprano.
Sa vie
sentimentale l'accaparait beaucoup.
Elle aima secrètement le duc de Hamilton,
qui ne lui adressa jamais la parole.
Elle noua une idylle tumultueuse avec le
neveu d'un cardinal romain, Pietro Antonelli,
puis elle flirta avec un excentrique débauché,
le comte Alexandre de Larderel. |
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Elle aima le député bonapartiste Paul de
Cassagnac. Par amour, Marie aurait abandonné ses désirs de gloire pour
devenir la moitiée d'un homme célèbre. Mais Cassagnac préféra épouser une
jeune fille à la personnalité moins excentrique et plus
malléable. |
"Il faut être
célèbre pour lui donner des regrets",
écrivit Marie dans le
Journal intime qu'elle tenait depuis l'âge de 14 ans.
Atteinte de tuberculose, elle était hantée par le
pressentiment de sa mort précoce et obsédée par le désir de passer à la
postérité :
"Mais si je ne suis rien, si je ne dois rien être
pourquoi ces rêves de gloire depuis que je pense?"
(Journal intime de
Marie Bashkirtseff, 25 juin
1884).
Elle voulut être cantatrice : la maladie brisa sa
voix. Elle tenta de devenir un grand peintre, un grand sculpteur : la mort
empêcha son talent d'arriver à maturité.
Cependant Marie Bashkirtseff
s'acharna jusqu'à l'extrême limite, avec une violence désespérée à mesure que la
maladie l'abattait.
Sa belle voix étant perdue
pour la carrière de chanteuse, Marie s'incrivit à l'Atelier
Julian - puisque l'Ecole des Beaux-Arts était
interdite aux femmes.
Elle y passa ses journées, étudiant avec acharnement,
déchirée entre l'exaltation et le découragement.
Marie artiste Pour cette nouvelle étape de sa vie, Marie Bashkirtseff se
voua au noir.
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Marie mondaine Cependant, elle ne renonça pas aux plaisirs mondains. Pour
eux, elle s'habillait de blanc. Mais souvent, avant le bal ou l'Opéra,
elle revenait à l'atelier pour écouter une leçon d'anatomie.
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Marie créa rapidement une oeuvre riche, multiple
où se côtoient la nature morte, |
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la scène de genre, le paysage, le
portrait. |
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Et aussi le portrait charge |
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à la limite de la caricature.
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aa aaa L'atelier de Marie
dans son hôtel particulier de la Plaine Monceau, à
Paris. |
Rapidement Marie put exposer ses oeuvres qui ne
passèrent pas
inaperçues.
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En décembre 1881, la maladie arrêta sa course
effrénée.
Elle se savait condamnée : la tuberculose était
incurable à cette époque. Mais elle luttait avec une héroïque désespérance :
"Je suis encore à l'âge
où l'on trouve de l'ivresse à mourir."
Par bravade, elle se fit photographier en deuil
d'elle-même, près de sa propre tombe. |
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L'autre monde excitait d'ailleurs son insatiable
intérêt pour tout : "si on savait ce qu'il y a là-bas! Mais on ne sait pas... Du
reste, c'est cette curiosité qui me rendra la mort moins
affreuse."
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Elle se lança dans la sculpture. Ses
créations étaient exposées au Salon officiel
de peinture et gravées dans la presse.
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Mais Marie
savait que le temps lui manquerait pour créer une grand oeuvre.
Cependant son
désir de gloire tournait à l'obsession.
Elle reportait tous ses espoirs sur
le journal intime auquel
elle confiait ses douleurs, ses révoltes, ses désirs les plus intimes depuis
l'âge de 14 ans.
Pour le sauver de l'oubli, elle
avait voulu l'offrir à plusieurs écrivains, quelques temps avant sa
mort.
Elle avait contacté Edmond de Goncourt, Dumas Fils, Guy de Maupassant,
mais sans leur avouer la raison exacte de sa démarche.
Intrigué par cette correspondante anonyme,
Maupassant répondit. Treize lettres furent échangées. Puis Marie, choquée
par le ton du romancier, rompit.
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A la fin de l'été 1884, son état empira.
Irrémédiablement. Sa dernière illusion fut de croire à l'affection -
voire à l'amour - du peintre Emile Bastien-Lepage. Il était jeune,
talentueux et miné par le cancer. Enveloppés dans la même couverture, on
les conduisait au Bois de Boulogne. Au retour, ils partageaient le même
chocolat. Mais ce n'était là qu'une intimité de malades. Avec son
implacable lucidité, Marie comprit que le jeune homme n'aurait jamais pour
elle qu'une cordiale sympathie : "Quand il a
été couché, je l'ai endormi en lui passant la main dans les cheveux. Cela,
c'est ce que j'ai rêvé. Mais en réalité, c'est Dina (cousine de Marie) qui lui a
tripoté la tête pour l'endormir. Elle est si bien portante, si grasse, si
forte que c'est à elle qu'il l'a demandé."
(Journal, 23 septembre 1884). |
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Marie mourut le 31 octobre, désespérée de n'être
arrivée qu'à cela : "Un peu de talent et une maladie mortelle."
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Mais elle avait
laissé un journal intime à
son image : lucide, exalté, fougueux, d'un franchise absolue.
Dés l'âge de 14
ans, elle s'était jurée qu'on lirait ces pages après sa mort et qu' elles lui
apporteraient la gloire.
Pari tenu.
Sa famille le publia en 1887.
Des 106 cahiers
écrits par Marie entre 1873 et 1884, la famille tira un abrégé, falsifié pour
des raisons de convenances.
L'ardente et libre Marie y était transformée en
pâle et chaste jeune fille "fin de siècle".
Mais le succès fut
prodigieux.
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Jusqu'en 1980 les éditions se succédèrent, en
France et à l'étranger.
Même renommée dés 1890 pour les
Lettres que
Marie avait échangées avec sa famille, mais aussi avec Edmond de Goncourt,
Zola, Sully-Prudhomme, Guy de Maupassant.
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Marie devint l'héroïne d'un véritable culte
:
"Son nom couronné de lumière ira jusqu'au bout
des siècles"
Gladstone
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"Pâle et ardente jeune fille ... extraordinaire
fleur de serre belle et parfumée jusqu'au prodige".
François Coppée
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"Elle avait, si jeune, amalgamé cinq ou six âmes
d'exception dans sa poitrine trop délicate et déjà meurtrie. Quand elle
mourut, elle possédait dans son cerveau les livres de quatre peuples, dans
ses yeux tous les musées et les plus beaux paysages".
Maurice Barrès |
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"Morte jeune aimée des dieux".
Chonez
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"Marie Bashkirtseff... une orgueilleuse volonté
d'être".
Simone de Beauvoir
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La vie et l'oeuvre de Marie Bashkirtseff inspirèrent
de multiples romanciers, nouvellistes, poètes, auteurs dramatiques.
On la
reconnaît dans La Journée brève et dans Le Crépuscule tragique
d'Abel Hermant, dans Le Crime des riches de Jean
Lorrain, Le Phalène d'Henry Bataille, Le Masque aux yeux
d'or d'Albéric Cahuet.
En 1936, le cinéaste autrichien H. Kosterlitz fit de
Marie l'héroïne d'un film.
Au théâtre, le Journal de Marie Bashkirtseff fut
adapté à plusieurs reprises entre 1984 et 2001 :
Théâtre
ESSAION de PARIS 6, rue Pierre-au-Lard -
75004 PARIS
LE JOURNAL
DE MARIE BASHKIRTSEFF
Adaptation et
mise en scène VICTOR VIALA Décors : SOPHIE FAVRE Costumes : MINE
- BARRAL - VERGEZ Son : REMY DESMARQUEST
avec
SYLVIE FAVRE FLORE BERNARD REMI DE
FOURNAS
à partir du 11 septembre
1984
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"... Marie Bashkirtseff... un sort bref et
cruel... une fièvre d'ambition... une fureur d'exister... une
tentative désespérée pour survivre, malgré tout, dans la mémoire des
hommes par le biais d'une confession totale, sans pudeur, et qui brûle
le papier."
Jean Rostand
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THEATRE DU PETIT ODEON
PARIS
MADEMOISELLE MARIE d'après le Journal
de MARIE
BASHKIRTSEFF
Adaptation : ISABELLE HABIAGUE Mise en scène :
ERIC TARAUD Décor : ANNE SWYNGHEDAUW Costume : BARBARA
RYCHLOWSKA
Avec
ISABELLE HABIAGUE
du 5 mars au 28 mars
1991
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"Cinq ans ont passé entre ma première
lecture du Journal de Marie Bashkirtseff et la naissance de ce
spectacle. Comment rester insensible à ce témoignage? Comment ne pas
avoir envie de "dire" Marie, de se faire le témoin et l'écho de cette
jeune artiste du siècle dernier? Impuissante face à son destin
tragique, elle est aussi un être de chair et de sang, brûlante
d'énergie exaltée, drôle et spirituelle."
Isabelle Habiague
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TREMPLIN
THEATRE 39, rue des Trois-Frères - 75018
PARIS
A QUOI BON
MENTIR d'après le Journal de MARIE
BASHKIRTSEFF
Adaptation : BENOIT LAVIGNE et GENEVIEVE
NOVELLINO Mise en scène : BENOIT LAVIGNE Musique : PEDRO
JUSTITZ
Avec
FLORENCE TOSI
du 1er
février au 6 mars 1994
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"Une voix, qui parle d'elle-même dans
la solitude de son journal, qui dit son envie rageuse de vivre, son
désir passionné de peindre, son désespoir lucide de mourir si
jeune, sans avoir été reconnue. Un nom, qu'elle voulait célèbre
: Marie Bashkirtseff."
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Le
théâtre LE PETIT MERLAN 39, avenue du
Merlan - MARSEILLE
MARIE
BASHKIRTSEFF ou le journal d'une artiste
peintre
Adaptation DANIELE DE CESARE Mise en
scène PHILIPPE ALEXAND
Avec
DANIELE DE CESARE (Marie) PHILIPPE
ALEXAND (le violoniste)
du 2 octobre au
18 décembre 1998
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"Marie Bashkirtseff mourut à 26 ans. 11
Jours après ses derniers écrits. Elle y dévoile ses faiblesses avec
tant de confiance et de volonté qu'elle nous apparaît en fait plus
forte, plus belle encore, plus rayonnante que
jamais."
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THEATRE LUCERNAIRE 53, rue Notre Dame des Champs 75006 Paris
MARIE LA
BLANCHE d'après le Journal
intime de Marie Bashkirtseff
Adaptation et mise en scène
Niels Arestrup
assisté de Catherine
Salvini
avec
FRANCE DUCATEAU et NOE
du 24 janvier au 24 mars
2001 |
"Marie Bashkirtseff est une enfant de douze
ans à l'ambition démesurée. Elle aime tout ce qui est beau... l 'art,
Dieu et elle-même. Elle confie chaque jour les secrets de son âme à
son journal, espérant ainsi livrer son destin à la postérité, voire
devenir l'âme blanche privilégiée de Dieu. Le temps ne lui sera pas
donné pour qu'elle soit reconnue au-delà de ses intimes
confidences." |
Théâtre des Osses
2, rue Jean Prouvé, Givisiez,
Suisse
"Marie"
Montage de
Sylviane Tille
D'après le Journal de Marie
Bashkirtseff
Interprétation
Céline Cesa
Mise en scène
Sylviane Tille
Lumières
Jean-Christophe Despond
du 21 septembre au 7 octobre
2001
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Pour le centenaire de la mort de Marie
Bashkirtseff, Colette Cosnier publia MARIE
BASHKIRTSEFF. UN PORTRAIT SANS RETOUCHES ,
un beau livre
objectif qui fit voler en éclats le mythe sirupeux inventé par la famille,
l'entourage, les hagiographes et les éditeurs de Marie : "le Journal illustre la longue marche vers une libération, c'est la
naissance d'une femme peintre qui comprend qu'on l'a trompée, qu'il est
temps d'être elle-même (...) Mais ce cri sera étouffé par la maladie, par
la mort. La phtisie l'a tuée certes, mais elle est morte plus sûrement de
l'impossibilité de vivre en tant que créatrice, tuée par une société qui
non contente de l'avoir mystifiée pendant sa vie la mutilera après sa
mort."
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Il restait à publier l'intégralité du
Journal
intime de Marie Bashkirtseff : ces 19 000 pages manuscrites conservées
à la Bibliothèque nationale de France.
Ginette Apostolescu et
Michel Fleury s'en chargent. Ils ont déjà édité huit volumes. Le tome
XI est sorti en mars 2003. L'édition du tome XII est prévue pour
l'automne 2003.
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Parallèlement, d'autres chercheurs à travers le monde
travaillent à la publication des oeuvres de Marie Bashkirtseff : Lucile Le Roy,
Phyllis et Katherine Kernberger, Marianne Kaas, Sabine Voigt, Verena Van der
Heyden-Rynsch, Martine Reid, Natalia Popova...
Avec curiosité notre époque découvre des
écrits lucides, audacieux, souvent révoltés et toujours fougueux : le cri d'une
jeune fille libre née un siècle trop tôt.