Mouvement des Chômeurs - 1998 le début d'une aventure :
L'Assemblée Générale de Jussieu.

 

 

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LES CHÔMEURS VOUS PARLENT

S’il fallait s’étonner de quelque chose, plus que de notre présence aujourd’hui à l’I.N.S.E.E., ce serait de ce que nous n’ayons pas songé plu tôt à vous rendre visite. Les motifs, en effet ne manquent pas. Le louable et notoire effort de falsifier les chiffres du chômage, auquel l’I.N.S.E.E. sacrifie avec une si belle constance, nous appelait déjà à venir confesser sur place tous ceux pour qui le mensonge corrigé des variations saisonnières est une profession. Nous ne pouvons laisser impunie l’insolence de ces spécialistes-là, qui parlent de nous sans nous connaître et ont, en vérité, du fond de leur bureau, si peur de nous rencontrer. Voyez, donc, nous faisons les premiers pas !

Mais l’évidence de ce premier motif pourrait bien le faire passer pour superficiel. Le second, plus profond, tient au principe même des statistiques et du sondage. Ils sont de nos jours l’un des plus puissants instruments de domination et de contrôle social. Si le maître d’une société est celui qui détient la représentation qu’elle se fait d’elle-même, alors l’I.N.S.E.E. est dans les mains du pouvoir le plus zélé, le plus efficace des serviteurs. C’est elle, en effet, qui crée de toutes pièces, et selon des intérêts que l’on devine sans peine, la fausse conscience que cette société se donne d’elle-même, et qui s’étalera par la suite dans les pleines pages de la connerie journalistique. C’est elle qui remplit de nombres des concepts vides, forçant ainsi l’assentiment à l’ignominie de la société marchande, dont elle n’a jamais cessé de parler le langage. Mais elle est surtout le symbole actif de la meurtrière quantification de la vie qui est aujourd’hui à l’œuvre. Le langage chiffré de la domination moderne contient tout l’impudent arbitraire de ceux qui, agissant dans le secret, croient pouvoir ne rendre de comptes à personne. Le sondage tient opportunément lieu de débat réel ; l’horreur sans borne de l’exclusion apparaîtra toujours modérée dans les colonnes de chiffres ; on pourra toujours faire taire la vérité par des enquêtes, il suffit pour cela de savoir poser les mauvaises questions.

Mais nous venons aujourd’hui en personne pour rencontrer les hommes de l’I.N.S.E.E. en personne. S’il n’y a rien à attendre de l’institution, qui doit être détruite, il n’en va pas de même de ceux qui la composent : eux sont susceptibles de conscience. Ils peuvent reconnaître la fonction sociale qu’on leur fait remplir, qui fait d’eux les tristes valets de l’oppression. Ils peuvent encore reconnaître leur misère de statisticien : leur bureau désolé au bout d’un couloir d’hôpital où ils perdent leur vie dans la compagnie muette des bruits blancs, d’espaces vectoriels, de moyennes mobiles, d’écarts types, à un travail sans joie et sans utilité. Ils sauront, lorsqu’ils auront vu cela, leur vérité de parasites, d’hommes amoindris, de bourreau victimes d’eux-même. Alors peut-être partageront-ils avec nous le dégoût qu’ils nous inspirent, eux comme le monde qu’ils bâtissent sans relâche. Peut-être même nous rejoindront-ils. Ils seront les bienvenus, avec armes et bagages.

Assemblée chaque jour (sauf le week-end) à l’université de Jussieu à partir de 18h (1998)

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