Mouvement des Chômeurs - 1998 le début d'une aventure :
L'Assemblée Générale de Jussieu.

 

 

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NOUS SOMMES TROP JEUNES, NOUS NE POUVONS PAS ATTENDRE

Dans les discussions actuellement en cours sur le travail, il y a des banalités de base qui ont été trop négligées. On parle souvent d’abolition du travail, de réappropriation de nos vies et d’une activité humaine à réinventer, mais on oublie un détail : si nous sommes d’accord pour dire que le travail est un rapport social médiatisé par le profit et que donc l’abolir signifie bouleverser toute la société, il faut bien réaliser qu’il y a un appareil d’Etat qui défend par la violence les conditions existantes. Parler de transformation des rapports sociaux (un « emploi différent de la vie ») sans poser la question de l’Etat signifie séparer un projet possible des conditions concrètes de sa réalisation —’ voire contribuer à aménager ce qui existe. Si l’on ne s’empare pas du temps et de l’espace pour dialoguer sans médiateurs et changer ainsi les rapports, aucune transformation sociale n’est possible. Or, tout l’espace est aujourd’hui occupé militairement par le capital et par l’Etat. « L’argent » et la « marchandise » sont des concepts qui restent bien abstraits si l’on ne les voit pas en tant que lieux, structures et appareils concrets de contrôle et de domination. Bien sûr ils sont également des valeurs, mais imposées par une vie réelle de soumission et par des moyens de domestication. « Abolir l’argent et la marchandise » signifie détruire tout ce qui les concrétise. Et c’est seulement à l’intérieur de cette destruction que le dialogue s’arme et que les consciences se transforment. (Comme disait l’autre, on ne peut désirer que sur la base de ce qu’on connaît, et l’on ne connaît que sur la base de ce qu’on fait). Face à ces prétentions pratiques - à cette « immense œuvre de démolition urgente » - le pouvoir ne peut rester tranquillement à regarder : pour lui c’est la ruine ou la récupération. Sans abattre l’Etat (au sens strict de gouvernement, magistrature, police, armée, etc.) et sans exproprier le capital (en détruisant ce qui est nuisible et en transformant ce qui est transformable), aucun changement réel n’est possible. On pourrait nous répondre : « La destruction de l’Etat ? C’est pas demain la veille ... ». C’est vrai, mais l’abolition du travail non plus (sauf si l’on croit qu’elle soit compatible avec le capitalisme, mais alors il faudrait s’entendre sur le mot « travail »). Ce que nous voulons souligner est tout simplement le fait que abolition du travail et destruction de l’Etat sont des termes indissociables, théoriquement et pratiquement. C’est la raison pour laquelle tout le discours porte sur ce qu’il y a à dire et à faire maintenant, et non demain ou après-demain. Sur cette base, les problèmes changent considérablement d’aspect. La répression, par exemple, ne peut plus être perçue uniquement comme réaction à ce que nous faisons (chose qui pourrait justifier un discours d’autocensure), mais aussi comme projet et pratique permanents du pouvoir. L’omniprésence de la répression s’exerce à travers le déploiement d’un contrôle toujours plus technologique et subtil, s’immisçant partout où le rapport de force (et le consensus lui-même est une force) lui laisse la possibilité de s’immiscer. La répression est avant tout répression de désirs, fabrication de cette marchandise qui contient toutes les autres : la paix sociale. Ce n’est pas la révolte qui fait augmenter la répression, c’est la passivité. Quelques petites réflexions au sujet de la méthode. Le choix de l’objectif d’une action est en lui-même une proposition théorique qui relève d’une analyse et d’un effort de documentation. Ceux-ci constituent la matière de discussions collectives. Une analyse globale (et documentée) du travail -dans ses aspects productifs, psychologiques, médiatiques, etc. - signifie une chose très concrète : un spectre plus large d’"objectifs auxquels s’attaquer. Une analyse globale dépasse la tendance à toujours privilégier un champ spécifique d’intervention (« Tous ensemble contre les détails ! » est le cri de bataille du réformisme). Pour une intelligence capable de dissocier et de composer continuellement les différents aspects de la domination, la révolte est partout. « La poésie consiste à faire des mariages et des divorces illégaux entre les choses » (F. Bacon). L’insurrection n’est que poésie généralisée. Une assemblée comme celle-ci pourrait être, dans ce sens, un véritable laboratoire (bien que nous soyons des ennemis déclarés du travail). Un échange continu d’informations et de réflexions est une critique en actes de la hiérarchie et du racket de la parole. La discussion collective peut transformer les actions de chacun en contribution théorique et, réciproquement, les réflexions de chacun en possibilités d’actions autonomes. Ce qui permet de remettre en question la séparation entre le penser et l’agir. Entre l’assemblée et l’organisation/réalisation des actions. En ce qui concerne les actions, élargir la critique à toute la société du travail signifie penser différemment notre pratique et notre force. Tous ensemble, oui, mais pas forcément en même temps ni au même endroit. Les actions pourraient être réalisées aussi par des groupes plus restreints (où les affinités sont plus approfondies). Cela permettrait une participation effective de chacun à tous les aspects de l’action (analytiques et techniques), la critique de toute attitude grégaire et plus de confiance entre nous (in fine ce sont les flics et les procureurs qui prendront le soin - ou non - de juger de la qualité de notre poésie ... ). Cela nous donnerait aussi l’occasion de mieux évaluer les moyens et les formes de l’agir, une plus grande imprévisibilié, la possibilité d’expérimenter une coordination horizontale entre les actions (un fédéralisme passionné et subversif) et celle d’élargir le sens et la force des pratiques. Il en découlerait probablement une plus grande richesse de réflexion de l’assemblée (principalement en ce qui concerne les méthodes à employer).

La révolte est la rencontre de la légèreté avec la rigueur.

Des insurgés en quête d’insurrection.

Jussieu, le 13 mars 1998, débat sur l’Etat...

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