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Le matin 1998

Patty Schnyder : sur la brique pilée de Roland-Garros, à Paris, elle est pratiquement en train de voler la vedette à Martina Hingis, tout au moins dans le coeur des Suisses qui craquent pour cette jeune Bâloise si gentille et si douée.

Toute la Suisse dans l'image d'une championne? Alors ce sera celle de Patty Schnyder! Des airs de Heidi, un profil de jeune fille sage, "bien de chez-nous", presque une image de carte postale. Que l'on ne s'y trompe cependant pas : sous la cendre couve le feu. Longtemps Eric Van Harpen, son entraîneur, a dit d'elle qu'elle était "trop Suisse", trop vite satisfaite d'elle-même, trop tendre, trop gentille.

Depuis, Patty Schnyder a appris. Et, aujourd'hui, 19è joueuse de tennis du monde, elle est une battante. Une "lutteuse" que le monde entier, celui du tennis en tout cas, nous envie.

 

- Quelles sont les images que vous conservez de votre enfance, Patty ?

Celles d'une enfance heureuse, sans soucis, au sein d'une famille unie. La maison de Bottmingen, dans la banlieu de Bâle, le jardin, dans lequel nous passions des heures à jouer. Les voisins aussi, des tas d'enfants, des tas de jeux. Je me souviens de la forêt qui bordait cette maison et des heures que nous avons passées à jouer dans les bois avec mon frère, Dany, le complice de toute ma prime enfance.

 

- A quel âge avez-vous reçu votre première raquette?

A 7 ans. Mon frère a été mon premier partenaire. Au début, nous jouions ensemble ; puis nous avons pris des cours, une heure par semaine d'abord. Puis deux, puis trois. A cette époque, nos idoles s'appelaient Stefan Edberg et André Agassi. Ils étaient partout dans nos conversations, en photos sur les murs de nos chambres. Je me souviens des matches qu'alors nous disputions ; Dany était Agassi, j'étais Edberg. C'étaient des parties interminables, ni lui ni moi ne voulions perdre!

 

- A quel moment vous êtes-vous rendue compte que vous aviez du talent? Et que vous aviez, peut-être, un avenir dans le tennis?

Vers 12 ans, peut-être 13. J'ai disputé mes premiers vrais matches à 9 ans. J'étais plus petite que les enfants de mon âge, je devais imaginer d'autres choses pour les battre. Je jouais des amorties, je devais réfléchir, je ne pouvais pas me satisfaire de frapper dans la balle. J'ai remporté quelques matches, j'ai pris goût à la compétition.

 

- Vous vous êtes donc découverte toute seule?

Mes parents ne sortaient pas du milieu du tennis. Et sans doute ne pouvaient-ils pas juger de mes réelles possibilités. Moi, d'aussi loin que je me souvienne, je crois que j'ai toujours rêvé de disputer de grands matches de tennis.

 

- Pourtant on vous dit douée pour beaucoup d'autres sports. Le golf, où vous jouer à égalité avec Eric Van Harpen, qui, lui, possède un handicap de 16.

Je crois que celui qui maîtrise un sport est à l'aise dans les autres. Au golf, je sens la balle, le geste juste. J'aime ce sport, car comme le tennis, il exige beaucoup de maîtrise de soi, une concentration extrême, une technique affirmée.

 

- Et le ski?

C'est pareil. Avec en plus, la nature. Je suis une vraie accro! Beaucoup plus que les villes, j'aime les paysages, la montagne, les grands espaces. Chaque hiver, je passe une semaine au minimum dans une station de ski. Ce n'est pas un caprice, c'est une nécessité. Là, je suis loin du bruit, loin des voyages. Je respire, j'aime cela.

 

- Auriez-vous pu devenir une championne de golf ou de ski?

Cela on ne le saura jamais. J'ai choisi le tennis, et c'est un sport qui me convient parfaitement. J'aime me battre physiquement, j'aime aussi, et surtout, me retrouver face à un problème et tenter de le résoudre. Le tennis, c'est à chaque fois, à chaque matche, se retrouver devant un problème nouveau. Vous devez être prête physiquement et, dans le même temps, être capable de réfléchir et de trouver des solutions aux problèmes que vous pose votre adversaire. C'est ça qui me passionne. Je n'aurais jamais pu pratiquer un sport comme, par exemple, la natation. Aller et venir dans une piscine me paraît au-dessus de mes forces.

 

- Quel regard portez-vous sur le milieu du tennis ?

Les agents, les contrats, tout ce qui gravite autour du jeu, tout cela m'est un peu indifférent. Je sais que ça existe, je sais que tout ce négocie, que tout se vend, mais je me garde bien de trop m'en préoccuper. Mon milieu à moi, ce sont mes parents, mon entraîneur, mon agent. Ce sont eux qui règlent toutes les questions relatives à ma carrière. Moi, je me préoccupe uniquement de mon jeu, de ma forme physique, de mon tennis. Ce n'est pas une manière de fuir les réalités, c'est mon métier. Et, pour le pratiquer de la meilleure manière possible, il me faut garder mes distances avec tout le reste.

 

- Vous gagnez beaucoup d'argent et c'est une chose qui fait aussi partie du métier...

C'est vrai. Mais ce n'est pas un sujet qui me préoccupe. Aujourd'hui, et pour la première fois, je gagne de quoi vivre. C'est important de se sentir autonome, de vivre de ses propres revenus. Cela dit, je pense que l'argent qui circule dans le tennis est très mal réparti. Lorsqu'on parle de gains, il n'y a aucune comparaison entre la 30è, la 20è ou la 10è joueuse du monde. Les premières gagnent trop, les autres pas assez. Et, pourtant, toutes font le même métier, les mêmes efforts. Elles sont toutes à faire fonctionner la machine.

 

- Métier, argent, milieu, tennis : vous sentez-vous à l'aise dans tout cela ?

Parfaitement. J'ai le sentiment d'être à ma place, de faire ce que j'aime, d'être moi-même. Et cela est très important pour moi.

 

- On vous dit sûrement que Venus Williams ou Anna Kournikova sont des stars. Et vous, Patty, comment vous considérez-vous ?

Vous me parlez d'un autre monde. Ce sont des jeunes filles sans cesse exposées à tant de sollicitations. Elles sont presque devenues des produits. Elles ont été élevées dans cet état d'esprit, peut-être même sont elles heureuses dans leur rôle. Je ne suis pas jalouse d'elles, mais je ne pourrais pas vivre ainsi. Je n'ai rien contre le fait de devenir peut-être, un jour, la première au niveau du tennis mondial. Mais à la condition de pouvoir rester moi-même.

 

- Vous aimez lire, vous êtes curieuse de tout, ce qui est assez rare parmi les joueuses...

C'est vrai que j'adore la lecture. Je ne me déplace d'ailleurs jamais sans un bouquin. Je lis des romans policiers, des romans historiques aussi ; le genre grandes fresques, des livres qui me font découvrir d'autres mondes que le mien. Je lis également beaucoup de livres en anglais, ce qui m'aide à approfondir mes connaissances dans cette langue.

 

- Vous avez 20 ans et ce n'est plus l'âge d'une petite fille. Comment vivez-vous vos relations avec les garçons ?

C'est quelque chose de difficile. Nous, les joueuses, avons une vie qui, le plus souvent, nous interdit d'entretenir une relation durable. Nous voyageons presque toute l'année et, même si nous avons une relation avec un joueur de tennis, nous sommes la plupart du temps séparés. Nous jouons dans une ville, ils sont dans une autre, et c'est comme cela huit mois l'an. Les joueurs, en général, demandent à leur petite amie de les suivre ; nous ne pouvons exiger cela d'un boy friend. C'est un réel problème. Mais, pour l'instant, je vis très bien toute seule.

 

- Et plus tard ?

Vous voulez dire une fois ma carrière terminée? C'est loin, et j'ai de la peine à l'imaginer. Je sais pourtant que cela arrivera. Et je voudrais y être prête le moment venu. Comme tout le monde, j'ai envie de fonder une famille, d'avoir des enfants.

 

- Vous aimez les enfants ?

Beaucoup. J'ai un très bon contact avec eux et je crois qu'ils sentent que je suis disponible, que je suis à leur écoute.

 

- Visitez-vous les villes dans lesquelles vous jouez ?

Oui, tant que faire se peut. Ce que j'aime, surtout, ce sont les paysages, la nature. L'Australie, par exemple, m'a fascinée. Certains endroits de l'Amérique aussi.

 

- Parlez nous un peu de Martin Hingis, votre partenaire de la Fed Cup...

Martina et moi n'avons aucun problème relationnel. Lorsque nous sommes ensemble pour disputer la Fed Cup, nous ne sommes que deux jeunes filles complices et qui ont un but commun : gagner nos matches pour l'équipe de Suisse. Nous nous amusons beaucoup, nous travaillons énormément aussi. Avec Emmanuelle Gagliardi, la troisième joueuse suisse, nous formons une vraie équipe, au sens où nous sommes parfaitement complèmentaires. Manu est une vraie boute-en-train. Je dois dire que tout cela n'est pas triste...du tout.

 

- Justement, l'équipe de Suisse s'apprête à recevoir la France, à Sion, en juillet prochain. L'engouement pour cette rencontre semble extraordinaire. Quelle image pensez-vous que les Suisses ont de vous ?

Je ne peux pas parler pour la Suisse romande parce que je n'ai pas de référence. En Suisse alémanique, je crois que les gens me ressentent telle que je suis, comme une jeune fille simple, facile de contact, très proche d'eux. C'est une image qui me plaît parce que c'est moi.

 

- Et si, un jour, il devait y avoir une "vraie" rivalité entre Martina et vous ?

Si elle est numéro 1 mondiale et moi numéro 2, je l'accepterai volontiers. Elle a tellement de talent...

 

- A quoi rêve secrètement Patty Schnyder ?

Remporter un tournoi du Grand Chelem. Ca oui, c'est le rêve...