Les anciens souvenirs
Jacques Beaucage


printemps 1984

Théo Jacques peux-tu m'expliquer dans quelles circonstances tu as été embauché à l'ONF ?

Jacques Françoise Rodier, qui était à l'Action Catholique, m'a dit il y a un poste qui s'ouvre à l'ONF. J'étais allé voir tout de suite et ils m'avaient laissé entendre que ça pouvait marcher. Trois mois après, je reçois un coup de fil pour me dire que je commençais le 19 mars 1949. On m'a dit vois Cloutier, qui était représentant de Montréal, il va te dire quoi faire et regarde les films. J'ai été trois jours au bureau de Montréal et une semaine à St-Jean avec un certain Théo Picard et puis je suis allé aussi à Granby avec Maurice Bastien et puis le 20 avril je partais pour Sherbrooke avec un projecteur, un écran et dix-huit films.

Théo Quelles sortes de directives t'avait-on données ?

Jacques Aucune.

Théo Aucune directive ?

Jacques Aucune. Tout ce qu'on m'avait dit : il vous faut une auto.

Théo Est-ce qu'on s'était informé si t'avais des connaissances en cinéma ?

Jacques Cette question-là n'a jamais été posée.

Théo Quel est le territoire que tu avais à parcourir pour la région de Sherbrooke ?

Jacques Il y avait une dizaine de comtés. J'avais tous les Cantons de l'Est, plus Brome-Missisquoi.

Théo Mais tu es arrivé à Sherbrooke dans un bureau ?

Jacques Absolument pas, je n'avais aucun bureau, c'était la chambre dans laquelle je vivais, que j'avais louée, de la grandeur de mon salon ici. Je n'étais pas encore marié et cette chambre-là servait de bureau de l'ONF. Les films étaient en-dessous du lit et le projecteur aussi, s’il n'était pas dans l'auto.

Théo Est-ce qu'on t'avait obligé à avoir une auto ?

Jacques Oui c'était une condition pour avoir le poste. J'avais une vieille Ford 36 que j'avais payée 750 dollars dans le temps en 49, qui a tenu juste le temps qu'il faut.

Théo Te rappelles-tu des tout premiers contacts que tu as faits ?

Jacques Oui. Quand j'ai quitté, on m'avait dit il y a un abbé Lebrun qu'il faut voir, qui s'occupe des loisirs et il y avait un groupe d'anglophones, je me rappelle pas le nom, qui fallait voir, et puis c'est tout.

Théo On s'était assuré que tu étais bilingue parce que dans ce coin-là il y avait pas mal d'anglophones ?

Jacques Oui. On était sensé me payer plus cher que Guy Beaulieu, qui commençait en même temps que moi. On me donnait 200 piastres par mois alors que lui je pense qu'on lui donnait 180 ou 190.

Théo Comme toi t'avais pas fait l'armée, avais-tu des points ? Parce que ceux qui avaient fait de l'armée ils avaient un espèce de pointage qui leur donnait un petit avantage.

Jacques Absolument pas.

Théo Les premiers films que tu as passés qu'est-ce que c'était ?

Jacques Avec l'abbé Lebrun, c'était des films sur les loisirs. Il m'a recommandé le groupe d'Action catholique alors ça ça été tout de suite un réseau qui a été facilement organisé avec la J.O.C. ( note du webmestre : Jeunesse ouvrière catholique) Et puis tout de suite après, ça été avec l'U.C.C. ( note du webmestre : l'Union des cultivateurs catholiques) qui couvrait toutes les paroisses et puis ça a été le programme mensuel. C'est grâce à l'U.C.C. si j'ai pu organiser des réseaux,. J'avais organisé le circuit de Richmond, de Wolfe, de Frontenac, de Compton, de Stanstead et puis dans le circuit anglophone il y en avait autant. J'avais dix circuits au bout de quelques mois. Dès la première année, j'avais 200 séances par mois.

Théo Mais tu n'avais qu'un projecteur, comment organisais-tu ça ?

Jacques À mesure que les circuits montaient, ils m'envoyaient d'autres projecteurs. Ça n'a pas été long que j'ai eu six projecteurs.

Théo Tout ça c'était remisé dans ta chambre. La réparation des films, qui faisait ça ?

Jacques On m'avait montré comment faire mais c'était pas mon fort ces petits travaux pratiques. Dès le mois d'octobre, je déménageais de la chambre à un deux-pièces et puis en même temps j'avais un garage. Alors, les projecteurs étaient là au froid dans le garage, pis les boîtes de films aussi.

Théo Quand ça brisait chacun s'organisait pour réparer ?

Jacques Je leur ai montré comment coller les films.

Théo Mais il n'y a pas eu de pépins ?

Jacques Ah il y en avait. À un moment donné, je recevais un coup de fil et en vitesse je devais aller dépanner un gars qui avait oublié de mettre la lentille au point. Même si je l'avais montré à un tel gars, ce gars-là était disparu et je ne l'avais pas montré à l'autre.

Théo Avec qui faisais-tu affaires pour l'organisation des salles ?

Jacques Je n'avais pas à chercher des salles. J'allais voir le responsable de l'U.C.C. et je lui demandais : voulez-vous des films ? Les gars disaient oui. Les conditions sont les suivantes : vous avez à vous occuper de la salle, on va vous montrer comment ça marche et vous avez aussi à envoyer le projecteur et les films au village suivant. S'il n'y avait pas d'autobus, le gars s'organisait avec le laitier, le boulanger ou un voyageur de commerce ou il allait le porter lui-même.

Théo C'est toi qui avait décidé que ça marchait comme ça ?

Jacques C'est moi qui avait décidé ça, on n'avait pas de budget.

Théo À ce moment-là, qu'est-ce que c'était le rôle du représentant ?

Jacques Il n'y avait pas de travail éducatif là-dedans, c'était l'organisateur d'un réseau de distribution de films. Celui qui avait le plus de cartes blanches et le plus de séances de films dans le mois, c'était celui qui était vraiment le meilleur.

Théo L'objectif c'était d'en faire voir le plus possible ?

Jacques On était strictement jugés sur le quantitatif. On envoyait les cartes blanches à chaque fin de mois à la direction avec un rapport. Alors les premiers mois, je trouvais ça le fun, le premier mois il y avait eu peut-être quatre, cinq séances. Le deuxième mois, il y en avait eu quinze, vingt, et à la fin de l'année il y en avait deux cents. À ce moment-là, Georges était venu voir et il avait dit : ça n'a pas de bon sens que tu aies tant d'assistances que ça. Parce que pour ne pas courir après les cartes, je faisais signer les gars d'avance. Je mettais une moyenne de 150, 200 d'assistance mais je pensais que c'était vraiment ça.

Théo Mais il était représentant, qu'est-ce qu'il avait d'affaire à ça ?

Jacques Ah bien il avait vu ça dans les rapports du directeur régional. Il était venu me voir et il m'a dit : tu me coules toi, tu travailles trop.

Moi je pense que les statistiques que je donnais représentaient pas mal la réalité. Il pouvait peut-être y avoir une salle avec quinze, vingt personnes à un moment donné mais dans l'autre salle à côté il y en avait trois, quatre cents. Parce qu'il ne faut pas oublier que ces gens-là ,dans le fond de Wolfe et de Mégantic, ces gars-là, des vues, ils n'en avaient jamais vues. J'ai vu des enfants de l'âge de dix ans, quand je montrais au père comment faire fonctionner le projecteur, l'écran était dans cuisine, et les petits gars de dix ans se sont approchés de l'écran et ils essayaient de saisir le bateau qu'il y avait dessus. J'en ai vu qui se cachaient dans la boîte à bois quand j'arrivais.

Théo Parce que ils avaient peur que ça saute ! Les objectifs du début est-ce qu'ils se sont précisés ensuite ?

Jacques Ça n'a pas été long que je me suis rendu compte que les gens avaient beaucoup d'intérêt autour de certains films, soit des films à portée sociale ou économique, qui collaient plus à leur réalité. À la fin de la projection, quand j'y allais quand les gens étaient mal pris, les gens me posaient des questions, ils me disaient qu'est-ce que ça veut dire telle affaire. Je pense à des films pour les cultivateurs, sur la façon de labourer de façon horizontale dans les coteaux, en contour, pas labourer de haut en bas. On expliquait que si on labourait sur les terres en pentes, de haut en bas, plutôt que de labourer en contour, l'érosion mangeait cette terre-là, parce que les pluies charroyaient la terre arable vers le bas.

Il y avait des films qui avaient beaucoup d'impact. Je pense au film où on montrait comment le père devait céder la terre à son fils assez tôt parce depuis toujours la tradition c'était que le père donnait la terre à son fils en mourant, de sorte que le gars avait 50, 60 ans et il fallait encore qu'il demande cinq cennes au père pour la quête le dimanche. Ce film est peut-être celui qui a eu le plus d'impact dans les milieux ruraux. C'était un problème qui ni monsieur le maire, ni monsieur le curé, ni le notaire, personne ne pouvait régler. Mais là c'était impersonnel, on présentait le film à toute la paroisse et d'un coup l'étincelle se faisait dans les yeux.

Là je me suis aperçu que notre rôle pouvait être un rôle non pas simplement de distributeur mais un rôle en éducation populaire. En voyant les gens me poser des questions, j'ai dit c'est l'fun.

Je n'aurais pas été heureux dans ma vie d'être simplement un vendeur. J'ai toujours pensé que j'avais un autre rôle à jouer et que ça pouvait être à travers le contact avec les groupes, de voir comment on peut améliorer le milieu, améliorer les gens, s'améliorer soi-même, échanger avec des gens sur les vraies valeurs.

Théo As-tu vu les premiers films de guerre ?

Jacques J'en ai connu quelques uns qui étaient très populaires d'ailleurs.

Mais il y avait un film, je ne me rappelle plus le titre, je croyais que c'était un film qui traitait de l'aviation. Un ex-pilote de guerre, le colonel Bennett, était venu me demander un film sur l'aviation. Je vois ça, je me dis c'est un film qui touche à l'aviation et je lui prête ça. Le gars reviens, insulté : votre écoeuranterie, t'aurais pu garder ça pour toi. Je regarde le film ; c'était un film sur la maladie des vaches qui se font piquer par les tons et ça fait du pus, tu vois l'agronome qui sort le pis des vaches, ah sainte, j'ai jamais revu le gars, ça été fini les films de guerre.

Théo Tu n'avais pas le temps de tous les voir ?

Jacques Bien, les films anglais hein (rires)…

Théo Tu as toujours eu une distribution à peu près 50 % français- 50% anglais ?

Jacques Au niveau des auditoires, oui mais au niveau des cartes de rapport, il y avait pas plus de français que d'anglais. Ce sont les écoles francophones qui n'ont pas embarqué, ou par la porte d'en arrière.

Théo Pourquoi ?

Jacques Le gouvernement du Québec nous défendait de distribuer des films directement dans les écoles, parce que l'éducation ça relevait des provinces. Au fond, ils avaient raison.

Et les anglophones qui nous disaient de tricher. Ces mêmes anglophones étaient scandalisés quand je disais que je trichais sur l'impôt fédéral ou sur la douane. Ils me disaient il faut que tu respectes la loi, oui mais tu ne nous dis pas de respecter la loi quand c'est la distribution de films.

Théo Mais dans le territoire as-tu eu des complications à cause des restrictions de Duplessis ?

Jacques Non. Les gens des Cantons de l'Est, il faut te dire, je parlais de mes épais, parce que ce n'étaient pas des gens bien évolués, et puis le mot était dans le dictionnaire français, ça veut dire quelqu'un qui est intellectuellement engourdi, ça ne veut pas dire qu'il n'a pas d'intelligence. Ce mot là était peut être péjoratif mais au fond je les aimais les gars, et puis quand on les dégourdissait ça marchait, la preuve c'est que j'en ai eu des rendements.

Théo Mais ils n'avaient pas eu des instructions de refuser des films de l'ONF ?

Jacques Ils en ont peut-être eu mais les gens des Cantons de l'Est c'est pas des fanatiques, c'est des gens pondérés, c'est des gens qui ont beaucoup de gros bon sens, c'est pas pour rien que cette région-là s'est développée plus que d'autres régions du Québec. Faut dire que les anglophones leur ont donné un coup de main. Ils ont vu comment les anglophones procédaient, et, étant donné que les anglophones étaient majoritaires, ils ne pouvaient pas faire grande chicane. Quand ils sont devenus majoritaires, les anglais se sont tassés mais les anglais gardaient le contrôle du commerce. Pendant longtemps, les magasins de gros de Sherbrooke c'était Webster, c'était les anglophones dans tout ce qui avait de gros.

J'avais de bons amis dans les milieux anglophones. Je pense par exemple au révérend Cameron, le United Churh man qui venait chez nous à tous les mois. Il venait manger chez nous, j'allais manger chez eux, il m'a invité à ses noces. J'ai eu de très bons rapports avec ces gens là. Il y en a un qui était devenu l'évêque des anglicans de la région, à St-Peter Church, j'ai été bien chum avec ce gars-là.

Théo Ça veut dire qu'indépendamment des directives qu'ils pouvaient recevoir de la province, parce que tu étais chum avec eux, ça fonctionnait quand même ?

Jacques Les anglophones se sacraient bien de la loi de Duplessis, ça allait direct et moi ça me donnait des statistiques.

Mais chez les francophones, je me rappelle que je suis allé dans certains couvents chez les sœurs et la soeur supérieure me disait non on peut pas les passer mais je voudrais vous présenter le professeur d'histoire. Et là le professeur d'histoire me disait il y a une série sur l'histoire indienne, envoyez ça à untel, ça paraîtra pas.

Théo Ensuite après Custeau, qui as-tu eu comme directeur ?

Jacques Ça a été Boudreau.

Théo Est-ce que ça a fait des changement dans les directives ?

Jacques Pat Boudreau lançait des grandes théories et il les appliquait plus ou moins. C'est un gars avec qui je ne me suis pas du tout entendu, il a même essayé de me mettre à la porte.

Théo Pourquoi ?

Jacques Un certain Jean Montcalm, qui n'était pas trop heureux du fait qu'il n'était pas président du Conseil du film, m'avait accusé de voyager trop. Il avait fait un rapport contre moi à l'ONF. Il m'accusait d'être dans le commerce des projecteurs. C'était totalement faux. Ils sont venus vérifier et se sont aperçu que ce n'était pas vrai.

Théo Rappelles-moi donc l'incident qui s'était passé avec Custeau et un représentant anglais.

Jacques Les anglais s'étaient plaints que je ne les servais pas à la cuiller comme Bob Taylor, qui m'avait précédé. Taylor lui allait chaque soir faire la projection. Il couchait chez les gens, il déjeunait là, il était bien chum avec tout ce monde là, il était reçu comme un roi et puis le lendemain il continuait à l'autre village, il se faisait nourrir par les gens mais chargeait sur son compte de dépenses.

Moi j'ai dit vous allez prendre le projecteur, vous allez l'envoyer chez le voisin selon le système de circuit. Alors les anglais ont accepté mais ils ont bougonné et ils ont fait un rapport. Ils ont dit Taylor nous servait mieux que ça. Mais Taylor il faisait quinze, vingt séances par mois. Alors que moi j'en faisais deux cents. Alors Custeau est venu voir, il a découvert qu'ils étaient bien servis. Quelque temps après, je reçois une copie de lettre que Custeau avait envoyée à Ottawa et il le disait dans la lettre . J'ai pas besoin de te dire que le même Custeau m'aurait demandé de me jeter à l'eau, dans boue que je l'aurais fait.

Théo Comment t'organisais-tu pour prévoir l'ensemble de ton travail ?

Jacques On n'avait aucune directive dans ce sens-là. On savait qu'il fallait se tenir dans la moyenne des statistiques, ça voulait dire qu'il fallait maintenir les circuits et développer les dépôts de films dans les principales villes du territoire.

Théo Le films, où les prenais-tu ?

Jacques Sitôt qu'on avait réussi à ce qu'une ville, une commission scolaire ou un autre organisme accepte de faire la distribution de films on faisait une demande à Montréal et ils nous envoyaient quinze, vingt, vingt-cinq films de plus. J'avais organisé un dépôt à Mégantic, qui n'était pas une ville tellement importante, qui était loin, ils étaient isolés, mais ils avaient une grosse consommation.

Théo Toi t'avais un amour pour les gens de loin !

Jacques J'haïssais pas ça aller à Mégantic, c'est vrai . C'était beau et puis évidemment c'était à soixante milles de distance. Sur le compte de dépenses c'était vraiment une bien belle somme.

Théo Lac Mégantic pis Cowansville !

Jacques Pis Cowansville !

Théo (rires) Parce que tu te rapprochais de Montréal et du Forum ! (rires)

Jacques Maudit Théo, va donc te cacher !

Théo (rires)

Jacques On avait la clé pour entrer au Forum dans ces années là.

Théo C'étaient les trucs du métier, se servir de son travail pour se rapprocher de ses goûts personnels, c'est pas défendu je pense bien.

Quelle sorte de rapports tu étais tenu de faire ?

Jacques On nous demandait de faire un rapport mensuel mais on ne nous a jamais dit comment. J'envoyais les rapports statistiques, les nouveaux endroits qui étaient couverts par les circuits ou par les dépôts et les noms de certaines personnalités du milieu que j'avais rencontrées, les groupes à qui j'étais allé parler de l'ONF. À tour de rôle, dans le milieu, Sherbrooke en particulier, tous les clubs sociaux m'ont demandé d'aller parler de l'Office national du film.

En novembre 53 j'ai organisé une semaine du film, la première au Canada. J'avais fait venir le commissaire, on avait comme artiste invité Félix Leclerc qui revenait d'Europe et tous les groupes sociaux avaient accepté de remettre leur dîner hebdomadaire pour affecter ce budget-là au banquet de la Semaine du film.

Non seulement il y avait eu un banquet où le commissaire avait parlé de l'ONF, mais il y avait eu chaque jour de cette semaine-là une activité précise dans une institution où on présentait les films appropriés.

Monsieur le maire était l'invité d'honneur et puis tous les représentants des différents milieux, ça avait été un événement. Il y avait eu une page complète dans la Tribune. Et des retombées ensuite. Le nombre de projections avait plus que doublé.

Théo J'aimerais ça que tu me rappelles les souvenirs concernant ton automobile. Ça a toujours été un problème pour voyager. T'est-il arrivé des choses qui sortent un peu de l'ordinaire ?

Jacques ... et les tours que vous m'avez joués....

Théo Entre autres !

Jacques Je me souviens que quand il y avait un gars des quartiers généraux que j'aimais pas trop, quand il venait se promener dans mon bout, il avait toute une ride !

J'ai toujours eu une Studebaker, c'était une voiture très basse, tu pouvais prendre une courbe plus vite que d'autre, et puis je te garantis que de Sherbrooke à Mégantic, les courbes tu ne les voyais pas bien bien d'avance. Marshall, qui m'avait pas mal cochonné, me disait que je conduisais vite !

Théo T'as reçu la visite de Custeau ?

Jacques Bien Custeau c'était un gars avec qui j'ai eu beaucoup de plaisir. Je me rappelle qu'à un moment donné je suis arrivé deux minutes en retard et puis je lui avait dit : je m'excuse M. Custeau, j'ai fait laver ma voiture et ils ne me l'ont pas rapportée à temps. Il me dit : pourquoi t'as fait ça ? Bien de recevoir le directeur, ça mérite considération !

Théo Après Custeau ça été Pat Boudreau ?

Jacques Lui c'est le gars qui a tout essayé pour me mettre dehors.

Théo Qu'est-ce qu'il avait tant contre toi ? Tu parlais trop ?

Jacques Je parlais peut-être trop à son goût. Il nous sortait des affaires des fois ! Moi je ne me gênais pas pour lui dire : aye aye aye ça n'a pas d'allure ça ! Je me rappelle qu'à un moment donné le père Lévesque était venu et Pat nous avait dit vous êtes douze, vous êtes les douze apôtres. J'ai dit : vous autres si vous êtes les douze apôtres, moi je suis le Christ !

Théo Après ça tu as eu Bernier ?

Jacques Bernier est arrivé au moment où Boudreau avait mauvaise presse et Marshall aussi. On me demandait de donner ma démission. Je n'ai jamais accepté ça, c'était suite à tout le chichi que j'avais eu dans le temps de Boudreau. Moi j'avais eu une trentaine de lettres d'appréciation des organismes du milieu que j'avais apportées au commissaire. Et dans ce temps-là, il y avait le sénateur Howard qui avait de bonnes relations avec le premier ministre Louis St-Laurent qui venait des Cantons de l'Est. J'ai fait du lobbying pour qu'il y ait des pressions qui s'exercent dans le sens contraire. Le commissaire Truman, qui était venu à l'occasion de la Semaine du film, savait très bien que j'avais aussi fait du beau travail. À un moment donné j'ai appris que tout était réglé. Et puis ce qui est le plus cocasse c'est qu'une couple d'années après, on m'offrait le poste de directeur et on doublait quasiment mon salaire.

Théo Qui t'a offert ça ?

Jacques Le commissaire, le nouveau commissaire Roberge et puis l'ensemble de ceux qui étaient à la direction de l'ONF. À tour de rôle ils m'ont reçu à dîner pour me dire faut que tu prennes le poste. A ce moment-là, c'est moi qui avait décidé de quitter et tout d'un coup on m'offre un poste de directeur. Je leur ai demandé : comment faites-vous pour doubler mon salaire alors que vous me mettiez dehors il y a quelques années. Vois-tu une logique là-dedans ?

Théo C'était peut-être pour que tu sois plus près de la direction, que tu sois facile à convaincre ?

Jacques Ouais, peut-être ça, mais je n'ai pas mordu et j'ai quitté l'ONF en 63. Je ne l'ai jamais regretté, quoique j'ai beaucoup aimé l'ONF.

Vallier Savoie voulait me garder et j'avais été recommandé par Roger de Bellefeuille. Le commissaire m'avait dit vous prenez le poste et dans deux ans c'est vous qui êtes le directeur. Et puis il y avait Ladouceur qui m'avait invité à dîner, Ladouceur était le directeur de je ne sais quoi ( note du webmestre : directeur du personnel) et puis il y avait le directeur de la distribution (note du webmestre : Bill Cossman). Ils s'étaient mis quatre, cinq après moi pour pas que je parte.

Théo Mais en partant en 63 as-tu connu les cinémathèques ?

Jacques Oui les cinémathèques avaient commencé suite à la politique des dépôts, ça avait commencé en 60. Nous avions des directives qu'il fallait appliquer mordicus, organiser des cinémathèques et des Conseils du film. Et quelques années après, on s'organisait pour faire disparaître la fédération des cinémathèques parce qu'elle avait acquise une certaine renommée, un certain ascendant sur l'ONF, ce que certains ne voulaient pas. Puis on s'est organisé aussi pour que les Conseils du film disparaissent. Des directives contradictoires sur des politiques fondamentales d'un organisme, ça c'est aberrant.

On avait mis un effort inouï dans certains cas pour faire accepter aux municipalités ou aux autres organismes la mise sur pied d'un budget pour qu'il y ait une cinémathèque dans ces villes là, pour l'achat de films, pour le personnel et tout. Moi à Sherbrooke j'ai été membre du comité de bibliothèque à partir de sa fondation, pour surveiller mes propres intérêts et il a fallu que je sois le secrétaire du comité pendant des années pour que ça marche bien. Alors, quand j'ai appris mon vieux, ce que faisait l'ONF, ça vraiment c'est dégueulasse.

Théo J'ai l'impression que les représentants n'avaient pas tous la même conception de ce que c'était qu'un Conseil du film ou qu'une cinémathèque bien établie. Est-ce que l'ONF a fait les efforts nécessaires pour entraîner les représentants à bien comprendre le système qu'il voulait établir ?

Jacques Maudite belle question ça Théo. C'est une question clé ça. Dans le temps de Bernier, je te dirais oui. Il y a eu à ce moment-là des gens qui sont venus nous montrer comment faire, qui sont les leaders des principaux corps intermédiaires au Québec. Tu te souviens il y a eu des sessions où on invitait à tour de rôle les représentants du milieu syndical, du milieu coopératif, des églises, des groupes anglophones, enfin ceux qui sont les plus représentatifs du leadership dans les milieux. C'était les présidents de fédérations qu'on avait à rencontrer. Ça ça nous montrait où se situe le leadership, pour les gars qui l'auraient pas compris.

Théo Dans ce temps-là, as-tu eu des relations avec la production ?

Jacques Pas assez à mon goût. A chaque réunion, quand on nous présentait la nouvelle production, tu te souviens les gars disaient qu'on n'avait pas assez de films qui pouvaient atteindre les organismes de base dans leurs problèmes de fond.

Théo Ça veut dire que malgré tout ce que tu pouvais déceler de besoins dans la population, comme représentant tu avais peu d'influence sur la production ?

Jacques J'avais engagé le débat dans des réunions et je m'étais fait répondre qu'un réalisateur c'est un artiste, c'est un gars qui produit selon l'inspiration du moment et qu'on ne peut pas lui imposer un thème, c'est ça l'art. De toute façon, les gens de la production nous considéraient pas. On n'était pas dangereux. On était des gars qui étaient à leur service. Les gens de la production venaient assister aux réunions comme observateurs, ils venaient pas là pour entendre les doléances des représentants.

Théo Au point de vue publicité et information, as-tu des souvenirs, comment ça se faisait ?

Jacques Il y avait une feuille imprimée sur chacun des films, on faisait circuler ça avec les circuits. L'impression que j'ai à distance c'est que ce n'était pas assez percutant. C'était bien écrit, dans un bon français, il aurait peut-être fallu qu'on en dise moins mais qu'on sorte l'essentiel.

Théo As-tu déjà ressenti que t'étais trop seul pour tout ce travail, comment un représentant pouvait arriver à faire tout ce travail-là tout seul ?

Jacques Non, j'ai pas senti ça. Ça nécessitait beaucoup de planification et ceux parmi nous qui étaient quelque peu doués dans ce sens-là pouvaient donner quand même de très bons résultats. Tout l'aspect technique de notre travail, strictement l'aspect distribution, on a trouvé des bénévoles pour faire ça. Plus tard on a eu les Conseils du film qui ont permis de rejoindre le leadership du milieu. Après est arrivé l'animation, on a sensibilisé les gens sur la façon de procéder pour qu'ils sortent le plus important d'un film. C'est peut-être ce qui me semble, dans les retombées secondaires, le plus important de ce qu'on a fait. Dans un temps où la générosité ne manquait pas, on a développé un potentiel de bénévolat au Québec qui est unique. Ça se faisait joyeusement. À ce compte-là l'ONF a rendu au Québec un service extrêmement précieux. Il a permis à des organismes de se rencontrer, qui normalement ne se rencontraient pas. Il y avait autour de la même table dans un Conseil du film, un gars de la Chambre de commerce et les gars du syndicat, il y avait des gars des Alcooliques anonymes et puis les gars de…

Théo Les représentants de la Commission des liqueurs ?

Jacques Non ! Les Alcooliques anonymes et les Lacordaire, puis les Jeanne-d'Arc, les Chevaliers de Colomb et les Chevaliers de Jacques-Cartier, il y avait un ministre protestant et le curé. Personne ne regroupait ces gens-là.

Théo Dans ces dix-sept années là quelles ont été tes plus grandes satisfactions ?

Jacques Mes plus grandes satisfactions ça été au moment où j'ai tenu des ateliers du film à travers le Québec. Là vraiment je me suis rendu compte de toute l'influence que pouvait avoir l'ONF qui, à ce moment-là, était dans son âge d'or.

J'avais le titre d'officier et non simplement de représentant et ça consistait à aider mes confrères dans la tenue d'ateliers du film et de les sensibiliser aux méthodes d'animation.

Théo Ça c'était pour poursuivre l'entraînement qui avait été commencé avec Guy Beaugrand-Champagne ?

Jacques C'est ça.

Théo Toi, parce que ça t'a plu, tu as embarqué à cent pour cent là-dedans. Ils ont dit comme tu as plus de facilité que les autres, tu vas continuer à montrer à ceux qui en ont moins ou qui sont moins convaincus.

Jacques Oui.

Théo As-tu eu des résultats concrets ou bien donc des pépins concrets dans ce travail-là ?

Jacques Quand j'ai commencé à saisir l'importance du travail d'éducation populaire avec le documentaire, il y a deux réalités qui m'ont frappé. La première vient du fait qu'on m'avait demandé de donner des cours de cinéma à l'Université de Sherbrooke. Ça m'a forcé à étudier davantage le cinéma en général, son langage, ses écoles, l'art cinématographique comme tel et, dans cet art, des phénomènes bien précis comme le phénomène de l'identification et du transfert, comme quoi le spectateur d'un film s'identifie au héros du film et veut transférer, il se produit chez lui un transfert sur l'ensemble des valeurs qu'il voit.

Théo Pourquoi t'ont-ils demandé de donner des cours à l'Université de Sherbrooke, simplement parce que tu étais représentant de l'ONF ?

Jacques Exactement.

Théo Ils ont dit lui il doit connaître ça.

Jacques J'avais eu une Semaine du film à Sherbrooke, j'avais rencontré l'ensemble des clubs sociaux dans lesquels se retrouvaient des dirigeants de l'Université.

Théo Mais quand t'arrivais avec l'enseignement du cinéma, ça c'était plus près de la production que la distribution. C'est pas la distribution qui te donnait cette connaissance-là.

Jacques J'étais inquiet de voir qu'on me demandait ça mais je l'ai pris au sérieux et pour au moins pour six mois, un an, je m'étais équipé de tous les volumes. J'avais mis 500 à 1000 dollars, je les ai encore en-bas. J'avais étudié d'abord, j'avais préparé un cours sur tout le langage cinématographique.

Théo Comment l'ONF voyait ça ?

Jacques Le directeur du temps m'avait demandé de cesser de donner des cours. Je lui avais répondu : tu peux vouloir m'arrêter mais je continuerai de les donner gratuitement. Alors il m'a laissé faire.

Il ne le savait pas mais ces cours-là ça me payait 30$ de l'heure. Aussitôt que j'ai eu un premier 2000$ j'ai acheté une terre puis ma terre a été changée pour un premier bloc …

Théo Quand tu allais dans un autre territoire, les représentants étaient-ils ouverts à recevoir un représentant qui s'en venait lui donner des directives, comment étais-tu perçu ?

Jacques Ah il a fallu que j'y aille en douce, je te garantis mon vieux que ça ne s'est pas fait tout seul.

Théo C'était délicat ça. As-tu vécu des circonstances peut-être dramatiques ?

Jacques Non, parce que je n'avais pas intérêt à bousculer les gars. Ceux qui avaient bien préparé le travail je m'en rendais compte, les leaders étaient là. Ceux qui ne l'avaient pas préparé, bien la fois suivante je m'organisais pour y aller plus vite, puis leur dire écoute je vais t'aider, on va aller voir untel untel untel. Dans le groupe, il y avait des gens qui étaient capables de faire ce travail-là, qui voulaient le faire, il y avait qui étaient capables mais qui ne voulaient pas le faire, et il y avait qui n'étaient pas capables et qui ne le faisaient pas.

Il y en a qui n'ont jamais rien compris ce que ça veut dire faire de l'animation. Les gens étaient intéressés à venir discuter des films parce que ils découvraient pour la première fois ce que ça veut dire la permissivité. J'ai vu des aumôniers, des dirigeants de groupes qui me disaient le lendemain matin Jacques on n'a pas dormi de la nuit avec ta maudite affaire. Tu nous montres un film dans lequel les gens vivent un problème, un problème qu'on vit aussi ici, et tu nous poses des questions et à un moment donné ça sort du groupe et tu as des gens qui se sont aperçus qu'ils peuvent dire des choses sur ce qu'ils vivent. Moi je suis aumônier, je suis là depuis des années, je n'ai jamais réussi à leur faire dire ça. Toi tu arrives, tu ne les connais pas, et les gens parlent ! Alors ils se sont aperçus que si on crée une ambiance, si on crée un climat chaud, que les gens se sentent à l'aise, que les gens vont s'exprimer, ils vont dire ce qu'ils vivent.

Théo Qu'est-ce que tu faisais pour créer une ambiance ?

Jacques L'accueil, l'identification au départ. Et puis éviter que les sources de conflit émergent trop vite, pour qu'ils puissent s'associer. Que les gens s'aperçoivent que tout le monde a droit de parole. Ça c'était un phénomène nouveau.

Théo Oui et le curé qui se gardait le mot de la fin.

Jacques Oui on voyait bien à ce que ça ne se fasse pas.

Théo Ça veut dire ça que pendant plusieurs années il y a eu un travail de contact social et d'interaction parmi les gens. C'était très bien pensé de la part de l'ONF.

Jacques Ouais, à l'ONF, c'est un peu fort de dire ça. Parce que ça ne s'est pas fait au Canada anglais.

Théo Mais il y avait des Conseils du film au Canada anglais.

Jacques Il y avait des Conseils du film, ça voulait dire des gars qui se donnaient en commun un service pour acheter des projecteurs puis distribuer des films. Mais il y a pas eu d'organisme qui a vu à ce que les régions se prennent en mains.

Théo Ça ne t'étonne pas de voir cette grande liberté d'action qui était laissée aux représentants ? Il y avait une directive qui devait être provinciale, de travailler dans l'animation, et un représentant pouvait très bien passer à côté, ne pas s'en soucier.

Jacques Le peu de directives qu'on nous donnait, avec toute la latitude qu'on avait, au fond moi au départ, les premières années, ça me rendait craintif jusqu'à un certain point. Je me disais on ne nous a rien dit, je pourrais donc faire des erreurs, des erreurs magistrales puis me faire passer par-dessus bord. Ça me rendait extrêmement prudent mais, par contre, ça me donnait confiance en moi-même, je me disais ils doivent supposer que je sais ce qu'il faut faire, et, dans ce sens-là, c'était le contraire des attitudes que j'avais toujours connues au Québec. J'avais travaillé au gouvernement provincial, qui exigeait des rapports hebdomadaires. Quand j'ai voulu poser des questions au premier directeur, Custeau, s'il était content de moi, il m'a dit : on t'as-tu dit que ça va mal ? C'était la réponse qu'il m'avait donnée. On te le dirait si ça n'allait pas bien, ça va bien ton affaire.

Théo Pas de plainte, ça allait bien.

Jacques Je me suis rendu compte que l'attitude administrative chez les anglophones par rapport à l'attitude administrative chez les francophones était tout à fait différente. C'est un peu comme tout l'aspect légal en France et en Angleterre. Un gars se fait prendre en Angleterre, l’État doit prouver que le gars a tort, tandis qu'en France le gars doit prouver qu'il n'est pas coupable. Ça remonte au péché originel !

Théo Précédemment, quand on parlait du directeur plutôt que du superviseur, au Québec, le directeur de la province il était plus directeur que superviseur, parce qu'il prenait des initiatives qui ne se sont pas faites ailleurs au Canada.

Jacques C'est vrai. Mais on a eu des gars au Québec, certains gars qui étaient plus forts que l'ensemble des autres directeurs. Un gars comme Bonnier, un type comme DeBellefeuille avec la formation de base.

Théo Est-ce que c'est parce que la haute direction se souciait moins de donner des directives au Québec ? Ils laissaient faire le directeur. Ce que tu feras dans le Québec ça te revient, un peu comme le directeur faisait avec le représentant, ce que tu feras ce sera bien tant qu'on n'aura pas de plainte.

Jacques C'est plus profond que ça. Je l'ai constaté quand j'ai quitté l'ONF. Le Canada anglais ne tient pas tellement à ce qu'il se développe du leadership régional. Il ne tient surtout pas à ce que ça se fasse au Québec. Quand ils ont découvert que c'était fort au Québec, ils ont eu peur qu'à travers le leadership régional se développe un leadership provincial. Ce qui est arrivé avec le Parti québécois. Ils ne tenaient pas à ça, ça c'est une réalité, c'est une première partie de la réponse. La deuxième partie de la réponse c'est que des gars comme Bonnier et DeBellefeuille avaient une formation de base qui était supérieure à la formation de base qu'avaient les autres directeurs. Ils avaient plus de latitude d'esprit, plus de profondeur.

Théo C'est peut-être pour ça qu'après leur départ on s'est rendu compte que c'était pas mal différent.

Jacques Je pense que j'ai fait un travail extrêmement important et même si on a mis quelqu'un à ma place je n'ai pas l'impression que j'ai été remplacé. On n'a pas continué de faire ce que j'avais commencé, parce que pour le faire, il fallait une formation en cinéma, une formation en psychosociologie, fallait avoir étudié l'animation pour comprendre, ce que ceux qui m'ont remplacé n'ont pas fait. On ne rentre pas là-dedans n'importe comment. Moi j'ai été quatre, cinq ans à me préparer à ce travail là. Pense à l'ensemble des cours de dynamique de groupe, c'était essentiel pour comprendre comment un groupe évolue. Thérèse Roy, celle qui m'a remplacé, elle n'a pas eu ça, pas au même niveau en tout cas.

Théo As-tu suivi des cours en dynamique de groupe ?

Jacques J'ai été avec le Père Mailhot, j'ai eu plusieurs sessions qui m'ont trempé. Ma femme me disait tu parles trop Jacques, il y a un gars qui a demandé la parole, tu ne l'as pas vu. J'ai appris qu'il fallait me taire pour que les gens parlent. Fallait pas que je participe dans le contenu. Une autre fois, on me disait une telle là, Catherine, elle parle trop, tu n'as pas trouvé le moyen de l'arrêter. Il a fallu que j'y pense la fois suivante, pour être capable de dire …

Théo T'es bien chanceux d'avoir une assistante chevronnée !

Jacques Ah oui.

Théo C'est vrai parce que moi j'avais des enfants, je ne pouvais pas faire ça.

Jacques Et puis j'apprenais comment m'y prendre pour faire taire Marie-Louise ou Catherine et dire écoutez madame, vous dites des choses tellement intéressantes qu'il y en a d'autres qui voudraient vous entendre. Laissez moi une chance de commenter ce que vous avez dit. Je trouvais des façons polies de les faire taire. À un moment donné aussi ma femme me disait que j'étais perdu dans le fil de la réunion, je ne savais plus du tout ce qui se passait à tel moment. Alors j'ai réalisé qu'il fallait faire des synthèses de ce que les gens ont dit, de temps en temps. J'avais les principes de base d'animation, la non participation dans le contenu, la participation maximum des gens de la salle et puis une synthèse qui soit polie.

Théo Mais c'est curieux que ce processus se soit développé à l'Office national du film et non pas par des organismes officiels d'éducation, provincial par exemple. On faisait un travail d'éducation, on venait du fédéral, et on réussissait à faire ça dans le milieu !

Jacques Oui c'est vrai ça, il y a un concours de circonstances qui a joué en notre faveur. Il n'y avait pas d'organisme provincial qui avait un instrument aussi fort que le mien, un film, un documentaire, un instrument où tout l'art s'est réuni pour aider la communication.

Théo Mais il y avait le service de ciné-photographie du Québec. Mais c'étaient des projectionnistes.

Jacques Oui. Mais il n'y avait pas d'organisme du Québec qui avaient systématiquement donné à ses permanents des sessions de perfectionnement comme l'ONF l'a fait. Il y avait un concours de circonstances, le perfectionnement qu'on a eu et, je dirais, le contexte social du temps, ça c'est important aussi. Ça se faisait dans le temps le plus creux du duplessisme et là où je l'ai commencé moi c'était avec l'évêque le plus phallo au Québec qui disait aux gars que c'était lui qui menait. Alors ça, c'était un challenge pour les leaders de ce milieu-là.

Théo C'était une des raisons pour lesquelles nous avons été jusqu'à un certain point assez près des idées d'un type comme le Père Lévesque qui lui aussi avait des difficultés à implanter les sciences sociales.

Jacques C'était un challenge pour lui le père Lévesque, c'était une raison de plus de se dévouer et d'essayer de faire quelque chose.

Théo Maintenant, après les satisfactions, as-tu eu des grandes déceptions, as-tu frappé des noeuds ?

Jacques Ah j'en ai frappé des nœuds avec les curés. Les curés étaient très directifs. Il y en a un qui me disait : je suis le grand maître de ma paroisse. Il y en a un autre qui me disait : vos écoeuranteries, on n'en veut pas. Parce qu'il avait vu le sein d'une femme qui nourrissait son bébé.

Bonnier m'a traité de gars qui manquait de jugement quand j'allais r'virer à Piopolis pour m'exercer, loin de Sherbrooke, sur les méthodes d'utilisation du film. Parce que moi j'allais à St-Evariste, à La Guadeloupe, j'allais m'exercer là. Si je manque mon coup là c'est pas grave mais manquer mon coup à Sherbrooke, j'aurais été mort.

Théo Comment étais-tu perçu dans le territoire par les autorités civiles et religieuses, scolaires, étais-tu perçu comme un professeur ou bien comme un représentant de l'ONF ?

Jacques Ça ce sont des questions que je me suis posées à partir du début. Je me suis rendu compte que j'avais un statut spécial. Les considérations qu'on avait pour Jacques Beaucage c'était pas parce que je m'appelais Beaucage mais c'est parce que j'étais l'ONF. Contrairement aux autres travailleurs du milieu qui devaient se soumettre aux directives du clergé, mois je n'avais aucun compte à rendre. Des curés allaient se plaindre à l'évêque qu'il y avait un gars qui se promenait dans le territoire et qui n'avait pas à tenir compte d'eux.

Alors qui j'étais moi, j'étais pas dans les groupes professionnels, j'étais pas dans l'Action catholique, dans aucun groupe confessionnel, j'étais pas non plus dans les groupes protestants, alors j'étais ni protestant, ni catholique pour certains, je n'étais pas dans les groupes politiques, je n'étais pas avec les bleus ou les rouges, je devais être un communiste ! Les gens ont dit ça. Je me rappelle que pendant les élections, la police provinciale m'avait suivi parce que j'étais allé faire une séance de projection avec discussion. La police m'avait suivi pour voir ce que je faisais, pour voir si je ne faisais pas de la propagande. Quand je suis débarqué de ma voiture, je suis allé les voir et j'ai dit vous m'avez suivi depuis là-bas, qu'est-ce que vous voulez ? Ils avaient des ordres de me suivre.

Théo Mais ça c'était à l'époque de Duplessis, ils avaient un gros contrôle eux autres en temps d'élection, sur tout le monde.

Jacques Mais je reviens au statut. Le fait d'être rattaché à un organisme fédéral, et d'avoir autant de latitude, le fait qu'aucun organisme régional ne pouvait avoir d'emprise sur cet organisme là et que, bien au contraire, on aurait voulu que j'observe les directives qui venaient du clergé. Plus j'étais populaire, plus je pouvais être bien perçu, ça me donnait beaucoup de cran. Mon statut était dû au fait aussi que j'avais fondé les ciné-clubs et pour eux c'était une compétence dans le cinéma. En fait, à ce moment-là, la compétence que j'avais c'était dans l'animation, c'était pas dans le cinéma. Mais je me suis dit puisqu'ils pensent que j'en ai, je vais essayer d'en donner. Alors quand j'ai vu ça, que j'étais reconnu dans tous les milieux comme étant la compétence au niveau du cinéma, des ciné-clubs, des écoles de chant, j'étais respecté.

Théo L'ONF, malgré son statut fédéral, avait une excellente renommée, et ça venait de quoi, des films, des représentants ?

Jacques Ça venait des films, ça venait de certains représentants. Il y avait des gars qui s'étaient donné la peine, ils avaient des attitudes correctes avec la population, ils se donnaient la peine de s'améliorer, d'approfondir par les cours de perfectionnement, par leur étude du cinéma.

Théo Peut-être aussi parce que le représentant a dû se lier avec les leaders de la société.

Jacques C'est sûr, c'est sûr.

Théo Parce que quand le président de toute une association régionale disait le gars de l'Office est un maudit bon gars, il connaît son affaire, il disait la même chose dans son groupe.

Durant une certaine période, l'équipe des représentants a été très unie, pour toi est-ce que ça été exact ? Si c'est vrai, comment ça se fait, parce que les représentants étaient éparpillés à travers la province ?

Jacques Ouais, ça c'est parti de Custeau. On doit lui donner le mérite à Custeau, c'est lui qui les avait choisis, il avait choisi les gars qui avaient un système de valeurs, qui était peut-être pas uniforme mais sur lesquels ils devaient se rejoindre. Les gars avaient fait de l'action catholique, certains d'entre eux donnaient le ton. Ceux qui n'étaient pas tout-à-fait à la hauteur, à cause de leur formation, ils pouvaient ne pas avoir une grande facilité d'expression, bien ceux-là sentaient le besoin de suivre, à tel point que s'il arrivait quelques coups à certains, on se serrait les coudes. Je pense qu'on a fait une sacrée belle job et ce travail d'équipe là a été continué.

Le représentant se considérait comme un éducateur, avec un film qui était un outil extrêmement fort.

Théo Sur le plan administratif, est-ce que ça été des embarras pour toi ou si ça été positif la façon dont le côté administratif était appliqué ?

Jacques Ce que j'aimerais signaler de positif c'est que dans les méthodes administratives appliquées selon l'esprit des anglophones ça développe une personnalité beaucoup plus permissive, et ça crée beaucoup plus de motivation.

C'est une des raisons pour lesquelles ça été une période de pointe, on atteint une ardeur, une influence unique, ça n'aurait pas été possible sans ça.

Théo Depuis ton départ as-tu eu l'occasion de voir des films, de suivre un peu l'évolution de l'ONF ?

Jacques Eh, pas assez à mon goût. Évidemment j'ai eu des séances régulières dans mon sous-sol avec mes enfants et des amis, pendant des années.

Puis je dirais que j'ai passé à travers toute la gamme des opinions possibles, je me suis même demandé si ça avait encore sa raison d'être l'ONF, étant donné la crise économique actuelle. Je pense que oui.

Théo Peux-tu me rappeler d'autres faits inédits de ton passage à l'ONF ?

Jacques Fernand Dansereau m'a offert une job à l'ONF à la production, il m'a offert d'être directeur de production de films pour Arcand. Je le vois encore au motel à Matane m'offrir ça.... Mais moi j'ai toujours eu des jobs où le patron était loin. La dernière des jobs que j'ai eue, le patron était en Afrique !

Théo Il ne dit pas un mot, un bon boss, ... loin....

Jacques Bien c'est pour ça …