Patrice Boudreau |
printemps 1984
cette photo provient des archives personnelles de Fernand Brisson
Entrevue de Patrice-Thomas Boudreau par Jean-Théo Picard le 5 novembre 1985 à Québec, en présence de Fernand Brisson (qui a été représentant de l'ONF à Québec pendant plus de 37 ans).
Théo De quelle façon es-tu entré à l’ONF ?
Patrice Mon premier contact avec l’Office national du film ça a été avec la production. J’ai rencontré Jean Palardy qui produisait un film sur les Acadiens. Les Acadiens de Nouvelle-Écosse et plus particulièrement de la région dont je suis originaire, la région de Chéticamp. Il voulait quelqu’un qui puisse faire le commentaire du film avec l’accent acadien. C’est ainsi que j’ai fait le commentaire de ce film-là et par la suite j’ai été invité à faire le commentaire de plusieurs films (dont celui de Chéticamp, nous précise Fernand Brisson). Et j’ai eu l’occasion de rencontrer Monsieur Irwin, qui était commissaire et c’est par ce contact qu’il m’a intéressé au poste de directeur provincial pour le Québec. Je suis entré le 9 avril 1951.
Théo Quand tu es arrivé à Montréal qui était ton supérieur immédiat ?
Patrice C’était Len Chatwin.
Théo Qu’on appelait le grand chaouin !
Patrice C’est ça. Charlie Marshall s’occupait des programmes.
Théo À ton arrivée, est-ce qu’on t’a donné des directives précises ?
Patrice Faut dire qu’à mon arrivée j’étais pas mal perdu et que je dois une fière chandelle aux employés qui étaient là. L’Office national du film, comme le journalisme, ça mène à tout. En avril 51 mon assistant était Pierre Juneau, qui est actuellement président de Radio-Canada, mon représentant pour Montréal était Irénée Bonnier, qui est devenu par la suite député de Taschereau et mon représentant commercial était Maurice Custeau, qui est devenu lui aussi député et ministre dans le régime Duplessis.
Je dois une fière chandelle à ces gens-là qui m’ont accepté parce que j’étais étranger, je n’avais aucune attache à l’Office national du film, et, disons le, aucune connaissance de l’Office national du film. Je suis de profession ingénieur en pêcheries et j’étais avec l’organisation coopérative des pêcheurs unis de Québec, dont j’avais été un des fondateurs.
Je dois des remerciements également à mes supérieurs immédiats, particulièrement Irwin, le commissaire. qui était un ami personnel. Il m’a permis, dès mon arrivée au bureau à Montréal, de faire un stage en Ontario avec Vaughn Deacon, qui était directeur provincial. J’ai passé quinze jours avec Vaughn, j’ai voyagé partout, j’ai étudié la façon de procéder, ce qui m’a permis, quand je suis arrivé au Québec pour prendre définitivement la direction du bureau de Montréal, d'être un petit peu plus au courant quand je me suis présenté le 9 avril.
Théo Et j’imagine qu’à partir de ce moment-là on laissait beaucoup d’initiative personnelle ?
Patrice Oui, excepté que… Je suis arrivé là dans une période assez difficile, dans une période où l’Office national du film n’était pas accepté par le gouvernement du Québec. C’était durant l’apogée de Duplessis. Duplessis est mort en 59. On se rappelle des relations tendues qui existaient à ce moment-là entre le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral, particulièrement dans le domaine de la culture et encore plus particulièrement à l’égard de l’Office national du film qui arrivait en conflit presque direct avec l’Office de publicité du Québec, Ciné-Photographie qui était en pleine expansion à ce moment-là. Il fallait être extrêmement prudent.
Théo Peut-être aussi fallait-il corriger certaines gaffes ? Il y avait eu des tensions avec l’évêque de Trois-Rivières…
Patrice Définitivement. Je ne suis pas en mesure de discuter de ce qui a précédé ou de ce qui a suivi mais, pendant mon stage à l’Office national du film, les relations avec le gouvernement provincial, dans le contexte qu’on connaît, ont été en général bonnes. Et les relations avec le clergé ont été particulièrement bonnes. Le clergé commençait à accepter les productions de l’Office national du film. J’insiste sur commençait.
Théo As-tu eu des rencontres dont tu te rappelles ?
Patrice J’ai eu plusieurs entrevues avec le chef de cabinet de M. Duplessis, j’ai même eu une courte entrevue avec Duplessis à la demande du commissaire de l’Office national du film. J’avais un message à transmettre à Monsieur Duplessis de la part du commissaire de l’Office national du film et je rapportais la position adoptée par le gouvernement provincial. Cette rencontre, dont je possède encore la transcription, a eu beaucoup de fruits par la suite parce qu’elle a établi le genre de relations entre les deux offices de production, l’Office national du film fédéral et Ciné-Photographie du Québec. Et surtout dans le domaine de la production : jusqu’où nous pouvions aller et où le gouvernement provincial mettrait le holà !
Monsieur Duplessis m’a dit : Moi j’ai confiance en vous, vous êtes un aussi bon québécois que moi mais contrôlez-vous la production ? Qu’est-ce que vous avez à dire ? Vous n’avez absolument rien à dire. Ils vous forcent à distribuer les films qu’ils font.
C’est à ce moment-là que le feu vert nous a été donné d’étendre notre réseau de cinémathèques. Et c’est à la suite de ça que nous avons élaboré ce que nous appelions le plan Bonnier où nous devions étendre notre réseau de cinémathèques à toute la province.
Théo As-tu eu affaire à Gaudry Delisle de Ciné-Photographie ?
Patrice Gaudry Delisle était un ami, que je connaissais d’avance.
Théo Je l’ai rencontré Gaudry Delisle. J’aurais aimé rencontrer Jos Morin mais il est décédé. Comme Gaudry Delisle était celui qui était le plus près, je suis allé voir Monsieur Delisle. Il me disait : Je regardais évoluer l’ONF et j’essayais d’obtenir de mes patrons des permissions pour faire ce que vous faisiez. Et je n’en venais pas à bout.
Te souviens-tu si tes représentants t’ont mis les pieds dans les plats, sans le savoir, qui ont fait des gaffes que tu as dû réparer ?
Patrice Non. Dans le choix des représentants, et je ne le dis pas parce que je parle en présence de deux de mes anciens employés, j’ai été très chanceux. C’était des représentants qui avaient plusieurs années d’expérience. S’il y en a un qui m’a donné peut-être quelques difficultés, non ce n’est pas Théo Picard, c’est Jacques Beaucage, qui avait sa façon d’interpréter certaines choses. Qui remettait en question.
Les difficultés qui ont été la cause de mon départ de l'Office national du film et qui ont été la cause du départ de beaucoup de directeurs régionaux sont dues à la situation politique qui existait à ce moment-là. Nous n’avions pas à Ottawa dans les années 1950 l’attitude officielle vis-à-vis le bilinguisme que nous avons aujourd’hui. On commencait seulement à réaliser à Ottawa qu’il existait un Canada français. À ce moment-là, au lieu de procéder comme on procède actuellement et de reconnaître officiellement l’existence du bilinguisme, quelque…
Théo illuminé ?
Patrice Illuminé oui, avait trouvé une formule magique : chaque directeur de service à Ottawa avait son pendant français !
Théo mais assistant
Patrice Assistant. Chatwin avait son pendant français, assistant. Marshall avait son pendant français, assistant. Or ce pendant français n’avait aucun pouvoir de décision. Avec pour résultat que pour justifier le salaire qu’il recevait il fallait qu’il s’occupe de ce qu’ils appelaient à ce moment-là les problèmes du Québec. Ça été le cas de Paul Thériault, ça été le cas de Pierre de Bellefeuille, ça a été le cas de Pierre Juneau. Ils se trouvaient tous dans une position impossible. Mais par le fait même ils rendaient l’existence impossible aux responsables de l’administration au Québec. C’est dans une large mesure ce qui explique le roulement des directeurs au Québec.
Théo Ça me fait penser. As-tu saisis ce qui se passait au niveau de la patente, l’Ordre de Jacques-Cartier ? Est-ce que ça exitait ?
Patrice Ça commençait déjà à finir. C’était les clubs Richelieu, qui sont une fondation de l’Ordre de Jacques-Cartier, qui étaient beaucoup plus actifs. Moi j’ai fait partie des XC mais je n’en faisais plus partie en 51, pas parce que j’étais à l’Office national du film.Mais je faisais partie des clubs Richelieu. Moi je suis rentré dans les XC en 46.
Théo J’étais entré dans l’Ordre de Jacques-Cartier quand j’étais dans l’armé. J’ai été initié à Sorel.
Patrice Quand je suis arrivé à l’Office national du film j’ai constaté qu’au bout de quelques semaines ça devenait comme une vocation. On ne travaillait plus pour le salaire, on travaillait parce qu’on était convaincu.
Fernand Brisson Il y avait un esprit d’équipe extraordinaire.
Patrice Il y avait plus qu’un esprit d’équipe. Il y avait un esprit de dévouement qui s’est développé.
Théo Quels ont été les moments les plus agréables ?
Patrice Les moments les plus agréables ont été les réunions annuelles de représentants. On s’est réunis en 51 au mont Saint-Gabriel Lodge, ensuite au Château Valcartier où le père Georges-Henri Lévesque était venu nous donner une conférence. Puis au Château Bonne Entente.
Théo : Ces réunions c’était pour la programmation annuelle ?
Patrice : Pour discuter des activités de l’année terminée et programmer l’année qui s’en vient.
Théo Est-ce que les réunions des directeurs avaient les mêmes objectifs ?
Patrice Je ne me rappelle pas d’avoir eu de réunion de directeurs. L’efficacité était jugé d’après le nombre de représentations et le nombre de personnes qui assistaient.
Théo Tu parlais tout à l’heure du plan Bonnier, ça nous amenait à travailler plus en profondeur, en demandant la participation des gens du milieu ?
Patrice Nous voulions décentraliser la distribution par l’intermédiaire des organismes locaux. Il ne faut pas oublier que dans cette période-là, dans la période du régime Duplessis, toute l’action était influencée par les relations.
Théo Peux-tu nous parler des trucs du métier que chacun découvrait ?
Patrice On découvrait à ce moment-là l’animation, le travail de groupes. Quelqu’un aux Etats-Unis avait sorti un livre qui avait bien influencé Charly Marshall. On disait même à l’Office national du film à Ottawa, à quoi nous nous étions opposés au Québec, on avait sorti le principe que si on se mettait une douzaine à discuter de quelque chose, même quelque chose qu’on ne connaît pas du tout, qu’on finissait par en arriver à la vérité !
Théo Quels ont été les moments les moins agréables, les plus difficiles ?
Patrice Les difficultés que j’ai éprouvées se rapportaient à un défaut dans l’organisation. Il n’y avait pas de ligne d’autorité définie, chacun se mêlait de tout. Une personne ne peut pas être un p’tit peu responsable de quelque chose. Il l’est ou il ne l’est pas. Quand vous aviez trois personnes qui pouvaient vous donner des directives, si vous écoutiez celui-là, vous choquiez l’autre.
Fernand Brisson Est-ce qu’on peut dire que c’était un ONF anglais, que le Québec a toujours été traité en parent pauvre ?
Patrice Jusqu’au moment où le bureau-chef a été transféré à Montréal, où on a réellement constitué un secteur français. Jusqu’à ce moment-là, vous avez parfaitement raison, c’était un organisme anglais qui essayait de transiger avec le secteur français sans y comprendre quoique ce soit, avec des adjoints français pour satisfaire l’opinion publique.
Théo Du côté de la production, il se faisait de bons films ?
Patrice Absolument. Je me rappelle en particulier le film de la visite de la princesse Elizabeth, The Royal Journey. La qualité du film a été vantée au plan international.
Ça m’a donné l’occasion de vivre l’expérience des premières à Québec et à Montréal. Lorsque nous avons présenté le film à Québec en 52 Monsieur Duplessis était invité. M Duplessis était en 52 au milieu d’une période de… il ne prenait pas un coup ! Période d’abstinence totale et complète. Alors, après la présentation du film au Palais Montcalm, tout ce qu’on avait c’était du jus d’orange !
Mais Monsieur Duplessis lui-même était venu me féliciter pour que je transmettre les félicitations à l’Office national du film. On l’avait bien traité dans le film.
Et nous avons eu une très belle soirée à Montréal avec le maire Camilien Houde. Mais il n’était pas satisfait de la façon dont on avait traité la visite à Montréal, on n’y avait pas donné assez d’importance. Lui il avait dépensé beaucoup d’argent à Montréal pour recevoir la princesse.
Camilien Houde tutoyait tout le monde et avait une mémoire fantastique. Il te voyait un jour et six mois après tu le rencontrais et il t’appelait par ton p’tit nom. Moi je l’ai rencontré une dizaine de fois. La deuxième fois, c’était point Monsieur Boudreau, c’était Patrice. Mais c’est rien qu’à moi qui l’a dit, pas officiellement. Camilien Houde était toujours correct, à sa façon.
Théo Quelles ont été les circonstances de ton départ de l’ONF en 55 ?
Patrice Les circonstances de départ ont été tragiques. On a exigé ma démission ou je serais congédié. On ne m’a précisé aucune raison.
Théo Tu avais peut-être trop insisté sur le fait français ?
Patrice Il y a des circonstances que je ne veux pas dire. C’est à la suite d’un affrontement. Incompatibilité de philosophie. Il fallait soit que je plie ou que je démissionne. Comme je ne suis pas un plieur, j’ai démissionné. Et ça avait surtout trait aux relations avec le gouvernement du Québec. J’avais ma philosophie, ma façon d’entrevoir les relations entre l’Office national du film et le gouvernement et c’était une façon de penser qui n’était pas acceptée par Ottawa.
__________________________
Il est retourné à Chéticamp en 1989. Il était le directeur de la chorale. Il est décédé subitement à 77 ans le 23 décembre 1992 en dirigeant la chorale. On peut d'ailleurs l'entendre chanter une chanson acadienne dans Les Acadiens de la Dipersion réalisé par Léonard Forest en 1968, nous précise Fernand.
Fernand Brisson nous informe qu'après son départ de l'Office national du film (Patrice, précise ce dernier - et non Pat, comme l'appelaient souvent les représentants - parlait toujours de l'Office national du film - pas une fois dans l'entrevue il n'utilise les abréviations ONF ou l'Office), donc Patrice a travaillé au Département de Gérontologie de l'Université Laval. Il organisait également des voyages en Louisiane et ailleurs.