Guy Maguire |
Cette entrevue a été réalisée par Théo Picard dans les premiers mois de 1985 alors que Guy Maguire était chef du service de la mise-en-marché française, peu avant qu'il devienne directeur-adjoint responsable de la distribution au Programme français, choisi par le premier directeur général Daniel Pinard, en mai 85.
Théo Comment as-tu été engagé à l’ONF ?
Guy Un peu par hasard ! Laval Doucet avait quitté son poste à Sherbrooke et Tony Vielfaure, qui était directeur régional, a téléphoné au secrétaire général de l’Université de Sherbrooke, car c’était l’Université qui faisait le prêt des copies de films de l’ONF, pour voir s’il ne connaîtrait pas quelqu’un à Sherbrooke intéressé par le poste de représentant. Le secrétaire général de l’Université de Sherbrooke était l’oncle de ma blonde de l’époque, il savait que le cinéma m'intéressait et il m’en a parlé. Je me suis dit : pourquoi pas ! Alors il a téléphoné à Tony et j’ai eu trois entrevues au cours du même après-midi !
La première était avec Tony au 550 Sherbrooke ouest et a duré environ une heure. Ensuite il m’a envoyé voir Mme Ruby Cormier au Service du personnel, sur la rue Ferrier, en face de Blue Bonnets et ensuite j'ai rencontré Yves Garneau au Quartier-général. J'y suis arrivé à 5 heures moins quart et il partait en vacances à 5 heures. Il m’a reçu à cinq heures et quart et l’entrevue a duré à peu près dix minutes. Et sa dernière question a été : Parlez-vous anglais ? J’ai répondu : Maguire, bien sûr ! Heureusement qu’il n’a pas vérifié ! (rires). Trois ou quatre semaines plus tard, alors que j’étais en train de faire la recherche pour un film que je devais tourner sur l’île de Mingan pour la Société d’archéologie de Sherbrooke, j’ai reçu la nouvelle que j’étais engagé.
Théo Quelle sorte de directives as-tu reçu en arrivant ?
Guy Je suis entré au bureau régional sur la rue Sherbrooke un lundi matin, le 28 août 1967 et là on ne savait pas quoi faire de moi !
Théo Il y avait quelqu’un dans le bureau ? (rires)
Guy Oui ! C’est Laurent Blais, l’adjoint de Tony qui m’a reçu, on m’a installé dans le plus petit bureau, sans fenêtre et on m’a donné deux cartables, la collection complète des mémos du bureau de Montréal et du bureau de la région du Québec.
Pendant une journée et demie, j’ai lu des mémos pour tenter de comprendre ce qu’on faisait en distribution à l’ONF au Québec.
Mais j’en ai appris bien plus le premier midi quand Tony a invité tous les représentants à aller dîner à la taverne St- Régis, sur Sainte-Cartherine. Il y avait Petrowski, Macerola, Rodrigue Deschênes, tu devais être là également.
Après une journée et demie, j’avais lu attentivement tous les mémos et j’ai demandé quel était le programme pour le reste de la session de formation. Personne ne savait quel était le programme !
Mais j’ai appris que la seule personne en poste au bureau de Sherbrooke, Madame Boucher, la secrétaire, allait quitter son emploi le jeudi. On était mardi midi.
J’allais me retrouver à Sherbrooke, seul, sans personne pour me parler des dossiers en cours. J’ai donc convaincu Tony de terminer ma session de formation le jour même et d’aller à Sherbrooke le lendemain pour passer deux demi-journées avec Madame Boucher, qui ne travaillait que l’après-midi.
Je me suis donc retrouvé le vendredi matin, à mon cinquième jour de travail à l’ONF, tout seul à Sherbrooke.
Théo Sans précision sur ce que tu avais à faire ?
Guy Aucune !
Théo Quand tu as été engagé, avais-tu des connaissances en cinéma ?
Guy Ce qui a peut-être joué en ma faveur, c’est que pendant mes études en pédagogie j’avais fait pas mal de cinéma. J’avais gagné le premier concours à Images en Tête à Radio-Canada, animé par Jean-Yves Bigras et Michel Garneau. J’étais arrivé ex-aequo avec Robert Forget, qui avait fait un film d’animation ! J’avais fait d'autres films qui étaient passés à Images en Tête et j’avais réalisé un film pour la compagnie Iron Ore de Sept-Iles, sur les travaux de fouilles archéologiques qui ont mené à la découverte d’un poste de traite bâti par Louis Jolliet. J’avais donc une expérience de production, j'avais enseigné le cinéma et j’avais beaucoup utilisé les films de l’ONF dans mon enseignement.
Théo As-tu connu d’autres périodes d’entraînement ?
Guy Le véritable entraînement dont je me rappelle c’est quand les nouveaux représentants Normand Hince de Montréal, Claude Mongrain de Rimouski et moi on s’est retrouvés avec toi à Saint-Jean pendant deux jours. Tu nous avais parlé du travail du représentant en général et tu nous avais montré comment faire un compte de dépenses !
Des stages comme ceux que tu as eus avec Guy Beaugrand-Champagne et d’autres, je n’en ai jamais eu.
La chance que j’aie eu cependant ça a été de participer à des stages, mais comme organisateur ! En 1969 et en 1970, le service Média-Recherches de l’ONF a organisé des stages d’initiation à l’audio-visuel qui duraient un mois. Il y en a un qui a eu lieu dans des roulottes installées dans le stationnement de l’animation française, l’autre a eu lieu sous un grand dôme de polythène construit sur le plateau de tournage. Nous étions quatre organisateurs : Serge Langevin, le seul agent francophone de Média-Recherches, qui travaillait sous une supervision assez lointaine de Jean-Marc Garand, il y avait deux consultants de l’extérieur, Gilles Sainte-Marie, critique de cinéma, concepteur d’émissions de tv et Jean Lebel, réalisateur aux affaires publiques à Radio-Canada. Je me trouvais chanceux d’être de cette équipe car je n’avais pas d’expérience. Remarque que Serge Langevin n’en avait pas plus.
Pendant la conception des stages, on avait des heures et des heures de discussion avec Gilles Ste-Marie, qui, à l’époque, était probablement un des québécois les plus au courant des grandes théories et recherches en communication, américaines et françaises. J’ouvrais grandes mes oreilles et j’apprenais comme ça.
J’ai fait d’autres sessions de formation avec Jean-Marc Garand. Pendant deux ans, l’ONF a pris en charge les sessions de formation professionnelle de l’OPTAT (l'Office de prévention et de traitement de l’alcoolisme et autres toxicomanies). On initiait chaque fois un groupe d’une trentaine de médecins, psychiatres, psychologues et infirmières à la communication. On s’improvisait apprenti-sorcier !
Théo Tu étais toujours représentant à Sherbrooke ?
Guy Oui. L’été, je fermais le bureau de Sherbrooke pour un mois. Les autres sessions avec l’OPTAT duraient 4-5 jours. J’ai appris autant sinon plus que les participants. Tu apprends à t’ouvrir sur le monde et tu apprends à organiser. Et tu fonces.
Je suis rentré à l’ONF j’avais 22 ans. Et j’ai toujours fait ça : foncer. Je suis devenu directeur régional j’avais 29 ans. La moitié du personnel que je supervisais avait l’âge de mes parents !
Théo Te rappelles-tu de tes premières initiatives personnelles dans ton territoire ?
Guy Ça a été de me brancher sur les médias et avec les organismes locaux. Je suis natif de Sherbrooke et comme j’avais fait du cinéma à Sherbrooke, je connaissais beaucoup de monde, les gens des journaux, de la télévision, de l’Université.
La grande salle de l’Université de Sherbrooke, c’était la 2e Place des Arts au Québec. Je faisais Ciné-Participation avec des auditoires de mille et parfois même 1200 personnes. Je passais à la télévision régulièrement pour parler de l’Office.
Je me suis fait engager à la télévision pour tourner et monter les nouvelles, sur film, la fin de semaine, de la visite du premier ministre Jos Clark au Festival Pop de Manseau, du gala de lutte avec Mad Dog Vachon au parc Jarry à Montréal à la descente de canots en Mauricie. Quand Mon oncle Antoine a été tourné dans la région de Thetford Mines, j’y suis allé comme caméraman pour la télévision et j’ai ramené les deux jeunes acteurs Lyne Champagne et Jacques Gagnon avec moi pour une entrevue en studio.
Théo Comment voyais-tu le rôle du représentant ? Est-ce que c’était juste distribuer des films ?
Guy Oh non ! Dans une petite ville comme Sherbrooke, j’étais Monsieur Cinéma. À part les gérants de salles de cinéma, j’étais le seul à travailler à plein temps en cinéma. Quand quelqu’un de Montréal voulait organiser les Sept Jours du Cinéma à Sherbrooke, il s’adressait d’abord au représentant de l’ONF. Le Séminaire de Sherbrooke voulait faire un festival de cinéma amateur, on appelait le représentant de l’ONF.
C’est comme ça que tu crée des contacts, qui te sont ensuite utiles pour distribuer les films de l’Office. Comme tu le sais, dans ce temps-là en territoire, et ça n’a pas beaucoup changé, c’est pas qu’on avait de petits budgets, on n’en avait pas de budget d’opération ! Moi j’ai fonctionné pendant des années avec mon compte de dépenses et un budget de timbres et parfois un 100$ venant de Montréal. J’ai été pendant huit mois sans secrétaire. À Montréal, on me disait qu’il n’y avait pas d’argent. On me payait un service de prise de message téléphoniques. Il fallait donc se faire des amis partout et profiter des collaborations. Ça, et la renommée de l’ONF, nous ouvrait les portes.
Théo Avais-tu des objectifs à court terme et à long terme ?
Guy Oui. À court terme, le problème que j’avais, c’est que je ne contrôlais pas ma distribution. Quand je suis entré à l’ONF, il y a avait quatre copies de film dans le bureau : Expo 67 Avant-première deux copies en français et une en anglais et une copie d’un autre film dont j’oublie le titre. C’est l’Université de Sherbrooke qui prêtait nos films, déposés là par l'ONF. Ils avaient des réglements très stricts. Alors qu’ils devaient déservir la communauté, ils favorisaient les professeurs et limitaient l’accès extérieur. On peut les comprendre, ils faisaient ça gratuitement pour l’ONF.
Mais moi je faisais de la promotion pour nos films, j’envoyais les gens les chercher à l’Université et ils ne pouvaient pas les obtenir. Donc je me suis beaucoup démené pour qu’on rapatrie la distribution au bureau de l’ONF.
Théo Quand les directeurs changeaient, sentais-tu une différence dans les directives ?
Guy Énorme. Avec Tony Vielfaure, c’était pas compliqué. Il te disait où il voulait aller, il te faisait confiance. On n’avait pas beaucoup de moyens, mais tout le monde était traité sur le même pied. Il nous demandait des rapports trimestriels. Moi j’étais débutant, alors j’en faisais des rapports. Et il les lisait ! Quand je le rencontrais, il était capable de me parler de ce que j’avais fait. Tu sentais un intérêt. Mais quand Rainville est arrivé, ça a été une autre histoire. Ça tient beaucoup à la personnalité du directeur.
Théo Étais-tu libre de faire tes programmes dans ton territoire ou si les directives venaient du quartier-général ?
Guy Les directives étaient très succintes et je n’avais pas de problèmes avec ça. Arrange-toi pour montrer les films, essaie de faire des ventes, organise ta cinémathèque.
J’ai connu la période où pendant quelques semaines on a chargé pour louer les films et on a dû rembourser ensuite sur ordre du ministre Gérard Pelletier. Puis nos changements d’attitude avec le scolaire. On disait qu’il ne fallait pas qu’une trop grande partie de nos ressources soit utilisée par le scolaire, puis quand les statistiques de prêt baissaient, on ouvrait la valve un peu…
Théo Pendant que tu étais à Sherbrooke, tu as été affecté au Comité du programme. Qu’est-ce que ça t’a donné ?
Guy J’ai bien aimé ça. J’ai été représentant de la Distribution au Comité du programme pendant 5 ans. Quand j’étais à Sherbrooke, pendant un an et demie j’allais à Montréal pour chaque réunion. Au début, j’étais le seul représentant de la Distribution, ensuite on a été deux. Ça souvent été une bataille avec les réalisateurs pour faire entendre le point de vue des utilisateurs de films.
Le sommet de ces discussions, c’était le Lac-à-l’Épaule annuel. On expliquait à nos collègues quel genre de films les gens nous demandaient, que souvent on ne pouvait pas répondre à ces demandes, comment les gens avaient réagi aux films que nous avions reçu pendant l’année.
On a quelquefois réussi à les sensibiliser. Je me rappelle d’une année, quand nous parlions de l’importance d’avoir des films qui s'intéressent aux problèmes des personnes âgées. Mais là on a eu un déluge de films sur le sujet : les deux de Georges Dufaux et les cinq de Guy Côté. Trop du même coup pour répondre à une demande ! On a donc réussi quelques fois à sensibiliser les cinéastes mais, à notre point de vue, trop peu souvent.
La programmation ça a toujours été que les réalisateurs faisaient à peu près ce qu’ils voulaient et ça n’a pas changé.
Théo Est-ce que tu vois ça d’un bon œil que les réalisateurs aient entière liberté ? Est-ce que ça devrait être plus structuré ?
Guy Moi je suis partisan de la formule mise au point par Peter Katadotis au Programme anglais. Il divise l’argent en trois parties. Il y a des programmes décidés par l’équipe de direction auxquels, je crois, 40% des budgets sont consacrés. Il y a des programmes du studio, décidés par l’équipe du studio, producteurs et réalisateurs, qui ont leurs propres priorités et il reste 20% d’argent libre qui permet aux réalisateurs de faire ce qui leur tente. Cette formule là est à l’épreuve depuis une couple d’années et je crois qu’elle commence à donner des résultats.
On commence, en français, à parler de programmes. Le premier c’est Bioéthique mais là nous sommes à la remorque de 8 films faits par le Programme anglais. Notre programme sera probablement de 13 films, dont cing originaux français.
Théo Le temps où tu étais représentant, sentais-tu une sécurité d’emploi ou tu avais des inquiétudes ?
Guy Je n’avais pas de problème de sécurité d’emploi. J’étais célibataire. Si ça n’avait pas été l’ONF ça aurait été autre chose. J’aurais pu travailler ailleurs en cinéma ou retourner à l’enseignement. J’ai vécu la purge en 70 quand ils ont mis plein de monde dehors, dont des gens avec qui je travaillais. J’ai pensé que le choix avait été correct, que ces gens-là ils faisaient bien de les mettre dehors parce qu’ils ne foutaient pas grand chose !
Théo Après, as-tu déjà pensé à partir ?
Guy Oui. Parce que l’indécision de la direction me pesait beaucoup.
Théo Qu’elle a été ta plus grande satisfaction dans ton travail ?
Guy Le travail d’équipe. Souvent, avec peu de moyens, mais avec des gens qui avaient une énergie considérable, un engagement envers l’ONF, un respect du public.
J’ai eu la chance de travailler avec des gens qui se considéraient prévilégiés de travailler à l’Office national du film. Quand tu aimes le cinéma, c’est une maudite bonne job ! Prévilégiés d’avoir une grande marge de manœuvre. Comparé à des collègues qui travaillaient en cinéma pour le gouvernement du Québec, qui ne pouvaient même pas se déplacer de 50 milles sans avoir la permission du sous-ministre.
On avait pas beaucoup d’argent, les délais étaient souvent serrés, mais on faisait preuve d’ingéniosité.
Et ça se fait toujours dans l’ombre. Quand ça marche bien, c’est que le film était bon mais quand ça ne marche pas bien, c’est souvent toi qui est blâmé.
Théo Ta plus grande insatisfaction ?
Guy Qu’on n’ait pas réussi à mieux convaincre les réalisateurs des besoins du public.
Je me rappelle de Lacs-à-l’Épaule où des cinéastes disaient : qu’est-ce qu’on est devenu à l’ONF ? On ne va même plus voir les films de nos collègues !
Il y a beaucoup de cinéastes qui ne veulent pas voir les films de leurs collègues. Ils ne les connaissent pas, ils ne veulent pas les voir. Leur vision, c’est : l’ONF à mon service. Les intérêts du public, ils n’en n’ont rien à faire. Leur intérêt c’est : ma carrière. Je te dis pas que c’est le cas de tout le monde. J’ai entendu des cinéastes dire qu’on devrait être capable de regarder nos films et d’en parler entre nous. Mais l’autocritique à la Production française, ça ne s’est jamais fait.
Rappelle-toi, à l’occasion de Festivals-maison on a parfois essayé, sous différentes formes, des manières de commenter les films. On a eu des discussions avec les cinéastes. Rappelle-toi des enguelades entre Denis Belleville et Bernard Gosselin. Cette année, au Festival-Maison, il y a une autre tentative. Dans le programme, en regard de chacun des films, on a inscrit des qualificatifs ; la qualité du film : excellente, très bonne, bonne, passable, médiocre ; l’intérêt : supérieur, très grand, grand, moyen, inexistant. Chacun des participants au Festival est invité à inscrire ses choix et les remettre. C’est un début.
Je reviens à la formule de Katadotis : priorités de la direction, priorités du studio et l’expérimentation. Je suis d’accord qu’on ne peut pas tout programmer d’avance, mais à toujours fonctionner sur l’inspiration du moment…
Théo Peux-tu me citer des moments importants à Sherbrooke ou comme directeur au Québec ?
Guy Les grands moments à Sherbrooke, ça a été les grandes projections au Centre culturel de l’Université de Sherbrooke. Perrault est venu à Sherbrooke avec Le Règne du jour et on a eu mille personnes. Les grands films de Société Nouvelle. Des programmes comme En tant que femmes, qui, parce que c'était un programme et qu'on avait plusieurs films sur des sujets connexes, nous permettait d'avoir un impact plus grand.
Théo Parle-moi des réunions de représentants, mais en tant que directeur du Québec.
Guy D’une part part, quand j’étais représentant, il n’y avait pas beaucoup de réunions parce que les budgets ne le permettaient pas, mais par contre, selon les règles de l’époque, on pouvait faire les réunions en dehors du bureau et parfois dans un cadre enchanteur, pendant quatre-cinq jours. On avait vraiment le temps de faire le tour des programmes et de se fixer des objectifs.
Chacun des représentants faisait un rapport verbal de ses réalisations et puis un certain nombre de propositions de programmes étaient mises sur la table. On avait voix au chapitre, on pouvait dire ce qu’on en pensait. Ensuite on adoptait les programmes. Comme directeur, j’ai maintenu cette façon de faire afin qu’autant que possible on aie des programmes qui collent à la réalité, aux habiletés des gens de l’équipe et aux intérêts des collectivités.
La grande différence entre la Production et la Distribution, c’est que nous on se percevait au service des collectivités. Tu ne fais pas carrière en tant qu’agent de distribution à l’Office national du film pour en retirer une gloire personnelle.
Théo Un temps on disait que les représentants étaient très unis au Québec, as-tu vécu cette période-là ?
Guy Je n’ai pas vraiment eu cette perception-là. D’une part, on ne se rencontrait pas souvent. Heureusement qu’il y avait des programmes comme Société Nouvelle, avec des budgets de voyage, qui nous permettaient de se rencontrer autrement que lors de la réunion annuelle. Les rencontres étaient trop rares pour parler d’une véritable équipe. Le moment où on a fait le plus corps, c’était contre un directeur dont on voulait avoir la tête ! Mais je nous ai toujours perçus comme un groupe d’individualistes. Pour faire ce qu’on réussissait à en faire, seul en territoire, ça prenait des gens qui avaient le sens de l’entrepreneurship. Tu ne pouvais pas t’appuyer sur tes collègues, il fallait que tu te débrouilles seul.
J’ai beaucoup plus senti la notion d’équipe au Service de mise-en-marché ou cinq, six personnes font régulièrement des brainstorming, travaillent vraiment ensembles. En territoire, c’était chacun dans son coin.
Théo Comment as-tu senti la renommée de l’ONF à travers ton travail ?
Guy En territoire j’ai beaucoup utilisé la renommée de l’ONF. Tu te présentes au nom de l’ONF, ça ouvre des portes.
Théo Est-ce que ça dépend de la qualité de la production ou de la qualité de la distribution ?
Guy Le public ne perçoit pas ça la qualité de la distribution. Tes principaux collaborateurs peuvent apprécier ton dynamise, peuvent apprécier que quand tu t’engages dans un projet, tu le termines. Ce qui fait la renommée de l’ONF, c’est la qualité de la production. Quand les films sont bons, l’image de l’ONF est positive. Et quand les gens te parlent des documentaires plates, l’image est moins bonne.
Théo Tu n’as jamais trouvé étrange comme employé du fédéral de devoir travailler avec le scolaire, qui est provincial ?
Guy Jamais. Je suis un payeur de taxes et je paye aux deux endroits et je considère que j’ai droit à des services provenant des deux gouvernements. Mais le cinéma et l’audio-visuel ce n’était pas très bien organisé au niveau provincial. Il y avait des organismes en place, mais ils changeaient d’idée continuellement. Ils étaient mal perçus par le milieu de l’éducation pour leur indécision, leur peu de moyens. Les professeurs, quand ils voulaient avoir un avis éclairé, ils revenaient toujours à l’ONF. Quand l’Office convoquait les professeurs, ils venaient. Ils savaient que ça allait être du sérieux, que si on promettait quelque chose, on allait livrer la marchandise.
Théo Comment as-tu vécu le côté administratif de l’ONF ?
Guy L’administration de l’ONF, je l’ai toujours perçue un peu trop lâche. Sa grande lacune, c’est l’évaluation. On mettait plein d’affaires en marche et il n’y avait jamais d’évaluation sérieuse. On ne demandait pas de comptes. Ça m’a toujours étonné. Et ça vient de haut. Comme patron, tu as tendance à être aussi exigeant envers ton personnel qu’on l’est vis-à-vis toi. Moi, ça fait 12 ans que je supervise du personnel, entre 12 et 50 personnes, je n’ai eu qu'une seule évaluation écrite. À la fin de l’année, que tu arrives pile dans ton budget ou que tu défonces, il n’y a jamais de conséquences. Il n’y a jamais de conséquence à rien. Ce n’est que ta conscience proffessionnelle qui te guide.
À la région du Québec, je dirigeais 50 personnes. À la fin de l’année, on faisait un bilan, pour notre satisfaction personnelle. Mais mes patrons ne me le demandaient pas. Et ils ne me disaient pas ton budget de l’an prochain va dépendre de comment tu as réalisé tes objectifs. On est très bons pour faire des planifications de cinq ans, auxquelles on donne les noms les plus fantaisistes, mais on n’évalue jamais d’une façon sérieuse.
Théo Penses-tu que ça va finir par se corriger ?
Guy Il va falloir, parce que le gouvernement vient de l’imposer. À l’ONF, à partir du moment que tu as obtenu ta permanence, il n’y a jamais de conséquence à ton travail. À moins que tu sois vraiment pourri.
Il y en a qui ont les félicitations faciles. Ils ne lisent même pas ton rapport. Ils ont saisi deux, trois mots et te félicitent pour une chose faite par un autre. Quand tu t’aperçois que ce que tu fais ça n’importe pas à la direction, c’est ailleurs que tu dois trouver tes satisfactions dans le travail.
Théo Est-ce que dans la Distribution il y a des trucs du métier ?
Guy Oui. La distribution c’est un métier. Il y a des gens qui s’imaginent que n’importe qui peut s’improviser dans ce domaine. Il y a des régles que tu découvres. Il faut être habile à transiger avec les gens. Comme on avait peu de moyens, il fallait développer l’art de la négociation. Ce n’est pas donné à tout le monde. Il y a aussi des éléments techniques à maîtriser. Quand tu fais un contrat, il y a des éléments fondamentaux qui doivent s’y retrouver. Quand tu organises une conférence de presse, il y a des règles à suivre. Quand tu contactes les journaux, la télévision, il y a une manière de faire. Nous, personne ne nous l’a appris, on l’a découvert sur le tas.
Théo Tu penses pas que c’est dangeureux de prendre des initiatives sans avoir l’approbation des directeurs ?
Guy Tu devais deviner jusqu’où tu pouvais te permettre d’aller de ta propre autorité et t’en référer à un superviseur dans les autres cas.
Tu utilises constamment une vingtaine de politiques complexes dont tu dois connaître les nuances. C’est un métier qui s’apprend, certains sont plus habiles que d’autres.
Constamment il y a des réalisateurs ou producteurs qui s’improvisent distributeurs parce qu’ils pensent que c’est facile. Comme les relations publiques. J’ai une belle personnalité, je suis capable de faire ça !
Théo Penses-tu que le service du personnel est conscient de ça ?
Guy (Rire) Non. C’est comme les plans de carrière. On a souvent entendu parler de ça à l’ONF. En as-tu déjà vu un véritable plan de carrière ? Quelqu’un à qui on faisait passer telle étape puis telle étape et dont on évaluait la progression ?
Plusieurs entreprises affirment que leur ressource la plus importante c’est leur personnel. Je pense qu’à l’ONF on fait attention à la sélection, mais il y a une lacune énorme dans la formation. L’évaluation, on en a parlé, il y en a presque pas. Finalement, tu comptes beaucoup sur l’esprit d’initiative.
Dans l’entreprise privée il y a un but, c’est le profit. Tu te dis : si mes employés sont bien motivés, ils vont avoir un meilleur rendement. Et au bout de la ligne, je vais faire plus d’argent. À l’ONF, que les films soient bons ou non, c’est pas vraiment important pour le gouvernement. Si une année on avait dix excellents films et que l’année suivante on recevait 3 millions de plus, en nous indiquant que notre production a été excellente et qu’il faut continuer... Mais c’est pas important. Il n’y a pas ce type de motivation pour optimiser les ressources.
Théo Crois-tu que l’avenir de l’ONF va être meilleur ?
Guy J’ai trop eu de promesses dans le passé pour croire naïvement que l’avenir va être meilleur si on ne fait pas d’évaluation et qu’on ne se donne pas de vrais programmes.
Tous les ministères sont censés faire ça. L’ONF est arrivé à s’y soustraire pendant un certain nombre d’années, mais ce n’est plus possible. Vaut mieux prendre les devants et trouver nos propres formules d’évaluation plutôt que de se faire imposer celles conçues pour des ministères dont les opérations ne sont nullement compatibles aux nôtres.