«Un salarié est |
Le mercredi 3 octobre 2001
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Un employeur n'a pas le droit de fouiller dans l'ordinateur d'un de ses salariés. La chambre sociale de la Cour de cassation a rendu hier un arrêt qui, pour la première fois à ce niveau de juridiction, pose ce principe de manière limpide: «Le salarié a droit, même au temps et lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances; que l'employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur». | ||
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Une telle mise au point était nécessaire. Depuis quelques mois en effet, les conflits se multiplient entre employeurs et salariés autour de l'usage privé de l'Internet sur le lieu de travail. A l'évidence, cet arrêt va contraindre quantité d'employeurs à revoir leurs méthodes. Déjà, dans un rapport publié en mars, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) avait jugé urgent de rappeler aux employeurs quelques principes élémentaires. A commencer par la tolérance d'«une vie privée résiduelle» au bureau. Les salariés peuvent recevoir et envoyer des e-mails personnels depuis leur ordinateur professionnel. Tout comme ils s'autorisent des appels téléphoniques. Tout est affaire de dosage. | ||
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Chartes. Or l'usage de l'e-mail est tel dans les entreprises qu'on juge opportun de fixer des règles du jeu. C'est ainsi que fleurissent dans les entreprises (privées, publiques, PME, multinationales, ministères, etc.) des chartes d'utilisation des outils informatiques. Qui viennent de plus en plus souvent compléter le règlement intérieur. Certaines s'invitent même sur les contrats de travail. Il s'agit souvent de simples codes de bonne conduite, rappelant les droits et devoirs de chacun. Mais ce sont parfois aussi de véritables menaces assurant que «tous les messages circulant sur les réseaux sont la propriété de l'entreprise»... Ce genre de prose est désormais hors la loi. L'arrêt de principe rendu hier par la Cour de cassation éclaircit des situations jusqu'ici extrêmement cafouilleuses. | ||
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Les faits tranchés par la Cour de cassation se sont déroulés chez Nikon France. Ils remontent à 1995. A cette date, pas de charte d'utilisation de l'informatique. La règle est d'ailleurs la même pour le téléphone: «en principe» interdit. A l'évidence, le règlement est un peu vieillot. Là, selon la direction, tout le monde se plaint de monsieur X. Ses subordonnés comme ses clients. Ses entretiens d'évaluation sont catastrophiques. Monsieur X multiplie les casquettes, s'occupant notamment des affaires de son père depuis son poste. Mais, au lieu de faire jouer le faisceau d'indices permettant d'identifier un comportement peu professionnel, la direction a cru trouver la preuve ultime des fautes commises... en fouillant dans l'ordinateur de monsieur X. Erreur. «Produire une preuve écrite semble toujours très convaincant», confie un avocat. L'employeur n'a pas résisté à la tentation. Or, monsieur X a créé un fichier «personnel» dans lequel il stocke en vrac toutes sortes de courriers. L'employeur a dressé un inventaire à la Prévert de ses activités parallèles. Mais, pour la Cour de cassation, un fichier intitulé «personnel» l'est par nature, et s'appuyant sur la convention européenne des droits de l'homme, le code civil et le code du travail, a cassé et annulé le licenciement pour faute grave de monsieur X. | ||
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Inquiétudes. Elle considère ainsi que le stockage d'informations personnelles dans une machine mise à disposition par l'employeur est un droit. L'idée d'un «vestiaire virtuel» sur le lieu de travail fait son chemin. De même, la cour autorise la réception et l'envoi de courriers privés. Cette règle est cependant ancienne. En 1938, rappelle Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit à Paris 1, le directeur d'un journal avait été condamné pour avoir ouvert la correspondance d'un de ses rédacteurs. Mais la rapidité et la facilité d'usage des outils informatiques multiplient les flux. Certains s'inquiètent de la responsabilité pénale des employeurs dans le cas d'échange de courriers manifestement illégaux. Un simple e-mail intitulé «personnel» peut-il servir de valise de luxe pour faire passer des informations à la concurrence? Côté employeur, les inquiétudes sont évidentes. Mais, comme le soulignait Hubert Bouchet, vice-président de la Cnil, «un salarié est avant tout un citoyen. Ses droits ne s'arrêtent pas à la porte de l'entreprise». La Cour de Cassation vient de le rappeler. De même que la preuve d'un comportement fautif n'est pas nécessairement informatique. |