True Lies - Light... Cameron... Action !

(SFX (*) numéro 16 octobre 1994, pages 12 et 13)

Le moins que l'on puisse dire de James Cameron est qu'il est un réalisateur controversé. Alors que la majorité des étudiants des écoles de cinéma prennent pour modéle le très démagogique Steven Spielberg, cinéaste qui prend plaisir à titiller la corde sensible en allant cherche le dénominateur commun le plus bas, les forcenés du cinéma à l'arraché - celui appris sur le tas - n'hésitent pas à ériger l'auteur de True Lies et des désormais classiques Terminator 1 et 2 en dieu vivant du cinéma...
Et il ne saurait en être autrement. Le cinéma de James Cameron, ce n'est pas celui de l'abrutissement des masses, mais celui du culte de l'individualité. Loin des accusations brutales qui accueillirent ses premiers films (*), James Cameron prône au contraire le triomphe de l'individu et l'exhorte à sortir de son anonymat passif et résigné. Sa propre histoire en quelque sorte ! Extrême, innovateur et visionnaire (n'oublions pas que le triomphe des effets spéciaux de Jurassic Park doit tout à Abyss et à T2, films qui ouvrirent une immense brèche dans ce domaine), James Cameron est avant tout une personnalité unique et sans concession. Et ça, ça ne s'apprend pas à l'école de cinéma.
Ses films sont technologiquement très sophistiqués et sur ce plan, constamment en avance sur leur temps. Ceci explique peut-être, à posteriori, pourquoi ils soulèvent tant de critiques. L'ultra-violence n'y est qu'apparente et rares sont les scènes qui choquent vraiment le grand public. Chez lui, pas de "gore familial" comme le coeur arraché dans Indiana Jones et le Temple Maudit. Ainsi que Cameron se plaît à le faire remarquer, il y a effectivement moins de morts dans T2 que dans Indy 2 ! Inattendu, non ?
Digne successeur du George Miller de Mad Max 1 et 2, il préfère au contraire privilégier, par l'usage du cadrage, de la chorégraphie, du son et du montage, l'impression de la violence. Le degré d'horreur est laissé à l'imagination du spectateur, ce dernier devenant, à condition qu'il en ait la capacité, un participant à l'action.
Omniprésente dans son oeuvre, la violence fait l'objet d'un mélange de fescination/dégoût qui n'est nullement absent de l'histoire de l'humanité. La guerre, après tout, est l'une des "activités" favorites de l'homme depuis l'aube des temps. Qu'elle soit traitée avec sérieux (T1, où l'homme crée l'arme ultime qui sera l'instrument de sa propre destruction) ou au second degré (dans True Lies, à sa femme qui lui demande : "Tu as déjà tué des gens ?", Harry Tasker répond : "Oui, mais c'était tous des méchants !"), elle reste un élément essentiel au ressort dramatique.
"Toutes les armes de la Terre portent des noms d'hommes : Colt, Browning, Smith, Thompson, Kalashnikov... Des hommes ont construit la bombe. Pas des femmes..." clame une réplique de Sarah Connor coupée au montage de T2. Cette constatation - les hommes ne créent que la destruction là où les femmes créent la vie - est aussi l'une des constantes de l'univers Cameronien et l'on peut sans conteste affirmer qu'il est l'un des rares à Hollywood à donner au sexe "faible" des rôles forts et de premier plan.
Juste retour des choses, certains se sentent menacés par un tel étalage de personnages féminins qui laissent tomber le jupon pour enfiler le jean, prennent les choses en main, ou luttent pur sortir d'un quotidien morne et écrasant. Cameron donne un bon coup de pied dans la mysoginie hypocrite de l'usine à rêves Hollywoodienne. Les parcours de ses Walkyries sont à milles lieues d'un fallacieux Pretty Woman, film qui conforte les oubliées du bon sort dans l'attente d'un hypothétique prince charmant, de préférence bien "friqué". Solution de facilité et de lâcheté !
Si les films de Cameron rencontrent un tel succès, c'est parce qu'ils racontent des histoires de femmes et qu'à ce titre, ils sont appréciés d'une tranche du public trop souvent négligée et catégorisée. Mais ce sont aussi des histoires d'amour : Sarah Connor et Kyle Reese, Sarah Connor et son fils, Ripley et sa fille adoptive, le couple Brigman dans Abyss, le couple Tasker dans True Lies... Toujours hors du commun, ces "love stories" forment le contrepoint indispensable aux incroyables scènes de destruction présentée par ailleurs. L'amour qui donne naissance à la vie, opposé aux armes qui représentent la mort. Pour un peu, on se surprendrait à penser qu'en Cameron se cache en réalité un hippie bon teint !
Cette ambiguité et ces conflits hors-normes contribuent à caractériser son oeuvre, et l'on peut sans peine deviner qu'ils seront à nouveau au programme de l'adaptation de Spiderman, sur laquelle il planche actuellement. Mais quels que soient les rapports humains qui y sont présentés, les films de Cameron - du moins, à ce jour - restent toujours assimilés à des oeuvres d'action pure, leur élément émotionnel n'étant considéré que comme "des longueurs" ou du remplissage.
Alors pourquoi ce désir de mettre en scène des séquences plus grandes que nature toujours plus coûteuses? Plutôt que de désir, il conviendrait de parler de pulsion. Soucieux de créer des images depuis son plus jeune âge, Cameron rêvait de devenir dessinateur pour les BD Marvel, mais les limitations du comics le laissèrent insatisfait. Pour s'exprimer, il n'avait pas d'autre choix que de devenir réalisateur.
Amateur de vitesse, de comics, de rock dur (les scénarios originaux de T1 et T2 nous révèlent que les groupes initialement envisagés pour la bande son étaient Fear avec "Let's have a War" et les Ramones), il est le fruit de la culture américaine, connue pour sa passion des armes, et ses films ne pouvaient surgir de nul autre endroit.
Ainsi, seul un endroit comme Los Angeles, ville difficile aux habitants souvent jugés superficiels et sans âme, pouvait donner naissance au scénario de Terminator. L'ultra-violence de ses policiers, très médiatisée avec l'affaire Rodney King, compte aussi pour beaucoup dans l'inspiration des scènes paroxystiques décrivant leur élimination dans T1 et T2. "Il nous faut éviter les autorités", dit le Terminator dans T2. Les films de James Cameron présentent systématiquement cet "ordre" comme inefficace (le commissariat de T1, le groupe d'intervention dans l'immeuble Cyberdyne de T2), dangereux (les militaires d'Abyss) ou encore, à côté de la plaque (les marines d'Aliens). Seule exception à la règle, son petit dernier, True Lies, détonne par son traitement respectueux des forces de l'ordre, probablement parce que le film est un remake et une oeuvre de commande. A ce titre, il est forcément moins personnel que les précédents. Malgré tout, Cameron n'a pas pu résister au plaisir de larguer un hélicoptère en feu sur une voiture de police! On ne se refait pas...
L'escalade dans la protection des peuples et la dissuasion conduit au nucléaire et il apparait que Cameron marque clairement ses convictions à ce sujet. Qu'on en juge plutôt : dans quatre de ses cinq films, les bombes atomiques sont des menaces omniprésentes ! Traumatisante, la scène de cauchemar de T2 se passe à cet égard de tout commentaire, bien que l'on ait pu lire dans une revue pseudo-intellectuelle les commentaires d'un "critique" qui y voyait là "une apologie du nucléaire", fin de citation...
Tous ces éléments contribuent à perpétuer la réputation de "Monsieur Plus" du cinéaste.
A un autre niveau, sa maîtrise de la technique cinématographique et des effets spéciaux, sans équivalent chez ses confrères, lui donne le champ libre pour laisser son imagination dicter à sa plume les images les plus folles. Son perfectionnisme maladif l'oblige ensuite à réaliser coûte que coûte sa vision, en s'impliquant à fond dans la création des effets spéciaux, au contraire d'un Jurassic Park où Spielberg laissa ILM se charger seul des effets spéciaux et se contentat de "superviser" les opérations par satellite depuis le tournage de La Liste de Schindler. Que Cameron ait créé sa propre maison d'effets spéciaux (Digital Domain) et sa propre compagnie (Lightstorm) n'est donc guère en soi étonnant.
Grâce à lui, les seules frontières du cinéma sont maintenant celles de l'imagination et de l'argent. Le succès appelant le succès, il y a fort à parier qu'il nous réserve encore bien des films "méga-budgetés", avec à la clé, des images qui tiendront du jamais vu.
Si c'est là qu'il est le plus efficace, James Cameron n'en oublie pas pour autant un vieux rêve qu'il poursuit depuis plus de dix ans, à savoir tourner un film dramatique à petit budget, sans action ni coup de feu, histoire de prouver à tous qu'il est aussi un excellent directeur d'acteur. Pourtant, sa filmographie en témoigne déjà. Les scènes les plus intenses de ses films ne sont pas autant celles mettant en scène des effets spéciaux que celles où des personnages explosent au sens figuré : la mort de Lindsay Brigman dans Abyss, Sarah Connor tentant d'assassiner Miles Dyson dans T2, l'interrogatoire d'Helen Tasker dans True Lies. Chez James Cameron, les champs de bataille peuvent aussi être psychologiques!

David Fakrikian

(*) A l'époque de la sorite française d'Aliens, James Cameron fut qualifié de "fasciste", "anti-communiste", "préconiseur du meurtre pur et simple", "massacreur de l'idée du cinéma", "destructeur de toute réflexion et réalité psychologique", "nationaliste pur et dur", "raciste", "fasciné des armes et de la violence paroxystique", "agressif", "exterminateur", "pilonneur intensif", "fallacieux entrepreneur commercial", "adepte de génocides organisés"...

TRUE LIES - Lightstorm / 20th Century Fox, 2h20
Réalisation, scénario : James Cameron.
Production : James Cameron, Stéphanie Austin.
D'après un scénario de Claude Zidi, Simon Michael et Didier Kaminka.
Photographie : Russell Carpenter.
Steadicam : Jim Muro.
Décors : Peter Lamont.
Costumes : Marlene Stewart.
Montage : Conrad Buff, Mark Goldblatt, Richard Harris.
Musique : Brad Fiedel.
Mixage sonore : Mike Minkler, Robert Beemer.
Chef cascadeur : Joel Kramer.
Effets spéciaux de plateau : Thomas Fisher, Scott Fisher.
Coordinateur des effets visuels : John Bruno.
Effets visuels : Digital Domain.
Effets visuels additionnels : Boss Film, Cinesite, Fantasy II, P.D.I., Stetson Visual Services.
Avec Arnold Schwarzenegger (Harry Tasker), Jamies Lee Curtis (Helen Tasker), Tom Arnold (Gib), Bill Paxton (Simon), Tia Carrere (Juno), Art Malik (Aziz).
SORTIE FRANCAISE LE 12 OCTOBRE 1994.


Note personnelle : SFX (qui signifie Special Effects proncé à l'anglaise) est, à mon avis, le seul et unique magazine français qui traite els effets spéciaux au cinéma de manière intelligente et toujours très instructive. Il est difficile à trouver en kiosque, n'a que quelques années d'existence, mais mérite d'être lu!


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