LA VIE EST SI COURTE...

Par François Truffaut
Extrait de "Portraits de cinéastes, un siècle de cinéma", par Tay Garnette, Hatier, 1981, 448 pages

Faire un film est un acte intellectuel parce que cela implique toutes sortes de choix à faire et de décisions à prendre. C'est aussi un acte artistique parce quele goût nous dicte ces choix et ces décisions. C'est également un acte émotionnel car notre sensibilité entre en jeu et aussi notre intuition.

Il me semble que c'est une erreur de croire qu'un cinéaste est quelqu'un qui a quelque chose à dire. Un film de quatre-vingt-dix minutes dit beaucoup moins de choses qu'un article de journal de trois mille mots. D'autre part, la réalisation d'un film dure huit semaines pendant lesquelles on n'enregistre que deux à trois minutes de pellicule utile chaque jour. A cause de cette lenteur d'exécution du médium, je pense que l'homme qui voudrait seulement délivrer un message urgent comprendrait vite qu'il est plus efficace pour lui de se tourner directement vers l'action sociale, politique ou vers le journalisme.

Il ne faut pas se dissimuler que celui qui tourne un film se comporte comme un enfant devant son jeu de construction : il s'isole du monde et en construit un autre, accordé à ses désirs. Lorsqu'il dirige, entouré de trente personnes; des prises de vues montrant une voiture poursuivie par une autre ou un homme entrant en courant dans un ascenseur ou deux amoureux qui approchent leurs visages l'un de l'autre, le metteur en scène est un enfant et, même s'il tourne un film adulte, il est animé pendant son travail de l'esprit d'enfance qu'il n'a probablement jamais perdu. Par ailleurs, la conception, la réalisation et la finition d'un film occupent généralement neuf mois de notre vie. La comparaison avec l'enfantement s'impose donc; j'admets qu'elle est facile au point d'être un cliché et pourtant je suis convaincu de la vérité de ce cliché, en tout cas en ce qui me concerne : je fais des films pour éprouver les émotions de la maternité et la plénitude qu'elle procure.
Je peux ajouter que le cinéma a été dans mon adolescence une sorte de refuge; à cause de cela, je lui porte un amour presque religieux. Je ne peux avoir pour aucun homme politique le même intérêt que pour les cinéastes que j'admire et je crois fermement que, dans l'histoire de l'Angleterre au XXème siècle, Charlie Chaplin est plus important que Winston Churchill.

En résumé, je fais des films pour me faire du bien et, quand ils sont réussis, ils peuvent éventuellement faire du bien aux autres, ce qui est l'idéal, car l'égoïsme et le narcissime attachés à la création sont un motif de culpabilité et d'anxiété pour celui qui crée.

Je n'ai jamais l'impression de chercher une idée de film car chaque fois que je choisis un sujet, cela signifie que j'en écarte deux ou trois autres... La vie est si courte... Trop courte...



Article précédent Revenir à l'introduction Article suivant


( URL de cette page = http://www.oocities.org/Paris/4206/refn000.htm )