Tueurs nés - Oliver Stone

L'entretien d'Isabelle Giordano

CANAL+ Le magazine des abonnés juin 1996 no 104 page 10

Dans "Tueurs nés", film uppercut et hallucinogène inspiré d'une histoire de Quentin Tarantino, Oliver Stone ausculte une Amérique malade de sa violence et de sa télé pousse-au-crime. Isabelle Giordano a rencontré ce cinéaste engagé et enragé dont le film a déclenché la polémique.

Isabelle Giordano : Parlez-nous de la mise en scène : pourquoi ce montage si découpé avec plus de 3000 plans ?
Oliver Stone : C'est pour déconstruire la réalité. La réalité américaine est si folle qu'il fallait un film fou. Mon film est un reflet d'une société où certaines personnes comme O.J.Simpson ou Tonya Harding font des millions de dollars grâce à la télévision.

I.G. : Expliquez-nous l'une des scènes du film : dans un motel, les deux héros font l'amour alors que derrière défilent des images d'archives sur Hitler et Staline...
O.S. : Cela ne veut bien sûr pas dire que j'excuse leurs meurtres. Ils sont responsables de tous leurs actes. Mais nous vivons une époque violente. Notre siècle est peut-être l'un des plus violents : génocides, holocauste, deux guerres mondiales... La violence de notre époque, c'est aussi les arbres que l'on abat et les baleines que l'on tue comme je le montre dans le film. Cette violence omniprésente pénètre l'âme de l'homme. Nous avons été empoisonnés.

I.G. : Etes-vous toutefois fasciné par la violence ?
O.S. : Comme tout le monde... Comme les gens qui regardent passer l'ambulance. Malheureusement la télévision exploite cet instinct et c'est ce que j'ai voulu dénoncer. Aux Etats-Unis, la télé fait de la violence un spectacle. J'ai voulu montrer à quel point la télé est devenue décadente, obscène. La violence du film est une violence que je dénonce.

I.G. : Dans votre film, on recense pas moins de cinquante-deux meurtres. Vous qui avez vécu dans votre chair la guerre du Vietnam, quelle expérience avez-vous de la mort ?
O.S. : C'est vrai qu'au Vietnam j'ai pris conscience de la façon la plus brutale de la violence de l'homme. Un instinct qui est au plus profond de nous dès l'enfance. Nous sommes tous des agresseurs potentiels. Quand je regarde autour de moi, je vois que les enfants sont les plus cruels. Si certaines personnes sont choquées par mon film, je leur demanderai juste de regarder des enfants dans une cour de récréation...

I.G. : Mais vous qui montrez tant de meurtres sur grand écran, avez-vous tué au Vietnam ?
O.S. : Oui.

I.G. : Votre film critique beaucoup la télévision mais vous avez fait également beaucoup de promo. N'y a-t-il pas une ambiguïté ?
O.S. : Mon film a coûté 34 millions de dollars, et j'essaie de rendre l'argent qu'il a coûté. Les réactions sont très diverses : il y a des gens qui adorent le film et qui vont le voir plusieurs fois et il y a ceux qui l'aiment mais détestent leur relation au film. Mon film est une sorte de "Roméo et Juliette" des années 90. Les personnages changent au cours du film et cessent de tuer. Il y a tout de même une note d'espoir à la fin de "Tueurs nés"...



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