Du Sacré

par Henry Montaigu

© La Place Royale, 1994, 1997

 

Si la religion est faite pour l'homme en vue de son éternité, elle n'est pas faite par l'homme qui ne sait rien de cette éternité. Le sacré est constitué par l'ensemble des rites, des connaissances et des traditions d'origine supra-humaine qui ont été données -dans le prolongement des Écritures, elles-mêmes "sacrées" - pour le salut individuel et collectif de l'homme. L'essence du sacré est donc moins mystérieuse que transcendante : elle n'en est que plus précieuse. L'homme spirituel connaît le sacré, quand bien même son propre mental le méconnaîtrait, l'effacement des "mystères", la destruction violente ou indicible de l'Ambiance "sacrée", ne conduit donc pas à une plus grande clarté ou lisibilité spirituelle, mais à la perte tragique des supports de la transcendance.

Le "sacré" n'est évidemment pas indissociable de la "Tradition", celle-ci n'étant en fait que le véhicule du "sacré" ou contenu céleste, c'est-à-dire de l'éternelle connaissance de Dieu. Lorsqu'il advient que la tradition se trouve rompue, le sacré se répand n'importe où, comme le liquide répandu d'un vase brisé. Le phénomène des sectes, dans et hors de l'Église, est directement lié à cette rupture. Le vocable fondamental de la tradition catholique sert à présent à toutes les fausses gnoses, adaptations fantaisistes et sentimentales qui font qu'ainsi se trouve en quelque sorte retourné l'esprit de connaissance en esprit d'ignorance, la vérité en erreur et la paix spirituelle en querelles incongrues. Dans l'Église elle-même, la réduction - qui est tout à la fois systématique et fatale - au simple point de vue du "moralisme", a contribué à couper l'homme chrétien de son histoire et d'une culture, tout à la fois universelle et spécifique dont la légitimité s'exprime justement par ce terme de sacré. L'illusion démocratique a donc ainsi remplacé le Sacre des Rois par le suffrage universel, la culture chrétienne par la culture humaniste, la verticalité par une horizontalité de plus en plus forcément nébuleuse - jusqu'à perdre, par exemple, les critères de la sainteté extraordinaire qui font que l'on en arrive à canoniser aujourd'hui de plats personnages, ce qui relève encore plus de l'idéologie que du simple négoce - qui n'est d'ailleurs pas exclu par cette illusoire "purification". Dans le sacré, résidaient toutes nos certitudes divines et nos capacités à oeuvrer en imitation de la Cité de Dieu. Sans le sacré, la religion dépérira de plus en plus, puis périra.

Il y a certes une église qui demeurera à l'abri des assauts des "portes de l'enfer" car elle aura rejoint l'asile sacré qui est au centre de toutes choses et hors de portée de la subversion car elle n'est, ni de ce monde, ni dans ce monde. Le caractère cyclique de la "Grande Prostitution" annoncée par l'Apôtre, implique cette résorption dans le Centre et le retour de la véritable église quand le temps du sacré sera revenu.

H.M.

 

© La Place Royale 1994, 1997


Henry Montaigu

La Place Royale