Salvador Novo

Traduction d'Armand Guibert


Pressé contre ton corps

Pressé contre ton corps au mien tout emmêlé,
et tes lisses épaules où naissent les routes de ton étreinte,
où naissent ta voix claire et tes regards lointains,
j'éprouvai tout soudain le vide infini de son absence.

Car toutes ces années que j'en suis sevré,
plante grimpante sensible au moindre souffle,
je l'ai senti à chaque contact s'offrir et se reprendre
et chaque jour avidement je déchiffre un message riche de la seule date
et son nom s'agrandit et chaque fois vibre plus intense
car sa voix ne parlait qu'à mon oreille
car ses yeux éloignés ont fait clore les miens,
et mon âme n'est plus qu'un temple désaffecté.

Mais ce corps, ton corps, est un dieu étrange
en mes souvenirs forgé, reflet de moi-même,
par ma pureté suave, et grand de mes désirs,
masque,
statue qu'à sa mémoire j'ai dressée.

 
Karin Rosenthal


Aujourd'hui n'a pas lui l'étoile de tes yeux

Aujourd'hui n'a pas lui l'étoile de tes yeux.
Naufragé de moi-même, tout humide de l'étreinte des ondes,
j'aborde à la grève de ton corps
où ma voix fait retentir mon propre nom,
où tout est bleu et doré comme un jour nouveau
et semblable aux épis serrés, muets et parfaits.

En toi ma solitude se réconcilie
pour te concevoir. En maturité fervente
a mué ma vie l'ardeur sereine de tes regards.

Algue et frêles écumes, mes baisers
chiffrent l'univers entre tes cils —
plages de nudité, terre abordée
qui renvoie sous forme de regards tes étoiles.
Mais à quoi bon la fleur perdue
qui fana ton attente et défit le Destin?

Toute tienne est mon offrande en la semence
que les rayons de tes soleils ont desséchée.


Ce parfum intense de ta chair

Ce parfum intense de ta chair
n'est autre que l'univers que mettent en branle les globes bleus de tes yeux
et la terre et les fleuves bleus des veines qui emprisonent tes bras.
Toutes les rondes oranges se pressent dans ton baiser d'angoisse
offert au bord d'un jardin où ta vie à jamais à la mienne s'est unie.
D'où venu, l'air lointain qui gonflait nos poitrines?
Du sol je t'arrachai par les racines ivres de tes mains
et je t'ai consommé, fruit délectable et sans défaut!
A chaque fois que le soleil palpe ma chair
je dois sentir le contact rude de la tienne
née dans la fraîcheur d'une aube inespérée,
nourrie dans la caresse de tes fleuves clairs et purs comme ton étreinte,
adoucie dans le vent qui le soir
à ton souffle des montagnes descend,
au soleil de tes dix-huit printemps mûrie,
toute chaude pour moi qui n'attendais qu'elle.


Karin Rosenthal


Toi, moi-même

Toi, — moi-même, — âpre comme un vent déchaîné
qui n'a pu qu'un instant en ses bras retenir
la feuille par lui-même à la branche arrachée,
se peut-il que rien ne t'émeuve,
qu'il n'y ait pluie qui te presse
ni soleil qui dissipe ta lassitude?
Etre une transparence sans objet
par dessus les lacs limpides de tes yeux,
ô tempête, ô déluge de jadis!
Si depuis lors je cherche ton image — ton image toute à moi —
si j'ai entre mes mains stériles noyé avec mes pleurs l'ultime goutte de ton sang
et si depuis ce jour l'univers est sans coeur et sans fin le désert,
et chaque nuit nouvelle, lit de mousse au souvenir de ton étreinte,
comment vivre demain sans ton souffle près de moi,
sans tes doux yeux, sans ta bouche, ta bouche mienne,
sans tes bras immatériels entre les miens?
Je pleure comme une mère qui a remplacé son fils unique après sa mort.
Je pleure comme la terre qui a senti deux fois germer le même fruit parfait.
Je pleure parce que tu n'es que pour mon deuil
et que déjà je t'appartiens dans le passé.


Romance bréve de l'absence

Unique amour, tellement mien,
qui donne au Temps sa saveur,
combien nous sert l'absence
lors même qu'elle étreint notre chair!

Mes mains t'ont oublié
mais mes yeux t'ont bien vu
et lorsqu'amère est la terre
pour te contempler je les ferme.

Je ne désire plus ta rencontre
car tu es avec moi, et je ne veux
qu'écharpille ta vie
ce qui tisse mon songe.

Telle qu'un jour me l'as donnée
nette je possède ton image,
et tous les jours mes yeux humectent
de larmes ton souvenir.

Un autre est parti, non pas toi,
amour que chante le silence,
si mes bras et si ta bouche
avec les paroles se sont désunis.

Autre est le demeurant, que moi,
aussi muet, conforme et éternel
que cet amour, pourtant si mien
qui ne mourra qu'avec ma vie.


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