L'APPEL D'UNE MÈRE EN DEUIL

Le professeur Nurit Peled-Elhanan, qui a perdu sa fille unique de treize ans dans un suicide à la bombe il y a quatre ans, appelle tous les parents à défendre la paix.

L'EMPIRE DE LA MORT
Nurit Peled-Elhanan, Yediot Aharonot, le 2 décembre 2001

Dylan Thomas a écrit un poème sur la guerre intitulé And Death Shall Have No Dominion, ce qui, traduit librement, signifie: « Et la mort n'aura pas d'empire ». C'est pourtant le cas en Israël ! Ici, nous sommes sous l'empire de la mort; le gouvernement d'Israël dirige un empire de mort. C'est pourquoi l'aspect le plus stupéfiant des attentats terroristes de Jérusalem et de tous les autres, c'est que les Israéliens sont... stupéfaits.

La propagande et l'endoctrinement israéliens parviennent à maintenir une interprétation de ces attentats détachée de la réalité israélienne. La version des faits présentée dans les médias israéliens (et américains) présente des Arabes meurtriers face à des Israéliens victimes, dont le seul péché serait d'avoir demandé sept jours de grâce.

Mais toute personne capable de se remémorer une année, que dis-je, une semaine ou même quelques heures, sait bien que la réalité est tout autre, que chaque attaque n'est qu'un maillon d'une chaine d'atroces événements sanglants qui remontent jusqu'à 34 ans en arrière et qui n'ont qu'une seule cause : une occupation brutale. Une occupation qui humilie, qui affame, qui prive de travail, qui démolit des maisons, détruit des récoltes, tue des enfants, emprisonne arbitrairement des mineurs dans des conditions révoltantes, qui permet que des nourrissons meurent aux postes de contrôle, une occupation qui répand le mensonge.

La semaine dernière, après l'assassinat d'Abou Hannoud, une journaliste du Yediot Aharonot m'a demandé si je ressentais « du soulagement ». N'avais-je pas été terrifiée qu'« un tel criminel ait pu errer en liberté »? Non, je n'ai pas ressenti de soulagement, lui ai-je répondu, et je n'en ressentirai pas tant et aussi longtemps que les assassins d'enfants palestiniens continueront d'errer en liberté. Les assassins de ces enfants, tout comme le meurtre sans jugement d'un suspect ou, hier, le meurtre d'un garçon de 10 ans juste avant l'attentat, garantissent qu'aucun enfant israélien ne puisse se rendre à pied à son école en toute sécurité. Tous les enfants israéliens payeront pour la mort de cinq enfants à Gaza et pour les autres morts à Jenine, à Ramallah, à Hébron.

D'israël, les Palestiniens ont appris que toute victime doit être vengée au décuple, au centuple. Ils ont maintes fois répété que tant que la paix ne règnera pas à Ramallah et à Jenine, ni Jérusalem ni Tel Aviv ne connaîtront elles-mêmes la paix. Ce n'est donc pas aux Palestiniens de maintenir sept jours de tranquillité ; cela revient aux Forces israéliennes d'occupation.

Mais ces attentats servent les intérêts de la politique israélienne, une politique qui vise à nous faire oublier que la guerre actuelle a pour but de protéger les colonies et de poursuivre l'occupation, une politique qui amène de jeunes Palestiniens à se donner la mort et à y entraîner de jeunes Israéliens, une politique qui veut nous forcer à croire qu' « ils veulent Tel Aviv et Jaffa aussi » et qu' « il n'y a pas d'interlocuteurs », alors même qu'on liquide tous ceux qui auraient pu parler.

Jusqu'au jour où tous les parents d'Israël et de Palestine se dresseront face aux politiciens et leur demanderont de dominer leur soif de sang et de conquête, le royaume souterrain des enfants ensevelis continuera de s'étendre. Depuis la nuit des temps, les mères ont élevé la voix contre la mort, pour la vie. Aujourd'hui, nous devons nous élever contre la transformation de nos enfants en assassins et en victimes, élever nos enfants afin qu'ils refusent les machinations diaboliques, et forcer les politiciens à ouvrir l'accès à ceux qui pourront s'asseoir à la table des négociations et se mettre d'accord sur une paix juste et vraie, ceux qui sont prêts à entamer le dialogue non dans le but de tromper et de manipuler la partie adverse, non pour humilier l'autre et le mettre à genoux, mais pour parvenir à une solution qui prenne l'autre en considération, une solution dépourvue de racisme et de mensonge. Sinon, la mort maintiendra sur nous son empire.

Je suggère aux parents qui n'ont pas encore perdu leurs enfants de regarder sous leurs pieds et de prêter l'oreille aux voix qui s'élèvent du royaume des morts au-dessus duquel ils marchent chaque jour, heure après heure. Car là seulement comprend-on qu'il n'y a pas de différence entre une vie et une autre vie, que la couleur de la peau ou de la carte d'identité importe peu, de même que le drapeau qui flotte au sommet de la colline ou le côté vers lequel on se tourne pour prier.

Au royaume de la mort, les enfants israéliens reposent à côté des enfants palestiniens, les soldats de l'occupation à côté des kamikazes à la bombe, et personne ne se souvient qui était David et qui était Goliath. Parce qu'au royaume des morts, ils ont rencontré la vérité crue et réalisé qu'on les avait trompés, qu'on leur avait menti, que des politiciens sans conscience ni sentiments avaient joué leurs vies à la roulette russe comme ils continuent de le faire avec les nôtres. Nous leur avons donné le pouvoir, par des élections démocratiques, de transformer notre pays en une arène où se succèdent les mises à mort. C'est seulement lorsque nous les en empêcherons que nous pourrons revenir ici à une vie normale, où la mort aura perdu son empire.

Nurit Peled-Elhanan est Israélienne ; elle enseigne les langues et la didactique à l'Université Hébreu de Jérusalem.

Ce texte a été distribué lors d’une manifestation de l’organisme :
Palestinian and Jewish Unity (PAJU), (514) 322-9234