Luis Mateus
La Constitution de la République approuvée après la "Révolution des Oeillets" (25 avril 1974) a créé au Portugal un système juridique où la nette séparation entre l'État et les églises est - ou devrait être.... - la règle. Pourtant, une très forte marque de domination catholique y subsiste encore et, comme dans la plupart des pays de tradition catholique du Sud de l'Europe (France, Espagne, Italie ), la vie y continue très - trop - souvent marquée par une présence intrusive de toutes sortes de cléricalismes.
En effet, au Portugal l'église catholique a bénéficié jusqu'à récemment du statut de Religion d'État et la "Révolution d'Avril" n'a pas réussi à y changer grand'chose, ce qui fait que, concrètement : maigre la Constitution (républicaine et laïque) du pays, le Concordat avec le Saint-Siège subsiste toujours; la religion catholique est officiellement enseignée à l'Ecole Publique (primaire et secondaire) ; les Institutions de l'Etat, soit du gouvernement central, soit des pouvoirs locaux, subventionnent fortement la construction et l'entretien de bâtiments destinés au culte catholique ; le Parlement se prépare à approuver une "Loi de la Liberté Religieuse" qui, en accordant un statut de "reconnaissance officielle" à d'autres religions, dans la pratique, ne fera que confirmer le régime de privilège de l'Eglise Catholique Romaine au pays; les "autorités publiques" (civiles et militaires) ne se gênent pas pour promouvoir - à titre particulier, selon ce qu'ils disent... - différents événements confessionnels catholiques (messes ou autres démonstrations religieuses publiques) et de s'y faire publiquement remarquer (radio, TV) en tant que participants....
C'est la Laïcité à "la Portugaise" ! Les gens sont à un tel point familiarisés avec cette situation que, souvent, ce sont les positions laïques qui leurs apparaissent choquantes, même bizarres... et des affirmations du genre "au Portugal, l'Etat peut très bien être laïque, mais la Nation, elle est catholique" (D. Eurico Dias Nogueira, Archevêque émérite de Braga, pour faire pression sur le Parlement, au moment de la discussion du projet de la "Loi de la Liberté Religieuse") ne provoquent aucune réaction de protestation (des réactions de soutien sont apparues...), soit dans les différents secteurs (de gauche à droite) des milieux politiques, soit dans n'importe quel partie de l'opinion publique...
Dans un tel pays, on ne trouverait pas surprenant de voir un évêque (l'Evêque de Coimbra, D. Joào Alves) proclamer, dans un article de presse publié à la veille de Noël, de dures critiques - quoique très générales et fondées sur des simples "lieux communs" - à l'actuel gouvernement socialiste.
"On vit aujourd'hui une période difficile de la vie nationale (...) Les faits sont là pour démontrer la difficulté et l'instabilité : les successifs changements dans le gouvernement; les nombreux problèmes dans le camp économique; la fraude fiscale généralisée; les délais de déroulement des procès en matière de justice, de la santé, et de l'éducation; l'accroissement de la criminalité, de la toxicodépendance et d'autres écarts à la saine conduite; le retard excessif des réformes nécessaires à l'actualisation du pays; les divisions et les différends entre membres du gouvernement, au grand scandale du peuple portugais; le discrédit de l'autorité et des institutions nécessaires au bien majeur du pays ; la médisance généralisée sur l'autorité de l'Etat, avec grave préjudice de la stabilité sociale et politique, etc., etc..;", telle est l'opinion que l'évêque a publiée dans "son" journal et que les autres médias ont reproduite et divulguée...
Pourtant, les laïques portugais, choqués - mais non surpris... - par l'intervention abusive du "ministre de l'église" dans le champ des affaires publiques, connaissant très bien les manoeuvres et les stratégies auxquelles l'Eglise catholique et romaine, a généralement recours - des stratégies, soit de gueuserie ( "choradinho rende mais " : chouiner est plus rentable, dit-on en portugais), soit de pression ou même de chantage au près du "pouvoir" - mais, surtout, sachant que le Premier ministre, António Guterres, est un "catholique pratiquant" pleinement assumé, s'interrogent sur ce qui est en train de se préparer derrière le rideau...
Attendons-le....