BIBLIOGRAFIA SOBRE GUATEMALA

Immerman, Richard H.

The CIA in Guatemala: The Foreign Policy of Intervention. (Austin: University of Texas Press, 1982)

If forced to distinguish between the journalist and the academic, one definition might be that academics are almost always found working on topics after it's too late to do anything about it. To be sure, it's easier: sources are more widely available, the target has stopped moving, and passions have cooled. In this book, Richard Immerman, assistant professor of history at the University of Hawaii at Manoa, weighs in on U.S. intervention in Guatemala in 1954. In the 1980s an increasing number of university presses published historical studies of U.S. covert activities. Yesterday's denial becomes today's footnote demolishing the denial, but where were the professors when we needed them?

Better late than never, one assumes. Drawing on his Boston College Ph.D. dissertation (1978), Immerman ends up with 75 pages of endnotes and bibliography. The 200 pages of narrative present a well-crafted balance between Guatemalan history and its economy, the cold war milieu in Washington, the CIA at work, U.S. propaganda efforts and diplomatic maneuvering in the U.N. and elsewhere, the coup itself, and finally the cover-up. It was all so tidy that the CIA couldn't resist trying the same thing in Cuba seven years later.

North American Congress on Latin America (NACLA)

Guatemala (1974)

NACLA began in 1966 and quickly became one of the most important research organizations to emerge out of the U.S. student movement. Through the mid-seventies their publications concentrated on the role of U.S. corporations and foreign policy in Latin America, with special emphasis on U.S. universities, development policy, police training, and CIA covert activities. Reports were well-researched, with more facts than analysis.

"Guatemala" is a prime example of quality progressive publishing. Twentieth century Guatemalan history is examined in detail, with special attention to the players behind the 1954 CIA-sponsored coup. U.S. economic imperialism, from United Fruit in 1954 to the major corporate players in the seventies, is presented along with key Guatemalan land-owning families.

Schlesinger, Stephen and Kinzer, Stephen

Bitter Fruit: The Untold Story of the American Coup in Guatemala (Garden City NY: Anchor Books, 1983)

This is one of the more complete accounts of the CIA operation to overthrow the democratically-elected government of Jacobo Arbenz of Guatemala in 1954 -- a textbook case of how a superpower can destroy a Third World country at will. The propaganda which accompanied the military campaign required the loyal cooperation of the American media, because the world had to be convinced that Guatemala was being saved from a Soviet takeover. In fact, the Soviet union could hardly have had less interest in Guatemala and did not even maintain diplomatic relations with them.

What actually caused U.S. intervention was the nationalization by Arbenz of much of the land of United Fruit Company; it turned out that United was extremely well-connected in Washington and knew how arrange a fix. Arbenz was also unwilling to persecute Guatemalan communists and other leftists who had not committed any crimes.

The authors make extensive use of U.S. government publications and documents, as well as interviews with former CIA and other officials and individuals who played a role in the events. -- William Blum

Tendances historiographiques récentes à propos du XIXème siècle guatémaltèque (essai de bibliographie critique)

Jean Piel

 
I - Caractères généraux de l'historiographie du XIXème siècle
II. Le premier demi-siècle d'indépendance et ses antécédents fini-coloniaux (1770-1870).
III. Le second demi-siècle de vie républicaine : révolution et réforme libérales et implantation du capitalisme dépendant et autoritaire (1871-1920)
IV. Vers une autre histoire du XIXème siècle guatémaltèque ?

Petit pays situé en un point-clé de l'Amérique centrale, le Guatemala est doté de paysages et de traditions populaires qui font depuis deux siècles les délices des voyageurs et des ethnologues[1]. D'une histoire aussi : tourmentée, tragique et dont le sens problématique a fait dire d'elle à un spécialiste canadien qu'elle était un "cadeau du diable"[2]. Le passé tout récent du pays semble confirmer ce diagnostic. De 1978 à 1982 la répression menée ici par l'armée guatémaltèque au nom d'une idéologie dépassée de guerre froide (politique dite "antisubversive de sécurité nationale") a provoqué 80 000 morts et disparitions et contraint à l'exode un million des dix millions d'habitants[3]. Mille ans après l'effondrement de la civilisation classique maya, cinq cents ans après les inexpiables luttes inter-éthniques et l'hécatombe de la Conquista espagnole[4], l'histoire du Guatemala semble décidément vouée au bruit et à la fureur au-delà de la beauté de son cadre géographique et folklorique.

Jim HANDY (cf. note 2) aurait-il donc raison et le diable serait-il en effet l'auteur caché du destin historique de ce pays - ponctué aussi, pour faire bonne mesure, de catastrophiques éruptions volcaniques ou tremblements de terre, dont le dernier remonte à 1976 ? En tout cas - et surtout depuis la chute téléguidée du président ARBENZ en 1954 - le Guatemala semble en effet "bien loin de Dieu et bien proche des Etats-Unis", pour le meilleur et pour le pire. Le prix : quarante ans de prise en main directe du destin économique et des sciences humaines du pays par les conseillers du grand frère du Nord[5]. Le meilleur : une nouvelle génération de "social scientists" yankees (plus réellement européens), spécialistes de l'Amérique centrale et marqués par l'opposition à la guerre du Viêt Nam lesquels, rompant le silence forcé d'une intelligentsia guatémaltèque massacrée ou réduite à l'exil dans la période, auront sauvé l'honneur des intellectuels des pays impériaux en dénonçant les atrocités commises sur le terrain et, par extension, les hypocrisies des académismes officiels, guatemaltèques, européens ou nord-américains[6].

De ce qui précède et concernant mon propos - un bilan de l'historiographie concernant le XIXème siècle guatemaltèque - on peut facilement induire les avantages et les inconvénients. Les avantages : une production relativement abondante, à la mesure d'une recherche internationale mobilisée par la situation guatemaltèque récente. Les inconvénients : une production avant tout anglo-saxonne et "présentiste" où dominent la socio-politique, l'anthropologie sociale et le culturalisme. Toutefois - et ceci est nouveau à propos des Etats-unis en particulier - un nombre non négligeable de jeunes chercheurs de ce pays travaillent au Guatemala et en Amérique latine semblant s'orienter résolument vers l'histoire. Et non seulement vers l'histoire coloniale du Guatemala - ce qui est classique, même en Amérique du Nord - mais vers l'histoire du XIXème siècle (ce mal aimé de l'historiographie latino-américaniste, même en France).

I - Caractères généraux de l'historiographie du XIXème siècle

Pour entrer en historiographie du XIXème siècle guatemaltèque on ne pourra ignorer les apports tout récents de deux ouvrages essentiels, l'un britannique et l'autre centre-américain, parus en 1990 et 1993[7]. Fortement marqués par les préoccupations de l'histoire économico-sociale des années 1950-1970, ils reflètent tout un courant historiographique influencé par les débats sur la dépendance et le développementalisme de cette période[8], mais n'ignorent par pour autant les enjeux de l'histoire politique et idéologique du XIXème siècle centre-américain[9]. Ils prolongent donc en cela une histoire générale plus classique, héritée du XIXème siècle et début XXème siècle[10]. Très singulier en son genre - et exprimant en cela la singularité historique guatemaltèque bien au-delà de la seule période coloniale - le discutable mais incontournable livre de Severo MARTINEZ, répudié sept fois de 1970 à 1982[11].

A qui, voulant dépasser la simple culture générale, voudra remonter aux sources elles-mêmes, primaires, secondaires ou "hétérodoxes" on peut conseiller quelques guides anciens ou plus récents en matière de bibliographie[12], d'archivistique[13], de cartographie et de statistiques[14], de sources éthno-archéologiques[15]. Au passage on se rendra mieux compte de la crise universitaire traversée par le Guatemala depuis 1954, (avec quelques périodes de rémission) en constatant le déclin, en quantité et en qualité, de la production académique au travers de quelques récessions anciennes ou plus récentes[16]. Car c'est un fait que pendant les périodes d'autoritarisme répressif ou de terreur d'Etat ouverte la production historique créative a dû déserter l'Université d'Etat (San Carlos) et se réfugier soit en exil, soit dans les revues et centres extra-universitaires. On en trouvera trace dans diverses revues dotées de continuité[17] (ce qui à l'intérieur du Guatemala, est l'exception) ou dans les bibliographies d'ouvrages récents (cf. note 7).

Cela dit, il est bon de savoir que les archives elles-mêmes du XIXème siècle conservées au Guatemala (à l'Archivo General, à l'Archivo Arzobispal, à la Corte Suprema, etc...) sont, sauf exception, à la fois considérables et Non CLASSEES[18], ce qui n'aura pas peu contribué au sous-développement du dix-neuvième dans l'historiographie guatemaliste jusqu'à une date récente. Ajoutons[19] qu'au Guatemala, comme dans beaucoup d'autres pays d'Amérique latine, les héritiers - légitimes ou non - des lignages fonndateurs de l'hispanité ou de l'Indépendance semblaient considérer que l'histoire s'était arrêtée avec "l'émancipation" de l'Espagne, c'est à dire vers 1820-1830. Cela ne pouvait évidemment pas favoriser la croissance d'une historiographie contemporanéiste CREOLE (cf. Severo MARTINEZ - op. cit.), et les autres classes sociales étant par ailleurs exclues de la culture supérieure, ne restaient pour s'occuper de l'histoire contemporaine que les anthropologues sociaux nord-américains pour lesquels l'histoire ne (re)commençait qu'au moment de leur prise de contact avec le terrain, entre 1940 et 1970. Ajoutons que la conception même de la discipline historique pratiquée jusqu'aujourd'hui par les élites historiographiques guatemaltèques - par exemple à l'Academia de Geografia e Historia et à la Sociedad de Genealogia - reste traditionnellement, conservatrice ou libérale - positiviste, campée sur une position narrative où seuls les faits politiques, institutionnels et diplomatiques sont jugés dignes de la qualité de faits historiques. "L'Ecole des Annales" n'ayant pas encore débarqué sur les rivages guatemaltèques (même chez les historiens "marxistes qui en sont encore ici à se demander si Febvre, Bloch et Braudel sont des matérialistes primitifs" ou des "révisionnistes") on continue donc, sauf exception, à pratiquer une histoire de préférence "coloniale", au mieux antérieure à Hippolyte TAINE[20], c'est à dire méprisant superbement l'histoire des faits de société et leurs déterminismes - ou alors dans leur compréhension laa plus primitivement dogmatique et mécaniste[21].

"Ma, si muove", et bien que préjugé hors histoire il a bien fallu que certains se préoccupent malgré tout de l'histoire du XIXème siècle guatemaltèque, soit à cause de leur politique impériale en Amérique centrale (cf. BANCROFT : 1888 - op. cit.), soit pour comprendre l'origine des drames actuels et difficilement solubles (même par l'optimisme rostownien des années 60) d'un pays dont les structures profondes (dont toutes ne sont pas d'origine coloniale et hispanique) RESISTENT aux stratégies de changement social, révolutionnaires ou technocratiques. Depuis 1970 se multiplient donc les travaux centre ou nord-américains pour mieux comprendre la résistance indienne, le traditionnalisme de l'élite, la prégnance des comportements spéculatifs plus que productivistes dans les nouvelles classes moyennes, la force acquise de l'église catholique, la permanence de la violence dans les rapports politiques et sociaux, la faiblesse du paradigme libéral-démocratique. Le "long dix-neuvième siècle" (1780-1920) commence donc d'être travaillé par les historiens malgré les difficultés documentaires déjà signalées. Voici la première récolte.

II. Le premier demi-siècle d'indépendance et ses antécédents fini-coloniaux (1770-1870).

"Rupture et continuité" : ce lieu commun de la discipline historique ne saurait trouver terrain plus propice où s'appliquer qu'au Guatemala entre 1770 et 1870. Ruptures ? L'indépendance, bien sûr -mais qui, ici, n'a guère été qu'un éépisode créole pacifique et secondaire des Cortès de Cadix[22] et de l'indépendance du Mexique. Bien plus importantes les ruptures brutales ou discrètes introduites avant l'indépendance par les réformes des derniers Bourbons dans l'art de gouverner les hommes et l'église et d'administrer les ressources du territoire guatemaltèque[23], ou le tremblement de terre de 1773 qui détruit la capitale et oblige à la transférer sur son site actuel[24]. Bien plus importante et tragique pour l'avenir historique du Guatemala et la balkanisation de l'Amérique Centrale, la dissolution de la Confédération centre-américaine en 1839[25].

Continuités ? Celles d'un "royaume du Guatemala" décrit par les historiens du début du XIXème siècle, dont les structures profondes n'ont guère varié depuis la fin du XVIIIème, voire depuis le milieu du XVIIème siècle[26]. A très juste titre, les historiens postérieurs soulignent donc ces continuités des structures créoles, métisses et indiennes qui restent en profondeur, et pour l'essentiel jusqu'en 1870, COLONIALES aussi bien au plan de l'élite dirigeante[27] qu'un niveau populaire[28] ou au plan de l'organisation de l'espace et de la mobilisation mercantile des ressources[29].

Et pourtant oui, malgré tout, cette indépendance guatemaltèque aux allures d'opérette fut pourtant une révolution en obligeant l'élite créole jusque là dépendante de l'Espagne à inventer la politique, donc l'art difficile de se gouverner et de gouverner les classes subalternes[30], donc l'Etat-Nation[31], donc les partis politiques fondés sur des intérêts économiques et sociaux en conflit[32], donc des programmes politiques antagonistes au point de provoquer guerres civiles (et guerres sociales induites) qui allaient opposer pour longtemps "libéraux" et "conservateurs", provinces et capitale et triompher pour finir en 1839, et des libéraux au pouvoir, et de la Confédération centro-américaine, héritiers de l'indépendance initiale[33]. Ajoutons à cela le dur apprentissage des rapports de force à l'échelle internationale, tant au plan économique[34] qu'au plan de la cohabitation avec les puissants voisins du nord[35] et l'on comprendra que les "pères fondateurs" de la république guatelmaltèque auront eu quelques circonstances atténuantes à leur incapacité de retenir le territoire hérité de l'Audience coloniale des Confins.

Quoi d'étonnant des ces conditions si, pour finir, ce furent les conservateurs (ou réputés tels) qui s'installèrent au pouvoir de 1829 à 1870, s'appuyant à la fois sur les réactions de couches populaires dont l'imaginaire et les structures de reproduction sociale d'Ancien Régime colonial ne pouvaient que s'opposer au paradigme libéral -violemment quelquefois[36]- et sur le désir de continuité économique et sociale d'une élite marchande-bureaucratique poussée vers le modèle oligarchique par les limites du marché intérieur et extérieur[37] et par la nécessité d'utiliser des mécanismes précapitalistes de production[38]. De leurs origines historiques libérales, ces "conservateurs" gardèrent pourtant tout au long de cette trentaine d'années, la volonté de saisir la moindre opportunité de mieux s'intégrer au marché capitaliste mondial, soit en favorisant -avec assez peu de succès- la colonisation étrangère[39] soit, lorsque se renverse la conjoncture avec le développement des exportations de café et la valorisation de la côte pacifique, en se reconvertissant de conservateurs en "libéraux" de 1865 à 1871[40].

Malgré les apports historiographiques des trente dernières années que je viens de signaler (beaucoup : nord-américains) qui contribuent à éclairer la période et ses responsabilités partagées, celle-ci reste au Guatemala en 1994 l'objet de polémiques plus passionnelles qu'éclairées. C'est que trop de questions, vitales pour une nation, ont été léguées durablement et sans solution par ce premier demi-siècle de vie indépendante : pertes territoriales considérables ; soumission à l'impérialisme commercial (britannique) ; incapacité de l'élite dirigeante à créer, sous l'Etat, une Nation. Non par hasard, rares sont ceux chez les jeunes historiens guatemaltèques qui ont le courage d'affronter la période à l'exception de Pinto Soria et de Taracena[41]. D'autant plus grand, dans la génération précédente, aura été le mérite du nord-américain Ralph Lee Woodward Jr non seulement pour avoir contribué à contre-courant à travailler solidement ce premier 19ème siècle, mais aussi pour avoir réanimé les études historiques du Guatemala et de l'Amérique Centrale à l'Université de Tulace (New Orleans).

III. Le second demi-siècle de vie républicaine : révolution et réforme libérales et implantation du capitalisme dépendant et autoritaire (1871-1920)

Favorisée par les substitutions d'exportation qui se produisent au Guatemala entre 1860 et 1870 (café contre indigo et cochenille) et par une nouvelle conjoncture internationale et régionale ("boom" californien et valorisation maritime de l'Océan Pacifique), une nouvelle élite dirigeante arrive au pouvoir par la révolution en 1871, et commence d'écrire sa propre histoire dans les décennies qui suivent[42]. Son chef, Justo Ruffino Barrios[43], apparait légitimement comme le refondateur modernisant du Guatemala cinquante ans après sa première indépendance politique formelle, poursuivant de 1871 à 1885 une politique systématique de réforme des institutions et de l'Etat[44] en s'appuyant sur le développement d'un capitalisme agro-exportateur soutenu par les emprunts étrangers[45] plus qu'en ne la provoquant au sens strict. Au plan idéologique cette politique nécessite évidemment des appuis dans l'élite, où la franc-maçonnerie joue son rôle[46] et dont l'Eglise - conservatrice au Guatemala au moins jusqu'en 1960 - fait les frais[47]. Caudillos autoritaristes, Barrios et ses successeurs peuvent donc apparaître malgré tout comme des libéraux nationalisants, sinon comme des véritables nationalistes[48].

C'est qu'en effet le modèle de capitalisme importé et dépendant qu'ils mettent en marche scelle définitivement la soumission du Guatemala aux puissances commerciales et financières extérieures (particulièrement britannique, allemande et nord-américaine) - ce qui est assez peu nationaliste - et le divorce interne entre un Guattemala traditionnel (majoritaire) et un Guatemala modernisé et cosmopolitisé - ce qui est assez peu nationalisant (si on admet qu'une nation moderne se doit de tendre à égaliser les droits réels de ses habitants-citoyens). Sur le premier point on trouvera des références utiles à propos de la tonique économique générale de la période[49], de l'influence directe des puissances extérieures[50], du prix en concessions territoriales que la république guatémaltèque a dû payer pour ce développement capitaliste[51]. A ce prix (exorbitant) le pays réussit en effet un véritable démarrage agro-exportateur dont rendent assez bien compte diverses études récentes[52]. Quant au second point, divers auteurs montrent bien comment le capitalisme d'entreprise (agricole) se pratique ici sur fond de structures sociales majoritairement précapitalistes, aux dépens de la naissante et minoritaire classe ouvrière[53] et plus encore aux dépens des paysanneries indiennes ou métisses, immensément majoritaires et prémodernes[54]. D'où le caractère étrange de l'organisation économico-sociale de l'espace guatémaltèque à la fin de la période vers 1920[55] et le caractère plus étrange encore du "libéralisme" guatémaltèque de 1871 à 1920 : mélange de développementalisme périphérique impérial et de dictature - parfois sanguinaire et surréaliste - chargé d'articuler par la force le secteur capitaliste économiquement dominant au secteur précapitaliste socialement dominant (donc politiquement et culturellement difficilement contournable)[56].

Coincée entre modernité et archaïsme d'origine coloniale (voire précoloniale) l'élite dirigeante libérale-autoritaire de la période se doit donc de rechercher des appuis extérieurs contre sa société traditionnaliste interne et de négocier sous forme de "nationalisme" verbal face aux étrangers la défense de ses traditions sociales (en vérité, pré-nationales). Cela détermine les contradictions et faiblesses de sa politique extérieure[57] mais aussi le bricolage idéologique par lequel elle a négocié son adhésion aux valeurs du modernisme libéral[58]. En cette affaire la franc-maçonnerie a joué son rôle[59] mais aussi, médiatisées par l'enseignement et la presse, les philosophies d'origine étrangère[60]. Reste que si les libéraux au pouvoir continuent d'afficher l'anticléricalisme de rigueur depuis l'indépendance[61] dans les faits la société créole[62] et la majorité indienne de la population[63] restent fidèles à leurs traditions pré-modernes. Quant aux idéologies antilibérales modernes (anarchisme, socialisme), elles restent circonscrites à quelques cercles isolés et le seul apport du Guatemala dans la période reste sans doute qu'il inspire la pensée de l'illustre américaniste cubain, José Marti[64].

IV. Vers une autre histoire du XIXème siècle guatémaltèque ?

Certes la plupart des ouvrages évoqués ci-dessus démontrent un incontestable renouvellement de l'historiographie à propos du XIXème siècle guatémaltèque, au-delà de l'histoire traditionnaliste ou positiviste héritée de celui-ci, dans le sens d'un enrichissement critique par l'histoire économico-sociale - surtout d'origine anglo-saxonne. Onn peut s'étonner toutefois que cette dernière école, qui a pourtant fait ses preuves au Guatemala dans une autre discipline - l'anthropologie sociale - n'ait pas eu davantage l'ambition de compromettre ses méthodes dans l'analyse récurrentielle du siècle passé afin de mieux discerner, sous l'histoire officielle des institutions et de l'Etat central, l'histoire réelle des populations et des sociétés locales et régionales guatémaltèques. L'effort a commencé pourtant depuis deux décennies afin d'élucider la dialectique complexe et parfois déroutante entre des sociétés traditionnelles, mais historiques (c'est-à-dire, quoi qu'on en affirme : "actrices") et une modernité centraliste ou internationale en marche, mais minoritaire et coercitivement imposée plus que partagée ou vécue.

C'est le cas, tout particulièrement, à propos de l'immense socle indien de la population dont on ne peut plus parler seulement dans les termes de Miguel Angel Asturias au début de ce siècle[65]. Une bonne introduction bibliographique à la question[66], récente pourtant, est déjà en voie d'être dépassée devant l'abondance de nouveaux travaux qui, sans être toujours anthropo-historiques, donnent pourtant d'utiles indications sur les antécédents des situations ethniques des années 1980-1990, tant au plan linguistique[67] que démographique[68], juridique[69], religieux[70] et social[71]. Bref l'Indien guatémaltèque, de folklorique et social, commence à devenir historique et capable de réagir à (voire d'agir sur) l'Etat - même au XIXème siècle[72]. Comme, parallèlement, les sources épigraphiques mayas (hiéroglyphes) commencent enfin d'être déchiffrées par les spécialistes russes et nord-americains[73] et que le débat des marxistes mexicains sur la nature des sociétés meso-américaines - non sans dogmatisme quelquefois - a poussé beaucoup de jeunes archéologues à se poser des questions (proto) historiques[74], le guatemalisme est en train de découvrir quoi qu'il en ait, sous son histoire et sa chronologie créole-métisse, un véritable continent enfoui : l'histoire indo-américaine guatemaltèque, fétichisée jusqu'au délire fondamentaliste par les uns (certains "indianistes" essentialistes des années 1990), tardivement reconnue avec réticence par les autres (hispanistes inconditionnels ou darwinistes sociaux attardés).

En retournant à l'histoire autonome (mais non indépendante) de la masse fondamentale de la nation les nouveaux historiens du Guatemala redécouvrent au passage un autre continent enfoui : l'histoire régionale et locale du XIXème siècle, accordée à des rythmes chronologiques parfois bien différents de l'histoire dite "nationale" - en fait : centraliste et créole[75]. Ce faisant ils retrouvent le meilleur de ce que furent certaines monographies anciennes[76] et, surtout, la bonne anthropologie de terrain des années 1940-1950[77]. Ainsi historicisées, l'histoire régionale et l'histoire ethnique contribuent à défétichiser à la fois le mythe national de l'histoire officielle (la "patrie du créole") et la fatalité inquiétante de "l'atavisme" maya. Elles vont même jusqu'à révéler qu'il peut exister - ce que l'ethno-anthropologie classique s'était toujours refusé à reconnaître - des indiens à tradition urbaine, à Quetzaltenango ou Guatemala par exemple[78].

Avec cette histoire urbaine la boucle se ferme et revient au centre du pouvoir initiateur de changements historiques, au XIXème siècle comme pendant la période coloniale[79]. La boucle se ferme également sur la continuité historique du "secteur informel" urbain : ce "melting pot" misérable des rejetés de la société dominante et de la société dominée qui promet, comme à la fin du XVIIIème siècle, d'être un des détonateurs de l'histoire à venir du Guatemala[80].