Le 31 juillet dernier avait lieu au Plaza Athénée de New York l'écoute en avant première du onzième
album de REM.
A en croice les précautions prises par la maison de disques américaine, cette écoute réservée à la presse
pourrait être un truc plus important que l'album lui-même, aussi important dans l'histoire du monde
que, mettons, la découverte des images de Titanic 2. Pourtant, depuis quelques années, REM
avait un peu cessé de passionner. Transformé en icône, soumis à la surexposition médiatique la
plus crue, son leader Michael Stipe a perdu sa part d'ombre. Pour beaucoup, l'ancien groupe de chevet
est devenu un simple groupe de rock. Cycle normal des choses rock: connaît-on un groupe qui après plus
de diy ans d'existence aurait su entrer dans le domaine (très grand) public sans craindre
l'érosion de sa base?
REM a toujours pris des risques - onze albums en quinze ans, mais jamais deux fois le même - et il
s'est parfois planté. Monster(1994) et New dventures in hi-fi(1996) ont déçu la critique
et les fans du groupe. Le dernier s'est vendu seulement à cinq millions d'exemplaires - soit
deux fois moins que les albums précédents. En février 1995, lors d'un concert à Lausanne, le batteur
Bill Berry fut victime d'une rupture d'anévrisme.
Depuis, REM prend l'eau. Le groupe s'est fait très rare sur scène. Michael Stipe est devenu
groupie-photographe de Patti Smith, Peter Buck a multiplié les collaborations annexes, Mike
Mills est retourné à son ordinateur et Bill Berry à ses cannes de golf. Il y a un an. le jour où
REM entrait en studio pour faire le tri entre une cinquantaine de maquettes de chansons destinées au nouvel
album, Bill Berry annonçait sa décision ferme et définitive de raccrocher les baguettes. Accréchés
au souvenir vaporeux de quelques albums clés des quinze dernières années (Murmur, Out of time, Automatic for
the people), on ne savait plus qu'attendre de REM. A vrai dire, on attendait plus rien. Ce nouvel album,
on ne l'avait pas demandé. REM aurait pu continuer à sortir des disques modérément plaisants, voire se mettre
à sortir de mauvais disques, qu'on ne s'en serait pas trouvé mal pour autant: on en a vu d'autres, on s'est
habitués.
Au neuvième étage du Plaza Athénée, dans une suite dont la location à la journée doit bien coûter
un mois de salaire de journaliste rock, une dizaine de représentants de la profession mastiquent des fruits secs
et font du bruit avec leurs capuchons de stylos.
Ambiance (glaciale) d'une session d'écoute tient à la fois du passage d'examen et de la cérémonie
religieuse. On n'en mène pas large, on se sent tout timide, voire un peu merdeux. Bientôt, une personne
importante (elle a un téléphone portable, elle parle comme une vieille copine à des gens qu'elle n'a
jamais rencontrés auparavant) se dirige vers l'autel (la chaîne hi-fi, un autre mois de salaire) et demande à
tout le monde de se tenir prêt. Chacun - fanatique, sceptique, infidèle - prend un air concentré ou regarde
ses chaussures.
Sous lesquelles le sol ne va pas tarder à se dérober.
Aux toutes prenières secondes d'Airportman, on croit d'abord s'être trompé de session d'écoute.
Pas grave: le nouveau Lbraford a l'air très bien, beaucoupe plus chaleureux que les précédents. Sans la
voix de Michael Stipe, on n'aurait jamais reconnu REM. Cette voix unique se fond et se love dans des
nappes orchestrales synthétiques à la fois onctueuses et glacées. REM, groupe qu'on croyait abonné
pour la vie au folk-rock au sens large - tantôt plutôt folk, tantôt plutôt rock -, vient de quitter
la terre pour la Voie lactée.A travers des symphonies électroniques finement ourlées et doucement
complexes, on entend parfois l'écho lointain d'Eno, Bowie, des Beach Boys ou d'un krqutrock qu'on
dirait longuement exposé à une source de la chaleur, dont les ondulations hypnotiques auraient acquis
la vertu apaisante d'une caresse. Par la fenêtre. le soleil qui se couche sur les toits de Manhattan
va très bien avec la musique - la plus délicate jamais jouée par REM.
Up est un album de rêve et de mystère. Aprés la pesanteur, l'apesanteur: bien malin qui aurait
pu lire l'avenir de REM dans les lignes épaisses et anguleuses de New adventures in hi-fi. Dans
le titre, peut-être, car Up est un disque de nouveauté, d'aventuriers, de prise de hauteur et de
fidélité retrouvée. Dans la discographie du groupe, Up est un nouvel album clé.
Clé des songes. REM
qui désigne le mouvement incontrôlé des yeux pendant les phases de rêve les plus intenses, n'a jamais
aussi bien porté son nom. michael Stipe: "Ce disque est peut-être le plus flottant, le plus aquatiquede notre
discographie. Pourtant, une bonne partie de notre musique a cette texture, Murmur ou Automatic
for the people l'avaient. La musique et les paroles ont l'air de flotter entre le someil et l'éveil
, entre la réalité et le fantastique.
Je crois qui REM est mois un groupe rock qu'un groupe s'ambiance. Nous n'avons rien à voir avec
les Guns'N'Roses ou même les Smashing Pumpkins." Compte tenu des plus récents antécédents discographiques
du groupe, il était bon de le préciser.
Si REM n'est pas vraiment un groupe de rock, Michael Stipe ne peut pas être une vraie rock-star. Il est
l'étoile mystérieuse du système stellaire. Aujourd'hui, flottant dans une chemise en mousseline mauve transparente, il fait tout pour ressembler
à un être humain: il sourit, mange répond aux questions qu'on lui pose et demande en retour s'il
se fait bien comprendre. Pour la première fois de son histoire, REM donne les textes de ses chansons
dans le livret d'un album. Michael Stipe veut parler notre langue. Pourtant, avec son visage de grisaille
parcheminée d'un grand sourire semble parfois sur le point de déchirer, son regard fixe sa voix monocorde,
il ne ressemble pas tout à fait à un humain. Plutôt à une statue de l'île de Pâques en lévitation.
A un type enlevé par des extraterrestres, rentré fourbu mais illuminé d'un long voyage en solitaire
vers des contrées inconnues. Visiblement, le bronze Michael Stipe n'est pas revenu totalement indemne
des hautes sphères oxygénées où le groupe a enregistré Up.
REM a la tête dans les nuages noirs, mais les pieds sur terre: Peter Buck et Mike Mills, guitariste
et bassiste historiques, deux bons bougres qui font la plus improbable paire de rock-stars de l'histoire.
Plus improbable, il n'y avait que Bill Berry, le batteur démissionnaire, auquel Up doit énormément,
par défaut. Michael Stipe: "Quand Bill nous a annoncé son intention d'arrêter, je me suisd'abors senti
très triste. Pourtant, je le connais suffisamment pour savoir que sa décision était sérieuse. Mais
il ne voulait surtout pas entraîner la séparation du groupe. Ce qui serait arrivé si nous n'avions
pas eu ces quarante ou cinquante chansons qui nous plaisaient et que nous avions envie de travailler.
Elles ne plaisaient pas à Bill, il ne voulait plus s'investir. Mais Peter, Mike et moi étions très
excités à l'idée de préparer ce disque. Ce qui ne tue pas rend plus fort. Il y a qu des moments difficiles
dans la vie du groupe, mais nous les avons toujours traversés. Le départ de Bill fut une nouvelle
épreuve, qui nous a rendus plus forts. Peter Buck: "J'étais très en colère contre lui,
j'avais envie de le secouer et de lui demander: "Réalises-tu ce que tu es en train de faire?" Puis
je me suis senti très triste, parce que nous perdions un pertenaire de vingt ans - Bill reste bien sûr
un ami. Il nous a même proposé de rester le temps de faire ce disque et la tournée, si c'était
la condition pour quele groupe reste ensemble. Le disque était commencé à 15%, nous voulions continuer,
enregistrer. Dès que Bill est vraiment parti, nous avons pri conscience des possibilités que créait son
départ. Il était hors de question de repartir sur une base guitarre-basse-batterie comme avant. Nous
avons travaillé sur ce disque avec l'idée de faire exploser les frontières de REM. Le fait de nous
retrouver sans batteur a ouvert beaucoup de portes, on a sû se réinventer en permanence. L'essence du
groupe était là, il restait à régler des questions techniques: qui allait jouer quoi? Nous nous sommes
retrouvés chez moi pour enregistrer les demos d l'album. Quand nous avons parlé d'utiliser des boucles
rythmiques, j'ai sorti mes vieilles boîtes à rythmes des années 70, comme celles qu'utilisait Brian
Eno, avec un son très chaud, organique."
En Construction...