________________________________________________ A - I N F O S N E W S S E R V I C E http://www.ainfos.ca/ ________________________________________________ Yves et William sont passés en procès à Marseille les 6 et 7 février pour avoir lutté contre la lepénisation des esprits et de la vie quotidienne à Marseille entre 1991 et 1998, et ont été condamnés respectivement à 5 ans et à 18 mois de prison. Nous publions des extraits d'une lettre de Yves qui revient sur son procès et annonce une suite en appel. " Et bien voilà, le procès est passés ! Et il est l'heure des bilans. Les lignes qui suivent reflètent la manière dont j'ai vécu ce procès. D'autres qui y ont assisté l'auront ressenti sans doute différemment. Le procès d'une pathologie " Premier constat, comme il fallait s'y attendre ce ne fut pas un procès politique, au sens du terme, mais un procès sur fond politique. En France (…) il n'existe pas de délit politique. On ne juge que des affaires criminelles ou de droit commun. L'explication politique de mes actes était interdite de fait, et [ils ne pouvaient s'expliquer] par une folie même passagère, un certificat du psy indiquant que je ne suis pas fou. L'explication des faits pour la Présidente ressort de ma personnalité. Pour elle mes actes étaient un moyen d'exister face à une vie sociale vide. J'ai donc eu droit à un portrait (…) d'instable (pas de boulot), rigide, avec un ego surdimensionné (je jouais au "justicier"). L'assassinat d'Ibrahim Ali devenant un "prétexte" destiné à habiller mes actes. Certains journalistes ne se priveront pas d'ailleurs de reprendre un tel schéma d'explication, particulièrement Jean-Michel Verne le correspondant de France-Soir, qui me décrira comme " incapable de construire sa propre existence, prisonnier des images fortes de ses héros familiaux, coincé entre Freud et Garcia Lorca, omnubilé par les fichiers des membres du F.N. " Ce pauvre Verne a vraiment du mal à se remettre de son bouquin sur l'affaire Yann Piat ou il citait un Encornet et une Trottinette comme étant les commanditaire du meurtre ( L'affaire Yann Piat, Flammarion, 1997). Ce jugement en forme d'analyse psychiatrique tend à confirmer que, d'autre part, tout ce qui relève du débat politique relève de la pathologie pour la justice de l'Etat et certains médias. (…) Ne pas s'inscrire dans la normalité, représentée par un travail à plein temps, et ne pas être un consommateur dans une société de consommation est déjà considéré comme un délit. Cela confirme que devant la loi chômeurs, précaires et S.D.F., sans papiers et autres sont déjà condamnés avant d'être jugés en cas de délit. Dès lors devant la direction prise par ce procès, il était clair que le contexte politique de mes actes serait minoré comme arguments expliquant les actions, étant donné que c'était les seuls fait qui étaient jugés. Des témoins variés " Les témoignages des personnes que j'avais fait citer se sont pourtant attachés à décrire ce contexte. Le premier à témoigner fut le sénateur Bret, du P.C., qui tint à me serrer la main avant de témoigner. J'ai beaucoup apprécier ce geste car il n'était pas obligé de le faire, et cela dénote un certain courage politique chez l'homme, surtout en cette période d'élections. Son intervention consista en un texte décrivant le contexte politique de Marseille de cette époque, avec une gauche ayant déserté les quartiers défavorisés depuis longtemps, ayant trahi ses promesses, une droite dont une partie importante avait choisit le F.N. contre la gauche, et dont les militants rejoignaient en nombre le parti de Le Pen, des alternatives prenant le visage de l'affairiste Tapie, tandis que la lepénisation des institutions gagnait chaque jour un peu plus de terrain. Son intervention s'acheva sur les prisons et les problèmes qu'elles connaissent, reliant ainsi 2 thèmes qui me sont chers. Bref une intervention politique, néanmoins un peu trop "républicaine" à mon goût. Le second témoin était Jacques Jurquet, ancien F.T.P. et responsable du M.R.A.P.. Il replaça mes actions dans l'histoire, démontrant que notre combat s'inscrivait dans celui qu'il avait mené lui et ses camarades, et que l'utilisation du sigle F.T.P. avait une valeur d'hommage et non d'usurpation. La troisième fut Anne Tristan qui fit un témoignage très humain, décrivant son expérience au sein d'une section F.N. des quartiers nord, la manière dont le F.N. s'y était développé face au vide politique et l'absence de résistance qu'il avait trouvé en face de lui, comment des cadres du F.N. profitaient de chaque succès électoraux pour élargir leur discours dans un sens toujours plus extrémiste, justifiant et défendant par avance le passage à l'acte. J'ai aussi apprécié le fait qu'elle n'ai pas répondu à la question de la présidente lui demandant si elle approuvait les moyens employés. (…) Le témoin suivant fut Roger Martin qui fit un exposé sur ce qui se cachait réellement derrière le phénomène du rock identitaire Français (R.I.F), extrait de morceaux de certains groupes à l'appui. Enfin, une camarade de Ras-L'Front de Vitrolles a tenter de décrire ce qu'elle vivait depuis l'arrivée des Megret à la Mairie : provocations, intimidations, dégradation de son véhicule, coups de téléphone, etc. L'accusation égale à elle même " Côté fafs, les avocats furent à l'image de ce qu'ils défendaient : anticommunisme primaire, réécriture de l'histoire : la résistance étant décrite au travers du film de Jean Yanne "Les chinois à Paris", et l'assassinat d'Ibrahim Ali devenant un accident. L'habituel discours sur la manipulation ne nous aura pas été épargné (j'aurais été manipulé par certains services), pour finir l'avocat des Megret me prédisant un futur sous forme d'immersion prolongée dans un cours d'eau avec des chaussures en ciment. Le procureur s'est attaché à mettre sur le même plan notre violence et celle de l'extrême droite, finissant par un couplet très républicain sur le vote, seul outil valable pour ce faire entendre. Du coup elle ne demandera pas le retrait de mes droits civiques. (…) Je ne les ai jamais utilisés, vu que je ne suis pas inscrit sur les listes électorales. Une défense trop hésitante " Côté défense, j'ai été déçu par les plaidoiries des avocats de William. Je les ai trouvé très convenus, un peu stéréotypés, très "démocrates", l'un d'eux absolvant même Mitterand de sa responsabilité dans la montée du F.N. Mon avocate est tombée, elle, dans le travers de la personnalisation, faisant plus référence à mon histoire familiale et aux appréciations de mes "études" d'infirmier, qu'au fond politique. Paradoxalement, alors qu'elle n'avait pratiquement pas à plaider, puisque le Procureur avait demandé la relaxe, ce fut l'avocate de mon frère qui fit l'intervention la plus politique du procès, celle de la légitimité de la violence face à un mouvement qui avance masqué sous couvert de la démocratie. Pour être tout à fait juste il faut dire que j'ai participé à cette dépolitisation du procès. j'ai fini par écouter les conseils (…) qui me demandaient d'adopter un profil bas pour bénéficier d'une peine réduite. Le résultat final m'a laissé un goût amer par rapport à cette stratégie. Cela démontre bien qu'on ne peut pas tenir une ligne de défense qui essaye d'être tout à la fois politique et humanitaire. Au résultat on arrive à une défense boiteuse. Mais depuis j'ai eu l'occasion de voir mon avocate qui m'a rendu compte d'une conversation qu'elle avait eu après le verdict avec la Présidente du Tribunal, celle-ci lui déclarant " il peut s'estimer heureux, j'aurais pu lui mettre plus ". Il semble donc que notre marge de manœuvre était très étroite. Contre la criminalisation, oser l'appel " Mais le combat n'est pas fini, j'ai décidé de faire appel, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord il est clair que ce verdict est destiné à me faire payer toute la série d'actions (bien que 6 étaient prescrites) mais surtout le fait que je les ai toujours assumées sans regret ni reniement, et d'autre part ce verdict à une valeur exemplaire. Au delà de ma personne et des formes de lutte, il est destiné à ceux et à celles qui inscrivent leurs luttes en dehors du chemin balisé de la contestation institutionnalisée. Il est destiné à frapper fort les esprits, à discréditer certaines formes d'actions qui ont choisi l'illégalisme, et d'isoler leurs auteurs du reste de la population. Il s'inscrit dans l'actuel mouvement de criminalisation des luttes collectives qui se développent, au travers du mouvement social et des luttes antimondialisation. Ce verdict rend encore plus visible les choix d'un pouvoir politique qui pénalise et relégue les précaires et les pauvres, qui se pose en gestionnaire et en bras répressif du pouvoir économique. Il s'intègre dans la stratégie actuelle du pouvoir qui consiste à gérer sans trouble entre chaque étape électorale, jusqu'à la présidentielle. Il démontre surtout que c'est la convergence des actions collectives qui fait peur au pouvoir. Leur répression devient ainsi un impératif de gestion politique, surtout en cette période de consensus autour du concept de sécurité : sécurité de l'emploi avec la "reprise éco", sécurité de l'alimentaire (vache folle et fièvre aphteuse) et enfin sécurité publique et politique (avec l'équation délinquant et militant même combat). Ce discours consensuel cherche à circonscrire le terrain du rapport de force aux seules négociations policées. Dévoiler la répression… " Pour le pouvoir, solidarité et résistance sont des concepts propices aux célébrations d'événements passés et ne doivent pas se conjuguer au présent, sous peine d'être réprimées. Il y a quand même quelque chose de positif, c'est que la mobilisation maintenant va quitter le terrain de l'humanitaire pour devenir plus éminemment politique, car ce soutien doit s'efforcer de dépasser ma personne et la peine elle-même pour mettre en évidence les véritables motifs de cette répression. C'est sur ce terrain que j'entend mener le combat. La condamnation à de la prison ferme pour J. Bové, si elle devient effective en mars sera une confirmation de cette criminalisation. Il est clair que l'Etat est intelligent et module la répression en fonction des acteurs, des actions et du soutien. C'est aussi un moyen de diviser le mouvement entre ceux qui, bien que s'inscrivant dans l'illégalité n'en restent pas moins des interlocuteurs avec qui on peut négocier (voir la manière dont Glavany a joué la Conf' contre la F.N.S.E.A., le fait que celle-ci ne soit pas arrivée à remettre en question l'hégémonie de la F.N.S.E.A. explique peut-être aussi en partie les peines de prison ferme que risque Bové. En effet si la Conf' avait atteint les 50%, je pense que les réquisitoires auraient été différents); et ceux qui ne visent pas à réformer les dysfonctionnements du système mais à le changer radicalement. Il faut donc assimiler tous ces paramètres. …sans héros ni martyrs " Un tout premier élément de réponse est l'attitude du P.C. qui a fait savoir à mon avocate qu'il allait s'engager plus fortement dans les mobilisations à venir me concernant. Bien sûr son état de faiblesse explique sans doute celà, mais quel renversement quand on songe à son attitude il y a encore à peine 5 ans. Je pense aussi que les anciens de la Résistance en son sein se sont réveillés à l'annonce de ce verdict. Voilà en gros mes pensées actuelles sur le procès et les mobilisations à venir. J'ai reçue une lettre (…) m'informant que le verdict avait déclenché sur Paris un mouvement de mobilisation qui impliquait des gens qui ne s'étaient pas mobilisés sur le procès. Il semble donc qu'il aille en s'élargissant. Maintenant il ne faut pas tomber dans la martyrisation. Je n'ai jamais eu, et cela n'a pas changé, la vocation à devenir un héros et encore moins un martyr. Quand je lis (…) un éditorial où l'on me place sur le même plan que Mumia ou Peltier je dis qu'il faut arrêter cela. Leur situation est sans commune mesure avec la mienne. Ils se battent pour leur vie dans le ventre de la bête. Halte donc à la personnalisation. Battons nous sur la peine, je crois que c'est un bon levier pour soulever beaucoup de problèmes (…) ". Yves, Les baumettes, le 5 mars 2001 N.B. : Yves a été transféré de cellule suite au verdict, et l'A.P. n'a pas toujours fait suivre son courrier : il a donc des difficultés pour répondre à toutes les personnes qui lui écrive. William a vu sa peine assortie de 14 mois de sursis, il est donc sorti libre du procès compte tenu de la préventive effectuée. Les intertitres sont de la rédaction. [Extrait de Courant Alternatif, un mensuel édité en France par l'OCL. http://oclibertaire.free.fr] ******** The A-Infos News Service News about and of interest to anarchists ******** COMMANDS: lists@ainfos.ca REPLIES: a-infos-d@ainfos.ca HELP: a-infos-org@ainfos.ca WWW: http://www.ainfos.ca INFO: http://www.ainfos.ca/org To receive a-infos in one language only mail lists@ainfos.ca the message unsubscribe a-infos subscribe a-infos-X where X = en, ca, de, fr, etc. (i.e. the language code)