CHRONOLOGIE D'UN ENGAGEMENT CONTRE LE NATIONALISME & LA XENOPHOBIE Depuis une trentaine d'années, le sud-est de la France, plus communément appelé région PACA, est devenu un bastion des idées politiques les plus réactionnaires et nationalistes. Si la xénophobie a toujours été latente comme en témoigne les chasses à l'Italien du début du siècle, la force des partis dits de gauche des années 1930 jusqu'au début des années 1980 a pu donner l'illusion que cette région s'était habitué aux idées " progressistes ". Ainsi, malgré une flambée de violence anti maghrebinne en 1973 et quelques attentats à la fin de cette décennie, le Front National, principal représentant des idées nationalistes en France, n'obtenait que 1,2 % des suffrages en région PACA aux législatives de 1978 et stagnait à 1 % aux présidentielles et législatives de 1981. LE TOURNANT DE 1983 Pourtant dès 1983, avec les élections municipales, il semble que la situation politique change, montrant par là même que cette région n'était pas différente du reste de la France malgré " sa tradition d'accueil ". Une liste emmenée par l'avocat B. Manovelli sur le thème de la sécurité et intitulée finement " Marseille Sécurité " obtient alors 10 % des suffrages sur Marseille avec des pointes à 30 % dans les arrdt. populaires, là même où le FN obtenait déjà 7 % en moyenne aux législatives de 1981. En 1984, les élections européennes viennent confirmer cette situation puisque la liste menée par Le Pen obtient 19,49 % dans les Bouches-du-Rhône et 21,42 % à Marseille, score confirmé aux cantonales de 1985 avec 26 % à Marseille. Il semble alors que l'on puisse établir une relation étroite entre ces pourcentages élevés de la droite xénophobe et sécuritaire et le pourcentage de population immigrée dans la population totale, montrant ainsi la motivation principale sinon unique des électeurs du FN. En moyenne, aux élections législatives de 1986, un taux de population immigrée de 9,4 % se traduira par un score global de 18,3 % sur la région. Mais certains départements sont alors déjà plus gangrenés que d'autres : les Bouches-du-Rhône votent à 22,53 % pour le FN et les Alpes-Maritimes 20,88 %. Cela représente sept députés pour la région et 25 conseillers régionaux. Les journalistes et les démocrates locaux ont beau essayer d'y voir un vote protestataire encouragé par le mode de scrutin proportionnel : le FN est implanté électoralement et la rhétorique anti-immigrée s'assure un franc succès. Pourtant, d'autres facteurs viennent évidemment encourager cette flambée xénophobe. Il suffit alors de se pencher sur le bassin d'emploi de Marseille pour constater que le taux de chômage y est de 14,6 % en 1986, soit 5 % de plus que nationalement, et surtout que cet espace a perdu 5 % d'emplois industriels entre 1982 et 1986. Ce déclin se produit au moment même où la présence immigrée se transforme, passant du travailleur célibataire invisible et parqué en foyer à la famille dont la visibilité est toute autre et dont les besoins sociaux sont les mêmes que tout un chacun. On peut également observer un niveau d'éducation plus faible qu'ailleurs : 47,3 % des Marseillais sont alors sans diplôme et cela influence le regard qu'ils peuvent porter sur l'évolution sociale de ces années-là. Mal dans leur peau, mal dans leur ville, ils ont un sentiment d'abandon très fort qui alimente leur peur. Le FN est alors le meilleur relais de cette exaspération qui se concentre sur le refus de l'étranger détesté. Cela convient d'autant mieux au FN qu'il profite des particularités locales, en particulier les accomodements de la vie politique méridionale qui font que la classe politique manifeste une complaisance générale sans faille pour le Front et son discours. Les libéraux et conservateurs n'y voient rien à redire tandis que le PS exprime une opposition molle, tout préoccupé qu'il est à utiliser le FN pour mieux diviser une droite qui a alors le vent en poupe dans cette région. Le vieillissement général de la population dans cette région a en effet largement profité électoralement aux partis de l'Ordre et la Propriété. Pourtant ces partis sont déjà touchés par une hémorragie qui ne s'arrêtera plus, en particulier le RPR qui voit s'effondrer le nombre de ses électeurs et militants au profit du FN. LA CONFIRMATION DE 1988 La percée se poursuit en 1988 lors des échéances électorales de cette année. J.-M. Le Pen obtient 24,5 % des suffrages aux élections présidentielles en région PACA avec des pointes à 26,4 % dans les Bouches-du-Rhône et 25 % dans le Var. Les élections législatives représentent le même succès avec 21,3 % en moyenne sur la région, résultat qu'il faut comparer aux 1,2 % réalisés dix ans plus tôt aux mêmes élections ! Il n'est alors plus question seulement de " vote protestaire " mais d'un choix conscient de milliers d'électeurs prêts à rejeter les " étrangers " à la mer. Cet enracinement s'explique par l'infiltration nationaliste et xénophobe dans le tissu associatif, que ce soit les structures liées à la communauté rapatriée d'Algérie particulièrement puissante dans cette région ou celles de fraternité militaire ou encore les associations sécuritaires dont le nombre a explosé durant cette décennie. Mais Anne Tristan a montré que le discours xénophobe touchait également de simples associations de quartier. Les dix villes qui votent alors le plus pour Le Pen sont dans l'ordre Marignane, Sorgues, Les Pennes, Vitrolles, Six-Fours, Châteaure, Marseille, Fréjus, La Valette et Septêmes. En face, l'effritement de la gauche est incroyable. La vacuité du discours le dispute à la nullité des pratiques et cela ouvre un boulevard à un tribun comme B. Tapie promu champion anti-FN à Marseille. Cela pousse un certain nombre de militants à essayer de s'organiser en marge du milieu politique dans l'espoir de lutter autrement avec des idées qui ne soient pas celles du clientèlisme et de l'affairisme. C'est ainsi que se constitue le collectif contre le fascisme et le racisme qui regroupe le Groupe Anti-Fasciste dont fait partie Yves, le MRAP, le comité Euskadi ou la FGA. Cette résistance s'amplifie au fur et à mesure que le FN se développe, comme le montre par exemple l'émergence des collectifs Ras L'Front, mais elle n'empêche pas sa progression. Elle ne règle en effet aucune des questions qui expliquent l'émergence du FN et se raccroche bien souvent à l'illusion qu'une gauche politiquement forte permettrait le recul du FN. Vitrolles montre au contraire que les partis de gauche sont bien souvent le meilleur atout du Front. C'est ainsi que dès 1993, B. Mégret obtient 55 % des suffrages au premier tour des élections municipales même s'il ne conquiert la mairie par épouse interposée qu'en février 1997. Cette situation culminera aux législatives de mai 1997 avec 32,39 % au premier tour pour J.-M. Le Chevallier, 35,45 % pour B. Mégret ou 28,78 % pour J. Bompard. Dans la vie de tous les jours, cela se traduit par une pression politique et raciste permanente, le développement des infrastructures militantes du FN, la conquête progressive de toutes les sphères de la société méridionale. Le symbole en est la dispersion sauvage par les CRS de la manifestation anti-FN de mars 1997 au cours de laquelle tabassages en règle et tirs tendus de grenades lacrymogènes montrent à quel point la limite entre démocratie libérale et régime autoritaire peut vite devenir très floueŠ 1995, ANNEE NOIRE Le 21 février 1995, le jeune d'origine comorienne Ibrahim Ali est assassiné par trois colleurs d'affiche du FN. Ce meurtre vient démontrer, si besoin en était, que les mentalités de la région PACA sont durablement marquées par la xénophobie : non seulement les militants FN sont à la fois suffisamment paranoïaques et fanatisés pour tirer à bout portant sur un jeune visiblement d'origine étrangère mais en plus cet assassinat ne fragilise en aucune façon l'implantation du FN dans à Marseille et à fortiori dans la région. Les révélations sur la passé criminel de ces militants ou leur misère sociale ne changent rien non plus. Le propos d'un militant frontiste rapporté en 1987 par A. Tristan dans son livre Au Front se vérifie : " Regarde : si tu tues un arabe quand Le Pen fait 0,5 %, t'as tout de suite le tollé, on te traite de raciste; Quand on est à 15 %, les gens, déjà, ils crient moins; Alors il faut continuer et tu verras qu'à 30 %, les gens ne crieront plus ! ". Des manifestations ont alors lieu à Marseille et dans toute la France pour réclamer justice mais l'inertie reprend vite ses droits. Chacun en profite alors pour poursuivre ses propres intérêts, B. Mégret se lance dans une défense acharnée des trois militants pour assurer sa mainmise sur l'appareil régional du FN, débordant par la même occasion J.-M. Le Pen qui avait déclré s'associer au chagrin de la famille ; B. Tapie annonce une démagogique tentative de porter plainte contre B. Mégret ; SOS-Racisme envoie ses avocats " manager " la famille. Bref, le Barnum continue, L'exclusion des associations de la procédure par le magistrat instructeur en mai 1995 sous prétexte qu'il ne semblerait pas que " les crimes d'homicide volontaire et tentative d'homicide volontaire ont été commis en raison de l'appartenance des victimes à une ethnie, une race, etc, " vient finalement montrer que ce meurtre n'aura rien changé sur le cours des choses, ni dans la résistance renforcée qu'on pouvait en attendre. C'est alors que certains militants antifascistes radicaux c'est-à-dire anticapitalistes font le choix de lutter de façon extra-légale contre le FN, tirant le bilan de l'inefficacité de 10 ans de lutte légale. L'attentat du 03 avril 1995 contre la villa de Maurice Gros, secrétaire départemental du FN, vient marquer ce choix.