Le Château de Kinkempois

 

son historique, dans l’ancienne commune d’Angleur.

 

Rue de Kinkempois. Conduit de la place des Franchises à la place du Général Leman.

Pour connaître l’origine de cette rue, il faut remonter à l’an 1866. Sa création fut décidée, au Conseil communal, le 29 juin et approuvée le 14 décembre, par un arrêté royal qui fixait la largeur de la rue à 15 mètres. Enfin, le 27 septembre 1867, elle fut dénommée rue de Kinkempois.

Aux générations présentes, ce nom ne rappelle guère que les bois épais et magnifiques, but de charmantes promenades dans la belle saison. On le proclamait voilà trois quarts de siècle :

le bois de Quinquenpois renferme les promenades les plus variées et les plus pittoresques. L’art n’y a fait, pour ainsi dire, que diriger le ciseau de la nature. La simplicité des embellissements, sur un amphithéâtre de gazons et d’arbres, au milieu duquel un étang limpide alimenté par les eaux d’une jolie cascade qui entretient constamment une délicieuse fraîcheur, en font un vrai séjour de douces rêveries, de sentiments agréables, et d’enthousiasmes paisibles. Tout y excite l’admiration, tantôt par les sites nombreux qui varient à chaque instant, tantôt par les points de vue admirables qui font de ce gracieux labyrinthe de verdure et d’ombrages le séjour le plus charmant.
L’endroit était fort apprécié par les Liégeois aux XVIe et XVIIe siècles. Si les verriers de notre ville allaient là, en ce temps, extraire du sable clair qui devait servir à la fabrication du verre, la généralité de nos pères connaissaient Kinkempois par la beauté de ses bois d’abord, par le château de ce nom, ensuite.

Modernisé en bonne partie, ce château ne subsiste pas moins. Il a appartenu avant 1885 à Madame la Vicomtesse de Clerembault et, depuis cette date, par suite d’un partage, à sa fille Madame de Péralta jusqu'à sa mort. Ce n’est point un rôle effacé qu’il a joué dans les siècles passés. Son histoire se rattache en bien des points, à celle de la cité de Liège. Tel est le motif qui nous engage à consigner ici quelques renseignements concernant cette propriété seigneuriale.

Kinkempois était un antique fief dépendant du prince-évêque de liège, près de qui tout nouvel occupant devait faire relief. Cette condition du bien se perpétua jusqu'à la chute de la principauté. Cependant, le château de Kinkempois avait sa cour jurée spéciale.

Les archives locales nous laissent ignorer la date de l’origine de ce château. Du silence d’acte du chapitre de Saint-Lambert de l’an 1269, mettant fin à un différend relatif aux bois de Thernat (Thiernesse) et d’Angleur, dont disposait le chevalier Guillaume de Hemricourt, on ne peut déduire que le nom Kinkempois n’avait pas encore été donné. C’était dès lors celui d’une seigneurie qu’on sait avoir appartenu dès ce XIIIe siècle à la famille de Bautershem, qui ne l’habitait pas toutefois. C’est seulement au suivant que Henry, sire de Bautershem, sénéchal de Brabant en 1352, vint demeurer en la maison de Kinkempois. Il mourut en 1370. Auparavant, il avait conquis, devant la cour du Brabant, l’importante seigneurie de Bergen op Zoom dont ses descendants prirent le nom.

Messire Raes de Haccourt, chevalier, échevin de Liège, ayant obtenu l’usufruit du fief, le transporta le 22 février 1381, à son fils aîné Englebert, lequel y renonça en faveur de Messire Henry de Bautershem. Celui-ci déclina aussi cette cession et la transmis à son frère Gérard de Berghes.

Le château était, dès lors, entouré de fossés ; de longues étendues de bois en dépendaient, ainsi que de vastes pièces de terre. Depuis quelque temps, les maîtres de cette ample propriété avaient transformé cinquante bonniers de leurs bois en bois communaux, c’est-à-dire à l’usage de la généralité des habitants. Vingt-cinq étaient réservés aux gens d’Angleur, vingt-cinq à ceux de la Boverie et de Fetinne. Cette généreuse libéralité avait été faite à la condition que les autres terrains boisés seraient exempts de toute droiture, aisemences, pâturage, waidage quelconque.

Gérard de Berghes ayant passé de vie à trépas, au commencement du XVe siècle, son fils Gérard releva le fief, tout en laissant l’usufruit à sa mère. Le domaine arriva, le 29 juillet 1421, aux mains de Messire Jean de Grimberghe, seigneur d’Assche, gendre du précédent possesseur, et qui, le 23 août 1434, vendit le château de ses dépendances, terres, rentes, pêcheries, haute avouerie d’Angleur, à Guillaume de Momalle, seigneur d’Emptinnes, fils de Renard d’Emptinnes et de Jeanne de Schoenvelt, moyennant une somme de 2,666 fl . du Rhin.

Dix-huit ans plus tard, le 2 mai 1452, Guillaume de Momalle, d’accord avec sa femme Isabelle de Sart, résigna devant le prince jean de Heinsberg, au profit de leur fils Guillaume, et comme dot de mariage avec Aleyde de Rivière, les trois seigneurie d’Emptinnes, de Mouffrin et de Kinkempois.

Le nouveau seigneur de Kinkempois ne conserva ce titre que cinq années. A la date du 7 juillet 1457, il vendit le château de Kinkempois avec la seigneurie, la haute vouerie d’Angleur, les bois et les autres biens et rentes, à l’abbaye de Saint-Laurent, au prix de 3,000 florins d’or. L’acte de transport apprend que le fief comprenait le château, la seigneurie, l’avouerie et les bois qui se développaient sur 360 bonniers. Vingt bonniers de terre arable, cédés aussi à l’abbaye, formaient un bien allodial. A partir de ce moment, le fief fut tenu par le monastère Saint-Laurent jusqu'à la fin de son existence. Le 10 juillet 1793, dom Servais Lys, abbé, en faisait encore relief.

Ce bien n’était pas seulement une belle résidence champêtre. Il renfermait aussi une forteresse qui remplissait, en temps reculés, l’office de fort défensif de l’Ourthe et de la Meuse. Pas plus que l’ensemble elle n’eut guère à souffrir des dévastations de 1467 et de 1468, exercée par l’armée de Charles le Téméraire, les biens de l’abbaye Saint-Laurent ayant été placés sous la sauvegarde de ce prince.

Plus tard vers 1485, les La Marck, pour augmenter leur puissance, firent plusieurs tentatives en vue d’acheter cette forteresse, mais elles demeurèrent vaines. Mais néanmoins dans les troubles de 1492, une section de la localité fut livrée aux flammes avec les greniers.

Cependant, les ressources faisaient sans doute défaut à l’abbaye, celle-ci dut mettre son domaine de Kinkempois, une partie au moins, en location l’an 1532.

Peut-être le monastère voulait-il en consacrer le revenu au paiement de la restauration du château. En 1535, en effet, l’abbé Gérard de Zuylré y fit construire un pont de pierre qui, restauré ultérieurement, continue de porter l’inscription D. Gérard de Zuylré 1535.

 

Un écusson portant une inscription identique est encastrée à la façade de gauche des bâtiments. L’abbé susdit est mort à Kinkempois même, sa résidence favorite, en 1557. Son successeur, l’abbé Henri Natalis entreprit, en 1566, la réédification complète de la forteresse, de la chapelle et des dépendances du château. Un mémorial sur le mur du sanctuaire est ainsi conçu :

d. henricus natalis
abbas sancti laurenti
reconstruxit
1566

Dans le siècle suivant, cette citadelle fut très souvent occupée par la milice liégeoise. La position, presque au confluent de la Meuse et de l’Ourthe, était des plus avantageuses pour la défense de la cité et de la banlieue.

 

On sait combien les environs de notre ville eurent à souffrir, dans les années 1635 et 1636, des Croates qui se livraient à des méfaits et à des crimes de toutes espèces aux abords de la ville. Beaucoup d’entre eux se tenaient, en 1636, du côté de Jemeppe. Nombreux furent alors les services rendus par la petite citadelle de Kinkempois pour la protection de cette localité et des lieux environnants. Le 20 avril, 30 hommes de la garnison liégeoise du château, ayant fait une sortie le soir, surprirent un groupe de Croates, et en tuèrent huit, tandis que nos concitoyens perdirent seulement deux des leurs. De plus, ils parvinrent à s’emparer de près d’une centaine de chevaux chargés de butin. Toutefois, une forte troupe de soldats étrangers ayant fait son apparition, nos gens ne purent garder leur prise et durent regagner leur quartier.

Lorsque, en 1649, le prince Fernand de Bavière, qui s’était vu, l’année précédente, refuser l’entrée dans sa capitale, résolut d’y établir son autorité par la force, un des premiers points fortifiés que sa troupe occupa fut le château de Kinkempois. Ce fait d’armes à été accompli en août par un corps de miliciens détachés de la garnison du château de Huy et commandé par le Baron Ittel de Mérode, gouverneur de la ville de Huy.

Un an et demi plus tard, un autre incident se produisait. Le 18 mars 1651, une troupe étrangère, des Lorrains, dit-on, s’empara de la forteresse de Kinkempois. L’alarme se répandit promptement dans la cité. La garde bourgeoise et divers corps s’équipèrent. Cavalerie et infanterie se précipitèrent avec deux pièces d’artilleries dans la direction de Kinkempois. Elles n’eurent guère de peine à se rendre maîtresses de la place et à faire mettre bas les armes à la garnison d’intrus. Tous furent amenés prisonniers à Liège, mais on finit par les relâcher. Le personnage qui eut le plus à pâtir de l’incident fut l’abbé de Saint-Laurent. Il ne put reprendre possession de son château qu’après avoir dédommagé la cité des frais que l’expédition avait occasionnés.

Six ans après, le maréchal de Turenne, passant par notre pays, pris son logement dans ce château avec M. de Pradelles. Ce dernier y revint encore le 14 juin 1663.

L’armée française repassait alors à Chênée. Le prince Max.-Henri de Bavière, qui était présent, invita Pradelles et ses principaux officiers au château de Kinkempois.

Diverses modifications y ont été opérées au XVIIIe siècle et l’on pourrait encore voir actuellement, sur tel mur des bâtiments latéraux, des pierres aux armes de Grégoire Lembor, abbé de Saint-Laurent.

Le château renfermait dès le XVe siècle - nous l’avons dit - et continue de renfermer une chapelle. On y remarquait, aux siècles passés, un autel dédié à Sainte-Barbe et à Sainte-Catherine.

Saumery, dans les Délices du Pays de liège, ne mentionne pas ce sanctuaire : Les bâtiments de ce château, écrit-il, sont nombreux. Deux grands corps de logis où sont les écuries, les greniers et les autres lieux propres au ménage de la campagne, se présentent dans une basse-cour d’une étendue extraordinaire dont ils remplissent les deux côtés, laissant à vide celui qui fait face au château. De cette cour, on pénètre dans une autre où les logements sont bâtis. Ils sont distribués en trois corps, l’un en face et lezs autres collatéraux. Chacun de ces logis, flanqué d’un pavillon très proprement couvert et surmonté d’une lanterne, contient des appartements commodes pour les religieux et pour les étrangers. Les meubles n’y sont pas somptueux, mais ils sont propres. Tout y est simple et riant. De larges fossés remplis d’eau vive ne contribuent pas moins à la santé et à l’ornement de cette maison qu’à la pureté de l’air qu’on y respire.

C’est là que, à certains jours, les religieux de Saint-Laurent allaient se reposer et respirer l’air pur de la campagne. La moitié seulement de la communauté pouvait s’y rendre à la fois, l’autre moitié devant demeurer à Liège pour les offices.

La ferme était louée à quelque cultivateur.

Fait peu connu, en 1768, un étranger, Clément de Cléry et d’autres associés vinrent installer une manufacture d’acier à Kinkempois même. Le 13 février 1769, le Conseil privé leur octroya le privilège de fabriquer là, et de vendre leur acier pendant une période de quinze ans. On n’a pas appris qu’un succès durable ait couronné les efforts de ces innovateurs.

Quant au domaine de Kinkempois, l’avènement de la Révolution française devait le faire en d’autres mains. L’autorité républicaine s’en empara dès l’an IV (1795), de magnifiques arbres de la propriété furent renversés et servirent à la restauration de la digue dite des Grosses Battes à Grivegnée, qui venait d’être détruite.

L’année suivante, le 6 ventôse an V (25 février 1796), l’administration centrale mettait en adjudication définitive le bien de Kinkempois, tant le quartier de maître que celui du fermier, ayant appartenu au ci-devant monastère Saint-Laurent lez Liège... contenant 33 bonniers 9 verges grandes, sans y comprendre les bois. Les experts l’avaient évalué à 47,336 livres. Il fut adjugé au prix de 40,100 livre au citoyen Ch.-J. Desoer, comme fondé de procuration de Marthe-Joséphine Lonhienne, ex-religieuse de Sainte-Claire, de J-F Berthels et A. Detrooz, ex-carmes déchaussées, de Dieudonnée julin et A-M Savenay, ex-religieuses Urbanistes, et de N-J Lejeune, ex-capucin, tous de Liège. Le 6 ventôse également, 6 verges de terre voisines furent vendues au même et dans les mêmes conditions, moyennant 562 livres 10 sols.

Le chiffre peu élevé des enchères s’explique parce qu’on était en présence d’une des premières ventes de bien dits nationaux. Les Liégeois, en général, ne voulaient point s’aventurer à semblables opérations, d’abord en raison de ce que c’était une spoliation et , ensuite, en raison du peu de confiance qu’ils avaient dans la stabilité du gouvernement. Notons cependant que, pour faire mousser les enchères, il était licite de ne pas en numéraire que le dixième du montant de la vente.

Depuis cette époque, le château n’a pas cessé d’être possédé par la famille Desoer, à laquelle se rattachent par alliance les propriétaires actuels. Fernand de Lesseps, apparenté aux Desoer et à Mme de Péralta, y a résidé un mois, vers 1882.

Le mardi 8 décembre 1885, cette luxueuse résidence faillit être entièrement détruite. Un incendie éclata vers quatre heures de relevée dans les combles, ayant été communiqué à une poutre par un tuyau de calorifère. La toiture fut entièrement détruite ; beaucoup d’archives et d’œuvres d’art devinrent la proie des flammes ou subirent de graves avaries. Deux Ommeganck, notamment dont, paraît-il, un musée avait offert 30,000 fr quelques années auparavant, ont péri dans le sinistre avec une vierge de David Teniers. On put sauver la collection d’éventails ainsi que le beau portrait de Lombart, peint par lui-même, et maintes autres œuvres artistiques qu’on admira longtemps encore dans les salons du château. La bibliothèque a aussi été anéantie.

Une pierre enchâssée dans le façade principale rappelle ce sinistre. Le château a été restauré en 1887 par l’architecte Lambert Gaspard.

Après avoir jeté un rapide coup d’œil sur le passé du château de Kinkempois, il serait intéressant de connaître la signification de cette dénomination. Paris a également sa rue de Quincampois. Malgré la différence d’orthographe, et bien que, chez nous, depuis le XIVe siècle passé, on ait écrit Kinkenpois, le nom des deux rues semble avoir une étymologie similaire.

Jusqu'à présent, on est dans une pleine ignorance de la raison d’être de cette appellation.

Si, avant août 1914, c’est-à-dire avant l’invasion de l’armée allemande, les bois de Kinkempois avaient pu échapper en grande partie à la cognée du bûcheron, ils ont été complètement ravagés durant la terrible occupation ennemie. Il faudra longtemps pour rendre à ces hauteurs leur caractère agreste et enchanteur.

Un grand projet avait vu le jour dans les premières années du XXe siècle : l’achat des bois de Kinkempois et des environs par les administrations pour en faire un immense parc public. Le Conseil Communal de Liège s’en occupait encore en 1914 quand les événements belliqueux vinrent suspendre forcément toutes négociations. Le 23 août 1919, la mort de la principale propriétaire, la marquise de Péralta fournit l’occasion de reprendre le projet sous forme de Société intercommunale. Mais, ensuite surtout de la situation obérée des finances générales, et de la compression des dépenses publiques, nécessitée par cette situation, les diverses autorités se sont vue dans l’obligation de renoncer, quant à présent, à la réalisation de ce plan grandiose, qui eût créé, aux portes de Liège, un magnifique domaine forestier.

(c) PAC Angleur

 

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