On A Faim! #14
On a longtemps hésité avant de passer une interview des Thugs dans OAF!,
parce que de nombreux zines en avaient parlé, alors qu'aurions nous
apporté de plus ?
Mais la raison de leur présence dans ses pages est dû à leur dernier
album "Still Hungry, Still Angry", qui est vraiment très bien et très fort.
A quelque jours d'intervalles, Les Thugs passaient à portée de micro des
envoyés d'OAF!, à Bordeaux et au Havre. On a mixé les 2 interviews-
rencontres....
Christophe : Je ne crois pas qu'on soit spécialement pessimistes, on
est plutôt réasliste, ce qui revient peut-être au même quand tu fais
du rock en France ...
OAF! : Il me semble qu'il y moins de groupes originaux dans le rock
alternatif en ce moment.
C : Il y a des périodes où on parle beaucoup de certains groupes et
du fait que les Bérus ont arrêté on en parle beaucoup moins. Des groupes
comme Parabellum ça fait un moment qu'on a parlé d'eux, ils ne font pas
de disques, pour les Shériff c'est pareil. Dans un sens ce n'est pas plus
mal : au niveau purement musical, il y a plus d'ouverture qu'avant, il y
a beaucoup plus de groupes français qui chantent en anglais et pas
obligatoirement dans la lignée "rock alternatif en français". Les gens
reviennent plus à la musique. Il y a eu une grande période "rock en
français", alors il va y avoir un retour.
OAF! : Tout ce rock là a toujours existé, mais il était gommé par
le succès des Bérus et des autres. Un label est sorti, Bondage, et
a occulté tout le restant. On ne voyait qu'une partie de l'iceberg.
C : Bien sûr. C'est pour ça que les articles parus dans les grands
journaux nationaux du style de Best, disant : "Le rock alternatif est mort"
est complètement débile. Le rock alternatif est mort, ça voudrait dire
qu'il n'y a plus de rock en France. Le rock est alternatif depuis le
début. Le rock en France, reste marginal et s'adresse à des gens qui
n'ont pas envie de rester dans le système des majors companies.
OAF! : Enfin ... Il y a plein de groupes qui sont attirés par le
gros business. Les groupes qui quittent Bondage pour aller chez
les majors par exemple.
C : J'admire beaucoup un groupe comme les Bérus, même s'ils ont
déliré à la fin, parce qu'ils ont réussi à garder la tête froide en
vendant 50000 disques. Alors qu'il y a des groupes dits "alternatifs"
qu'on connaît qui, à leur place auraient pris la grosse tête. De
toute façon, c'est un peu comme dans une organisation politique :
il y a beaucoup de gens qui y sont parce que leurs copains y sont,
c'est un phénomène de mode et ils sont les premiers à tout lacher
dès qu'ils ont obtenu un p'tit quelque chose. Ceux qui tiennent
un vrai discours radical et qui s'y tiennent sont peu nombreux.
Il y en a plein qui retournent leur veste.
E : Au début de notre carrière, on a décidé de tester tous les labels
français, on a fait Gougnaf, Closer, New Rose, maintenant on fait
Bondage. Ce qui s'est passé, c'est qu'en France on n'a jamais été
très satisfait de ce qui s'était passé pour nous sur les différents
labels. Des problèmes tous différents les uns des autres suivant
les labels. Depuis très longtemps Bondage était un label qui nous
intéressait beaucoup. On aimait bien les gens qui étaient à l'intérieur,
mais l'image ne nous correspondait pas vraiment : Les Bérus ou Ludwig,
c'est une certaine ligne musicale. On n'est pas complètement
éloigné ou étranger à ce phénomène, mais on aurait détonné dans le label
et on n'avait pas envie de ça.
Puis, il y a eu une opportunité : Bondage a élargi ses goûts musicaux,
notamment avec ce qui est sorti sur Stop It Baby (Hard Ons, Shifters ...) ...
C : Si on avait été chez Bondage pendant leur grande époque, quand les
Bérus avaient un énorme succès, ça aurait fait opportuniste. Y aller
en ce moment c'est vraiment le contraire, vu qu'on est allé chez eux
au pire moment.
Par rapport aux autres labels, puisqu'on est dans une grande période
de rêglement de comptes entre les groupes et les labels : nous avons
toujours de très bonnes relations avec Closer et Gougnaf. Ce sont
des gens qu'on aime beaucoup et qu'on voit régulièrement. Si on n'a
pas continué c'est pour des histoires pas très importantes. Si un
jour on devient célèbre et qu'on vend plein de disques, je souhaite
que Gougnaf puisse toujours vendre le 1er 45t, idem pour Closer
avec "Radical Hystery" : tout le monde en profiterait.
OAF! : Que pensez-vous de ce qui s'est passé dans le rock alternatif ?
E : Je vois ça comme une crise de croissance. Le rock indépendant en
France a fonctionné au niveau de l'artisanat pendant de longues années,
parce que n'e de structures minuscules et que petit à petit ça a vendu
des disques et qu'il a fallu passer à la vitesse supérieure. C'est donc
une crise de croissance, ça va se résoudre. Ce qui est embêtant c'est
que tout le monde se tire dans les pattes, au lieu de se donner des
conseils, de former un genre de cartels des labels indépendants ...
travailler de manière traditionnelle, mais ensemble pour rester
honnête et intègre. Même si au niveau des labels, il n'y a pas eu
trop de guerre, ce sont plutôt les groupes qui ont fait n'importe quoi.
Dans l'histoire qui s'est passée entre Bérus et Bondage, on n'a pas à
prendre part, mais c'est dommage. D'ailleurs il n'y a pas eu que des
problèmes chez Bondage. En plus, ça permet à des gens qui n'ont
jamais aimé le rock alternatif de se déchaîner, d'affirmer que le
rock alternatif est mort alors qu'ils ne l'ont jamais considéré comme
vivant. Ca les ramène dans ce qu'ils ont toujours pensé et ça c'est
pénible.
C : Ca me fait penser aux groupuscules gauchistes dans les années 70,
quand ils disaient : "Il faut savoir où sont ses ennemis". C'est à dire
qu'on passe plus de temps à se taper sur la gueule avec des gens qui
ont une politique légèrement différente qu'avec les vrais ennemis.
Ca entraîne les excès de langage, les exagérations, les procès
politiques ...
E : Ce qui s'est passé dans le rock alternatif, ce sont des choses
qui se passent souvent dans la vie. Je pense qu'entre des gens qui
s'aiment bien, qui collaborent, tout peut s'arranger quand on se
fait confiance. Il suffit de ne pas se braquer bêtement, même s'il
y a des coups de gueule, tout peut se discuter et s'arranger vu
qu'on est dans la même famille.
Personnellement, je n'ai rien contre les Bérus, même si après ce
qui s'est passé, même si je ne suis pas trop d'accord avec la
façon dont ils ont opéré. Je ne vais pas dire que ce sont des
traitres, ça serait reprendre le même schéma, et c'est bête.
C : Au niveau musical ce que je préfère chez un groupe ce sont
ses premiers disques. Pour moi l'exemple typique ce sont les Dogs.
J'aime beaucoup les 2-3 premiers disques, après j'aime moins.
Ce que j'aime bien dans les premiers disques, c'est que les
groupes n'ont pas beaucoup de moyens, ils ont la haine, ils ne
peuvent pas faire quelque chose de sophistiqué, ils n'ont pas
beaucoup de temps en studio ... et plus ça va et plus ils ont
les moyens, plus ils arrivent à faire la musique qu'ils ont eu
envie de faire. Tous les groupes de 77, ils étaient vraiment
destroy, mais dès qu'ils ont eu plus de moyens, ils ont joué
autrement. Au début c'étaient des punk-rockers et ils sont
devenus des musiciens.
OAF! : C'est moins crade et c'est plus chiant. C'est moins
spontané.
C : Oui, c'est ça que j'aime : le côté primaire. Quand je
rentre chez moi, je n'écoute pas du jazz ou de la musique
classique. J'adore écouter le mec avec sa guitare et son
ampli et qui fait du bruit. Tant qu'il y aura des gens qui
auront envie de prendre une guitare et de faire du bruit
parce qu'ils se font chier ... ça ira. T'as pas besoin de
faire 15 disques ou le conservatoire pour faire du rock
Il suffit d'avoir la volonté.
OAF! : Votre nom revient tout le temps, vous avez été pas mal
chroniqués aux Etats-Unis, vous avez fait une partie de la
tournée avec PIL ...
C : Juste 2 dates. On est sur un label anglais, Vinyl Solution
et par leur intermédiaire on a eu plein de plans pour jouer
en Europe. En jouant à Berlin au festival des indépendants,
il y avait les gens du label américain Sub Pop qui nous ont
remarqué et ça leur a plu. Ils ont voulu sortir un disque
des Thugs aux USA. Avant qu'on tourne là-bas, ils ont sorti
un 45t avec un morceau d'Electric Trouble et un inédit.
Juste pour la tournée, ils ont sorti une compilation
d'"Electric Trouble" et de "Dirty White Race", avec 11
morceaux, comme c'est sorti en Espagne et en Allemagne.
Ils ont également sorti notre dernier LP, "Still Hungry".
On est parti tourner 2 mois, on a fait 29 concerts dont
4 au Canada. On a joué 2 fois avec PIL, 3 avec SNFU,
autrement on tournait avec un groupe de Seattle qui
s'appelle Blood Circus, qui est aussi sur Sub Pop. On a
rencontré les gens de Maximum Rock'n'Roll à San Francisco,
où on a fait un super concert. Surtout que les gens de MRR
nous connaissent depuis longtemps : depuis le premier 45t.
Ce qui m'a frappé c'est qu'en Angleterre ceux qui organisent
des concerts sont assez business alors qu'aux Etats Unis
ça ressemble plus à la France pour ce qui est des organisateurs.
C : "Still Hungry". C'est la première fois qu'on fait un vrai
album, avec 12 morceaux. On l'a enregistré au Pays de Galles
avec Ian Burgess, un américain. En Angleterre, le disque est
sorti chez Vinyl Solution, en France c'est chez Bondage ; en
Allemagne c'est Glitterhouse et aux USA sur Sub Pop. C'est
bien d'avoir un label qui sorte le disque plutôt qu'une
distribution en import. La chance qu'on a c'est que Vinyl
Solution a des groupes porteurs, avant c'était les Stupids,
maintenant c'est Mega City Four. Sub Pop avec des groupes
comme Nirvana est un des labels indépendants qui a le plus
la côte. On bénéficie pas mal de tout ça.
OAF! : Qu'as tu comme projet de distribution de groupes ?
C : J'avais produit les K7-démo des Thompson Rollets, là
leur 45T a été produit par Bret Meyer, le guitariste de
Died Pretty. Peut-être que je travaillerais à nouveau avec
eux. Il y a eu le mini-LP de Parkinson Square, de Lyon.
Le problème c'est que Gougnaf ayant des problèmes, le disque
n'est pas très bien distribué, parce que c'est vraiment
un super disque. Sinon il y a eu les Real Cool Killers de
Clermont-Ferrand qui sortent un mini-LP chez Spliff. C'est
plus classique par rapport au Hard Core de Parkinson Square.
Sinon il y a aussi les Shaking Dolls, un nouveau groupe
d'Angers qui joue super bien.
C : Pour les concerts à l'étranger on vient de repasser en
Hollande, sinon on est allé en Italie, Espagne, en Grèce,
en Belgique, en Suisse. C'est bien la Suisse ... A Zurick,
il y a la Rote Fabrik, c'est un immense squatt avec 2 salles
de concerts, une qui doit faire 500 places et l'autre 1000.
Il y a pas mal d'endroits comme ça en Suisse. En 78, il y a
eu un mouvement dur autour de la Rote Fabrik : les gens ont
pris possession de ce lieu, ils s'y sont organisés et c'est
devenu le genre d'endroit où les flics ne rentrent pas. Il
n'y a pas longtemps, le squatt a failli être viré, mais il y
a eu des manifs et le pouvoir a du reculer. Ca m'avait
vachement surpris qu'il y ait ce type de lieu en Suisse
parce que ça ne correspond pas à l'image qu'on a de ce pays.
Tu ne t'attends pas à voir des punks et des squatts. Même à
Genève, il y a un endroit qui s'appelle l'Ilot 13, ce sont
2-3 immeubles qui sont squattés. C'est très sympa. Il y a
pas mal de squatts en Hollande, Allemagne, Suisse. En Italie,
on ne les a pas vu parce qu'on a fait des dates dans le Sud,
alors que les squatts sont plutôt à Turin. Même à Athènes,
je sais qu'il y avait pas mal de squatts et de punks mais ça
a l'air d'être tombé.
OAF! : Vivez-vous de votre musique ?
C : Non, on ne peut pas vivre que de ça. On touche les Assedic,
j'ai aussi été TUC. Eric et moi on a nos copines qui travaillent,
elles ne nous entretiennent pas directement mais ...
On a tout de même réussi à ne faire que ça. Tu ne peux pas
à la fois faire un groupe et avoir un boulot, ou alors un
boulot cool où tu peux travailler quand tu veux. Il faut être
discipliné pour tourner. On ne peut pas se permettre de
refuser une tournée parce qu'il y en a un qui travaille.
Je ne me plaindrains pas de pas avoir beaucoup de fric,
parce que je ne tiens pas spécialement à travailler, c'est
aussi pour ça que je fais du rock.
OAF! : Vous continuez toujours sur la même ligne, sur les
mêmes idées ?
C : Oui je pense. Si tu veux "Still hangry" on l'a écrit avec
un "a", et sur le recto de la pochette on l'a écrit "hungry".
Ca résume assez bien pourquoi on fait du rock : on a toujours
faim, dans le sens qu'on n'a pas envie de vivre comme des cons,
de vivre d'une façon normale. On veut bouger, voir des gens.
Et puis aussi, on est toujours en colère à cause de ce qu'on
voit.
Dans la structure musicale on est contre ce qui est établi :
l'ordre, la discipline ... Quand tu vois le nombre de gens que
le rock touche en Europe, une jeunesse marginale, c'est dans
l'essence de la musique. Ca a commencé par Elvis Presley. Ce
qu'il dégageait dans les années 50, c'est la même chose que
les Sex Pistols dégageaient en 77, même si ce n'était pas le
même discours.
OAF! : Et ce label, Black & Noir ?
E : Ce n'est pas le label des Thugs, c'est le label que j'ai
monté avec Stéphane qui tient le magasin Black & Noir avec moi
et nos copines respectives. On est 4 à s'en occuper. Il est
évident que si la première signature du label c'était les
Cateran, c'était pas un hasard (*).
propos recueillis par :
au Havre : Annie Claude et Nathalie
à Bordeaux : Fernando.
(*) voir interview de Stéphane dans ce même numéro.
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