John Carpenter était
responsable de la rubrique musique du Los Angeles Free Press, un hebdomadaire
"underground" distribué
dans le sud de la Californie. Comme Jim, c'était un grand buveur.
L'entretien s'est déroulé
en une seule journée.
Il commence au petit déjeuner, arrosé de Bloody Mary, et
se termine en fin de soirée au
Phone Booth, le bar
topless préféré de Jim.John remit sa trancription
de la bande enregistrée à Jim pour
approbation. Jim y ajouta
quelques éclaircissements, et Pamela raya au stylo bleu des centaines
de paragraphes où
elles pensait que Jim
se ridiculisait.L'interview a survécu à ses corrections,
et révèle la solide joie de vivre de Jim.
Comment est née la pochette de Strange Days ?
Jim Morrison : Je détestais la pochette
du premier album. Alors, j'ai dit : "Je ne veux pas être sur cette
pochette.
Où est ce truc
? Mettons une jolie minette, je ne sais pas. Mettons un pissenlit ou un
dessin. Le titre, Strange Days,
nous est venu et tout
le monde a dit ouais, parce que nous en étions là, c'était
ce qui arrivait. Cela collait si
parfaitement.Au début,
je voulais qu'on nous voie dans une pièce, entourés d'une
trentaines de chiens, mais c'était
impossible, parce qu'on
ne savait pas où dénicher tous ces chiens et tout le monde
disait : " Des chiens, pourquoi
veux-tu des chiens ?
" J'ai répondu que c'était symbolique, que cela donnait une
image parfaite de Dieu. [Rires.]
Finalement, on a laissé
tomber, et le directeur artistique et le photographe s'en sont occupés.
Mais on voulait
quelque chose d'exceptionnel,
et on l'a trouvé avec cette espèce de foire ambulante. Ca
avait quelque chose
d'européen. C'était
mieux que d'avoir nos putains de visages sur la pochette.
Quelle place ont les albums pour toi en tant que formes artistiques ?
Jim
Morrison : Je crois qu'ils ont remplacé
les livres. Vraiment. Les livres et les films. Un film, tu le vois une
fois ou
deux, et peut-être
une fois encore à la télévision. Mais un putain d'album,
mec, ça a plus d'influence qu'aucune autre
forme d'art. Tout le
monde en a. Tu peux avoir une quarantaine d'albums chez toi et les écouter
cinquante fois,
comme ceux des Stones
ou de Dylan. On n'écoute plus beaucoup les Beatles, mais il y a
pourtant certains albums
qu'on se repasse sans
arrêt. Tu mesures tes progrès mentalement par rapport à
tes disques, comme quand tu étais
jeune, tu écoutais
Harry Belafonte, tu sais, Calypso, Fats Domino, Elvis Presley.
Les Doors ne travaillent plus que pendant les week-ends maintenant, non?
Jim
Morrison : Non, pas vraiment. Je crois qu'on
travaille beaucoup. Plus qu'on ne le pense généralement.
Après le
[Hollywood] Bowl, par
exemple, on va au Texas, puis à Vancouver, à Seattle, et
nous faison un saut sur la côte Est,
Montréal, et
j'en passe. On s'arrête trois semaines en août pour le film,
et puis on va en Europe. Mec, on travaille
comme des dingues !
Est-ce que tu continues de lire autant qu'avant ?
Jim Morrison : Non, pas autant que j'en avait
l'habitude. Je ne suis pas un écrivain très prolifique non
plus. Comme
quand, il y a de cela
quelque temps, je vivais dans cet immeuble de bureaux abandonné,
dormant sur le toit, tu
connais l'histoire.
[Rires.] Brusquement, je me suis mis à jeter tous mes carnets, tout
ceux que je conservais depuis
le lycée, et
je repense parfois à toutes ces chansons. Quelque chose sur la lune,
enfin je ne sais plus. Eh bien, il fallait
que je couche les mots
sur le papier aussi vite que je le pouvais de façon à ne
pas perdre la mélodie. Tu sais,
beaucoup de gens ne
le savent pas, mais j'ai écrit de nombreuses mélodies aussi,
et plus tard, tout ce qui restait,
c'étaient les
mots, et une vague idée. A cette époque-là, quand
j'entendais une chanson, je voyais un spectacle
entier. Il y avait tout,
tu vois, le public, le groupe, et le chanteur. Tout. C'était comme
une anticipation du futur. Tout
était déjà
là.
Comment t'es venue l'idée de la fin de The End ? Est-ce que l'histoire du Whiskey a Go-Go est vraie ?
Jim
Morrison : J'avais cette formule magique,
c'était comme d'entrer dans son subconscient. J'étais étaendu
là et je
répétais
: " Baise la mère. Tue le père. Baise la mère. Tue
le père." Tu finis vraiment par entrer dans ta tête en
répétant
sans cesse cette formule. Simplement en répétant ce truc...Ce
mantra ne perd jamais son sens. Il est trop
fondamental, jamais
tu ne reviens aux mots eux-mêmes, parce qu'aussi longtemps que tu
les prononces, tu restes
conscient. Tout est
là. Le public du Whiskey a été vraiment choqué
quand tu as dit ça. As-tu jamais eu
l'impression de faire
partie du public comme pour la première fois où tu est descendu
dans la salle et que
tu as été
bousculé et tout ça ?
Jim
Morrison : Je ne sentais pas les choses de
cette façon. Je crois que le jour où cela arrivera, tout
sera fini. La fin.
Où irais-tu à
partir de là ? Si tout le monde, ne serait-ce qu'une seconde, formait
un tout unique. Non, je ne crois
pas que cela puisse
jamais arriver, pas comme je vois les choses. Les gens qui assistent à
mes concerts...ça leurs fait
quelque chose généralement.
C'est comme de dire d'abord que tu es le public et que nous, nous sommes
là-haut,
toi, tu es en bas. Puis,
tout d'un coup, te voilà, et tu est là tout comme nous..."Tu
es comme nous" : quand ils ont ce
sentiment, toutes les
barrières tombent et c'est une chose que j'aime.
J'ai des amis anglais,
et je connais aussi quelques groupes anglais, qui m'ont dit que vous croiserez
pas
mal de gens hostiles
sur votre chemin quand vous irez là-bas. Tu sais, en tant que groupe
américain
supersexy et tout ça.
Jim
Morrison : Ah ouais ?...Hummm, comme ça
il y aura des gens hostiles, hein ? C'est une prédiction
encourageante, ouais,
un avant-goût du futur. Il y aura des gens hostiles, mais s'il n'y
en avait pas, je serais un peux
déçu.
Plus les gens sont hostiles, mieux c'est. [Rires.] L'opposé, c'est
l'amitié vraie, ah !
[On frappe à la porte. C'est la femme de chambre.]
Jim Morrison : Entrez. On allait mettre les voiles de toutes façon.
La femme de chambre : Je suis prête... je sais que vous aimer avoir un lit propre.
[Elle quitte la chambre pour aller chercher ses produits d'entretiens.]
Jim
Morrison : Je savais que ce serait bon, mais
pas aussi bon. Tirons-nous quand elle aura dit ce qu'elle a à
dire.[Rires.]
La femme de chambre : C'est quand vous voudrez.
Jim Morrison : Je suis venu ici pour avoir un peux de calme et de tranquilité et tout le monde me colle au train.
La femme de chambre :
Est-ce que c'est bien vrai ? [Rires.] On n'en sort pas , n'est-ce pas ?
Eh bien, c'est quand
vous voudrez maintenant.
[Elle se met à fredonner.]
Jim Morrison : S'il vous plaît, pas de chansons, on est en vacances. Je suis en vacances.
[Dans l'ascenseur.]
Où habitais-tu l'année dernière ?
Jim
Morrison : L'année dernière
? Au Tropicana. Ouais, je revois encore toute la scène. On a pris
du bon temps
là-bas. Ouais,
c'était bruyant. Ils [le groupe] étaient là, des types
bien.
[Dans la rue, sur le chemin du bureau des Doors. De sunset à Santa Monica à pied.]
Jim Morrison : Hé, mec, je me sens vraiment bien.
Votre album était
prêt et toi et les autres êtes retourné en studio pour
y ajouter des choses, puis on m'a
dit que vous aviez laissé
tomber.
Jim Morrison : Ouais, on ne l'a pas fait. Au début, je voulais