Publié dans le LOS ANGELES FREE PRESS, été 1968
Entrevue réalisée par John Carpenter

     John Carpenter était responsable de la rubrique musique du Los Angeles Free Press, un hebdomadaire
     "underground" distribué dans le sud de la Californie. Comme Jim, c'était un grand buveur. L'entretien s'est déroulé
     en une seule journée. Il commence au petit déjeuner, arrosé de Bloody Mary, et se termine en fin de soirée au
     Phone Booth, le bar topless préféré de Jim.John remit sa trancription de la bande enregistrée à Jim pour
     approbation. Jim y ajouta quelques éclaircissements, et Pamela raya au stylo bleu des centaines de paragraphes où
     elles pensait que Jim se ridiculisait.L'interview a survécu à ses corrections, et révèle la solide joie de vivre de Jim.

     Comment est née la pochette de Strange Days ?

     Jim Morrison : Je détestais la pochette du premier album. Alors, j'ai dit : "Je ne veux pas être sur cette pochette.
     Où est ce truc ? Mettons une jolie minette, je ne sais pas. Mettons un pissenlit ou un dessin. Le titre, Strange Days,
     nous est venu et tout le monde a dit ouais, parce que nous en étions là, c'était ce qui arrivait. Cela collait si
     parfaitement.Au début, je voulais qu'on nous voie dans une pièce, entourés d'une trentaines de chiens, mais c'était
     impossible, parce qu'on ne savait pas où dénicher tous ces chiens et tout le monde disait : " Des chiens, pourquoi
     veux-tu des chiens ? " J'ai répondu que c'était symbolique, que cela donnait une image parfaite de Dieu. [Rires.]
     Finalement, on a laissé tomber, et le directeur artistique et le photographe s'en sont occupés. Mais on voulait
     quelque chose d'exceptionnel, et on l'a trouvé avec cette espèce de foire ambulante. Ca avait quelque chose
     d'européen. C'était mieux que d'avoir nos putains de visages sur la pochette.

     Quelle place ont les albums pour toi en tant que formes artistiques ?

     Jim Morrison : Je crois qu'ils ont remplacé les livres. Vraiment. Les livres et les films. Un film, tu le vois une fois ou
     deux, et peut-être une fois encore à la télévision. Mais un putain d'album, mec, ça a plus d'influence qu'aucune autre
     forme d'art. Tout le monde en a. Tu peux avoir une quarantaine d'albums chez toi et les écouter cinquante fois,
     comme ceux des Stones ou de Dylan. On n'écoute plus beaucoup les Beatles, mais il y a pourtant certains albums
     qu'on se repasse sans arrêt. Tu mesures tes progrès mentalement par rapport à tes disques, comme quand tu étais
     jeune, tu écoutais Harry Belafonte, tu sais, Calypso, Fats Domino, Elvis Presley.

     Les Doors ne travaillent plus que pendant les week-ends maintenant, non?

     Jim Morrison : Non, pas vraiment. Je crois qu'on travaille beaucoup. Plus qu'on ne le pense généralement. Après le
     [Hollywood] Bowl, par exemple, on va au Texas, puis à Vancouver, à Seattle, et nous faison un saut sur la côte Est,
     Montréal, et j'en passe. On s'arrête trois semaines en août pour le film, et puis on va en Europe. Mec, on travaille
     comme des dingues !

     Est-ce que tu continues de lire autant qu'avant ?

     Jim Morrison : Non, pas autant que j'en avait l'habitude. Je ne suis pas un écrivain très prolifique non plus. Comme
     quand, il y a de cela quelque temps, je vivais dans cet immeuble de bureaux abandonné, dormant sur le toit, tu
     connais l'histoire. [Rires.] Brusquement, je me suis mis à jeter tous mes carnets, tout ceux que je conservais depuis
     le lycée, et je repense parfois à toutes ces chansons. Quelque chose sur la lune, enfin je ne sais plus. Eh bien, il fallait
     que je couche les mots sur le papier aussi vite que je le pouvais de façon à ne pas perdre la mélodie. Tu sais,
     beaucoup de gens ne le savent pas, mais j'ai écrit de nombreuses mélodies aussi, et plus tard, tout ce qui restait,
     c'étaient les mots, et une vague idée. A cette époque-là, quand j'entendais une chanson, je voyais un spectacle
     entier. Il y avait tout, tu vois, le public, le groupe, et le chanteur. Tout. C'était comme une anticipation du futur. Tout
     était déjà là.

     Comment t'es venue l'idée de la fin de The End ? Est-ce que l'histoire du Whiskey a Go-Go est vraie ?

     Jim Morrison : J'avais cette formule magique, c'était comme d'entrer dans son subconscient. J'étais étaendu là et je
     répétais : " Baise la mère. Tue le père. Baise la mère. Tue le père." Tu finis vraiment par entrer dans ta tête en
     répétant sans cesse cette formule. Simplement en répétant ce truc...Ce mantra ne perd jamais son sens. Il est trop
     fondamental, jamais tu ne reviens aux mots eux-mêmes, parce qu'aussi longtemps que tu les prononces, tu restes
     conscient. Tout est là. Le public du Whiskey a été vraiment choqué quand tu as dit ça. As-tu jamais eu
     l'impression de faire partie du public comme pour la première fois où tu est descendu dans la salle et que
     tu as été bousculé et tout ça ?

     Jim Morrison : Je ne sentais pas les choses de cette façon. Je crois que le jour où cela arrivera, tout sera fini. La fin.
     Où irais-tu à partir de là ? Si tout le monde, ne serait-ce qu'une seconde, formait un tout unique. Non, je ne crois
     pas que cela puisse jamais arriver, pas comme je vois les choses. Les gens qui assistent à mes concerts...ça leurs fait
     quelque chose généralement. C'est comme de dire d'abord que tu es le public et que nous, nous sommes là-haut,
     toi, tu es en bas. Puis, tout d'un coup, te voilà, et tu est là tout comme nous..."Tu es comme nous" : quand ils ont ce
     sentiment, toutes les barrières tombent et c'est une chose que j'aime.

     J'ai des amis anglais, et je connais aussi quelques groupes anglais, qui m'ont dit que vous croiserez pas
     mal de gens hostiles sur votre chemin quand vous irez là-bas. Tu sais, en tant que groupe américain
     supersexy et tout ça.

     Jim Morrison : Ah ouais ?...Hummm, comme ça il y aura des gens hostiles, hein ? C'est une prédiction
     encourageante, ouais, un avant-goût du futur. Il y aura des gens hostiles, mais s'il n'y en avait pas, je serais un peux
     déçu. Plus les gens sont hostiles, mieux c'est. [Rires.] L'opposé, c'est l'amitié vraie, ah !

     [On frappe à la porte. C'est la femme de chambre.]

     Jim Morrison : Entrez. On allait mettre les voiles de toutes façon.

     La femme de chambre : Je suis prête... je sais que vous aimer avoir un lit propre.

     [Elle quitte la chambre pour aller chercher ses produits d'entretiens.]

     Jim Morrison : Je savais que ce serait bon, mais pas aussi bon. Tirons-nous quand elle aura dit ce qu'elle a à
     dire.[Rires.]

     La femme de chambre : C'est quand vous voudrez.

     Jim Morrison : Je suis venu ici pour avoir un peux de calme et de tranquilité et tout le monde me colle au train.

     La femme de chambre : Est-ce que c'est bien vrai ? [Rires.] On n'en sort pas , n'est-ce pas ? Eh bien, c'est quand
     vous voudrez maintenant.

     [Elle se met à fredonner.]

     Jim Morrison : S'il vous plaît, pas de chansons, on est en vacances. Je suis en vacances.

     [Dans l'ascenseur.]

     Où habitais-tu l'année dernière ?

     Jim Morrison : L'année dernière ? Au Tropicana. Ouais, je revois encore toute la scène. On a pris du bon temps
     là-bas. Ouais, c'était bruyant. Ils [le groupe] étaient là, des types bien.

     [Dans la rue, sur le chemin du bureau des Doors. De sunset à Santa Monica à pied.]

     Jim Morrison : Hé, mec, je me sens vraiment bien.

     Votre album était prêt et toi et les autres êtes retourné en studio pour y ajouter des choses, puis on m'a
     dit que vous aviez laissé tomber.

     Jim Morrison : Ouais, on ne l'a pas fait. Au début, je voulais