Prière à Dieu : Commentaire

 

 

  1. Une prière à Dieu

 

Le titre d’abord, puis la forme adoptée font que le texte se présente comme une invocation suppliante adressée à Dieu :

L’interpellation à la deuxième personne " c’est à toi ",

L’utilisation de l’impératif et de formules soulignant la soumission, la supplication " s’il est permis " ; " daigne "

L’insistance sur les attributs et les qualités de Dieu " Dieu de tous les êtres, de tous les temps ", la puissance, l’éternité, la connaissance totale. La puissance divine est mise en relief par l’insistance sur la faiblesse humaine : champs lexical de la fragilité et du néant humain " faibles créatures ", " débiles corps ", " langage insuffisant ", " usages ridicules ".

Une constante demande d’aide " oser te demander " ce qui est demandé est présenté comme bénéfique à l’humanité entière (compréhension, fraternité)

Un ton solennel, la prière est conduite selon les règles de l’éloquence oratoire. On peut noter l’amplitude du rythme à trois temps (groupe ternaire).

 

Ä La prière est nettement caractérisée : on y retrouve tout ce qui fait la spécificité d’un texte oratoire dans lequel un croyant s’adresse à Dieu.

 

ò Pourtant, on peut remarquer que peu à peu, Voltaire semble surtout s’adresser aux hommes pour faire appel à leur sens de la fraternité et à leur capacité propre.

 

II. Une Prière en réalité adressée aux hommes

 

C’est la responsabilité des hommes qui se trouve peu à peu mise en cause et tout se passe comme si Voltaire s’adressait en réalité à eux et à leurs sens de la responsabilité et de la fraternité :

On note des formulations ambiguës : à partir d’un verbe à l’impératif " fais ", la succession de demandes énoncées et leur caractère répétitif font progressivement oublier le verbe qui sert de point de départ. De cette façon, des expressions comme " que les petites différences ; que toutes les petites nuances ; que ceux qui [...] ; que ceux dont [...] " peuvent être perçues comme s’adressant directement aux hommes.

L’insistance sur des comportements inacceptables, criminels, et destructeurs appartenant spécifiquement aux hommes. On observe tout un champs lexical du fanatisme et de la violence : " erreur ", " calamité ", " haïr ", " égorger ", " haine et persécution ", " déteste ", " tyrannie ", " brigandage ".

La prière évolue progressivement vers une interpellation adressée aux hommes par étapes. Ainsi le dernier paragraphe commence par un souhait qui les met en cause directement (utilisation de la troisième personne du pluriel). " Puissent tous les hommes se souvenir ", " qu’ils aient en horreur ".

Enfin, l’utilisation de la première personne du pluriel " ne nous haïssons pas, employons " constitue la dernière exhortation qui s’adresse aux hommes et englobe en même temps Voltaire lui-même.

Ä La demande d’aide adressée initialement à Dieu s’est peu à peu transformée en exhortation adressée aux hommes : Voltaire les supplie de dépasser dissensions et leurs conflits tous nés de la religion. Cette "mise à l’écart" de Dieu, pourtant omniprésent dans le texte, est restée tout à fait significative.

 

ò Dépassant les clivages religieux, Voltaire ne s’adresse pas spécifiquement au Dieu des Chrétiens mais à une divinité qui illustre la forme de déisme à laquelle il croit.

 

III. Un Manifeste déiste

 

Dans le chapitre XVIII de Candide par la voix d’un sage vieillard (celui de l’Eldorado), Voltaire énonçait déjà ce qui lui paraissait essentiel sur le plan religieux. On retrouve ces mêmes idées dans La Prière à Dieu : une divinité indéterminée, le refus de la multiplicité des rites, une correspondance établie entre le sentiment religieux, la morale, et le comportement social.

Une divinité indéterminée, insistance sur certaines caractéristiques qui ne font pas de ce Dieu celui d’une religion particulière " de tous les êtres, de tous les temps ". Cette indétermination se révèle aussi dans les attributs accordés à Dieu : Ce sont ceux de toute religion (grandeur, majesté, éternité, puissance, connaissance, compréhension) et dans l’insistance sur la faiblesse humaine qui s’inscrit dans toutes les croyances.

Une prière qui souligne les limites même de la prière : de façon un peu paradoxale en utilisant la forme de la prière, Voltaire souligne qu’elle ne peut guère être efficace sur le plan religieux puisqu’il présente les décrets de Dieu comme " immuables ".

La condamnation de la multiplicité des rites : de la même façon que la prière est présentée comme un mode peu efficace, les différents rituels dans leur diversité sont cités comme des sources d’incompréhension et de haine. Le terme " différences " est développé par une énumération (" vêtements ", " langage ", " usage ", " lois ", " opinions "). Les différentes pratiques sont aussi évoquées (culte célébré à l’intérieur ou à l’extérieur, variété des vêtements sacerdotaux, utilisation du latin ou de le langue du pays) ainsi que l’existence de l’assemblée ecclésiastique (ceux qui s’habillent en rouge et les autres). Voltaire passe ainsi en revue toutes les diversités qui sont susceptibles d’engager la haine. Toutes ces pratiques sont associés à la division et à l’intolérance.

L’exigence de la compréhension : il est nettement mis en évidence que la compréhension et la fraternité ne se situent pas sur un plan strictement religieux mais sur un plan social. La fin du texte établit un parallèle significatif entre le rejet de l’intolérance religieuse et le refus du brigandage. Le rapprochement entre les deux met en lumière la nécessité d’une fraternité et d’une tolérance sur tous les plans.

 

 

Conclusion

 

Il est en effet étonnant que le philosophe qui a toujours affirmé son horreur des rites et des manifestations extérieures de piété utilise un mode d’expression qu’il réprouve. Mais la lecture de cette prière montre qu’en réalité, c’est aux hommes que s’adresse Voltaire.

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