Il s'agit d'un ouvrage érudit tentant d'intégrer l'environnement culturel et politique du bouddha historique dans l'Inde du nord d'il y a 26 siècles. Il s'agit d'un ouvrage récent, faisant référence aux dernières découvertes et aux travaux des chercheurs depuis ces 40 dernières années par un auteur ayant écrit de nombreux ouvrages sur l'Asie.
Tâche bien difficile que d'essayer de restituer les caractéristiques fondamentales d'une société dont on ne dispose d'aucune donnée écrite, sinon quelques citations dans des ouvrages connexes ou quelques vestiges archéologiques qui ne disent pas tout de l'histoire. Malheureusement, on peut ne pas nécessairement suivre les interprétations apportées par l'auteur, notamment sur les motivations de tel ou tel groupe social ou sur les supposées arrières pensés des plus humbles. De plus, on comprend mal ce qui pousse un membre de la caste des guerriers à négliger les croyances brahmaniques naissances au profit d'une exigence spirituelle fondamentalement différente et nouvelle (même si les historiens ont décelé une plus forte influence du mouvement sankhya ou sâmkhya), par rapport à tout ce qui existait à cette époque et dont on ne peut pas dire que les Shakya en étaient complètement coupés. Ces interprétations sont possibles, mais pour ma part, je n'en suis pas personnellement convaincu.
De la même manière, il y a tout un ensemble de présupposés se rapportant aux sentiments et aux pensées des différents groupes sociaux auxquels je ne souscris pas. Comment considérer en effet, que les simples paysans seraient toujours plus portés au fantastique que les autres. Il y a là une vision finalement très occidentale où l'émotion, l'intuition, la créativité poétique seraient nécessairement inaccessibles aux classes les plus basses ou ne seraient que des catégories sans valeur dans l'ordre de l'expression et de l'appréciation d'une vision du monde.
L'auteur fait sans cesse un va et viens entre la description de la vie d'un prince bien conforme à ce que l'on peut imaginer de la vie d'un héritier d'une famille régnante (à la limite quelle que soit son époque) et la légende. On nous dit, par exemple, que les jeunes princes devaient arbitrer des conflits civils, devaient surveiller l'engrangement des récoltes, etc. Cela implique d'être en contact avec la population. Certes, comme le dit l'auteur, on a du mal à imaginer que le jeune prince Siddharta n'ait pas déjà aperçu les signes de la vieillesse et de la maladie à ces occasions. A l'inverse, on sait que l'amour d'un père, ou la nécessité de préserver des personnages de la trop dure réalité à pu conduire les courtisans aux plus folles extravagances (on dressait par exemple des décors fleuris tout au long du parcours de l'impératrice Catherine de Russie pour lui faire croire à la prospérité de son pays, on plantait des jardins luxuriants au cur des déserts pour donner l'illusion de la vie là où elle était matériellement impossible, etc
). N'est-ce pas le propre de toute cour royale que de construire les plus incroyables décors d'une réalité improbable ? N'est pas le propre de toute création artistique aussi
?
Dans cet ouvrage, on nous dit qu'on a du mal à croire qu'il soit possible d'empêcher un prince de sortir de son palais, mais n'avons nous pas, avec la cité interdite de Pékin, l'exemple d'un palais où la plupart des personnes extérieures ne pouvaient rentrer et que l'empereur lui-même ne pouvait quitter qu'en de très rares exceptions ?
Mais pour en revenir au texte original du récit de la vie du bouddha, si la forme qui s'est dessinée au fil des siècles, c'est justement la légende, ce n'est, à mon avis, pas par hasard. La légende tout comme les organisations architecturales, l'édification de stupa et de temples aux toitures dorées agrémentées de clochettes qui tintinnabulent à la moindre brise, tout cela c'est aussi une certaine manière de dire, de décrire, d'informer, de renseigner, de séduire. Cette fameuse prison, cette fameuse interdiction de quitter son palais, ne nous est-elle pas finalement si proche et si intime. Vis-à-vis de la maladie, du vieillissement et de la mort, ne considérons nous pas toujours que nous en sommes éloignés. Pendant toute notre jeunesse, n'avons nous pas longtemps considérer que ces maux ne nous toucheraient jamais. Combien de personnes ne s'exclament-elles pas " je me sens jeune, mais quand je me regarde dans le miroir, je vois un visage tout plissé " ? Est-ce que les murs que notre imaginaire dresse pour nous protéger et nous préserver ne sont pas plus efficaces que les murailles de pierre et les porte de bronze ?
L'auteur présente l'environnement spirituel du jeune Siddharta comme uniforme et tout tracé. Il semble au contraire que rien n'a jamais été plus ouvert que cet environnement et que si je le jeune Siddharta a pu élaborer son propre cheminement, comme d'autres dont les interprétations n'ont pas connu le même succès, c'est justement parce que rien n'est tout tracé en matière spirituelle en Inde. Cette exigence, dont Siddharta n'est pas le seul exemple, se poursuivra aussi une fois qu'il aura quitté son palais, le jeune prince suivra les enseignements de différents maîtres sans en être complètement satisfait.
A force de décortiquer, de découper, de séparer le caractère mythologique, dont on sait bien qu'il est postérieur à l'époque historique du bouddha, on arrive à un personnage sans couleur, sans épaisseur, sans consistance. A force de simplification, l'auteur ne sait pas nous convaincre que ses options, ses descriptions se rapportent au bouddha historique plutôt qu'à un autre enfant de n'importe quelle famille noble de n'importe quel clan.
Je m'interroge sur ce travail tout au long de sa lecture. Voilà, une histoire, peut être la seule, que les auteurs se sont appropriés aux cours du temps, justement parce que c'est la seule qui ne requiert pas une pertinence philosophique. Voilà une histoire qui pendant des centaines d'années a été enjolivée, enrichie, enluminée en vue de magnifier la légende du bouddha historique à mesure que le souvenir de sa vie réelle s'estompait. Pourquoi, après toutes ces décennies, après tous ces ajouts, ces incrustations magnifiques, pourquoi se livrer à un vain travail de nettoyage ? Il n'est pas question, comme en archéologie, d'enlever les couches successives de peintures pour arriver à je ne sais quel élément original et premier. Par rapport à cette légende, que nous importe que tel ou tel fait soit réel ou inventé, possible ou simplement plausible, véridique ou authentique ? Si on enlève à ce récit tous ses éléments mythiques et que l'on mette à la place une série d'explications bien terre à terre, n'est-ce pas l'essence même de ce récit qu'on réduit à néant ? Ne se trouve-t-on pas alors comme devant une arrête de poisson débarrassé de toutes ses peaux, de ses yeux, de ses joues, de ses nageoires, de ses chairs
il ne reste plus rien à manger.
J'avais été dérangé dans un ouvrage récent, par la mise en avant un peu systématique d'un ensemble de miracles que la légende dans sa version ésotérique, prête complaisamment au bouddha (voir de Jean BOISSELIER, La Sagesse du Bouddha). Je trouvais que ces aspects, certes intéressants du point de vue du récit et du sens que les auteurs avaient voulu surajouter, nécessitaient à la fois plus d'explications et d'être contrebalancés par les éléments plus poétiques du récit. Ici, je suis très gêné par cet appauvrissement, cet assèchement de la légende au profit d'un récit dont beaucoup d'éléments sont franchement hypothétiques.
Si on veut connaître le récit de la légende du bouddha, il n'y a qu'un seul livre à mon avis, c'est l'original, c'est le Lalitâvistara, traduit par M. Pauthier et G. Brunet. Là, la légende est présente avec ses exagérations tonitruantes, ses excès d'enluminures, ses accomplissements extravagants ou abracadabrants, mais aussi ses petites touches humaines, ses moments de pure poésie, ses dialogues émouvants, ses répliques simples et touchantes.
Si on veut rester dans la légende, rester dans le récit doré d'une vie mythique, il n'y a qu'un seul livre, c'est le superbe ouvrage d'Edwin ARNOLD, Lumière de l'Asie. Si on veut rester dans la dimension romanesque et poétique, il y a le récit d'un jeune Siddharta, jeune homme d'une famille du nord de l'Inde, dont l'auteur ne dit rien d'autre (voir d'Herman HESSE, Siddharta). Peut-être pourra-t-on même considérer quelques pages fulgurantes dans les Antimémoires d'André MALRAUX, comme exemplaires sur une certaine perception de la spécificité du bouddha historique.
Les textes présentés sont trop brefs, ce qui ne favorise pas la compréhension du sens, ni la mesure de la spécificité bouddhiste. En outre, ces extraits ne sont pas nouveaux et se rencontrent dans de déjà nombreuses publications. Il me semble que l'ouvrage dans lequel les extraits de sutta sont présentés avec suffisamment d'ampleur pour en cerner toute la signification est le superbe livre de Walpola RAHULA, L'Enseignement du Bouddha d'après les textes les plus anciens.
Par ailleurs, je ne comprends pas non plus l'obstination maladive qu'ont certains auteurs à établir des parallèles et à tenter de voir des similitudes entre des histoires et des traditions qui n'ont strictement rien à voir en commun. Aux reprises de récit, aux interprétations, aux données extérieures provenant d'études et de recherches, l'auteur mêle ses commentaires et se risque à des comparaisons données à titre subjectif et purement personnel. On s'attendait plutôt à une stricte relation du texte légendaire. Finalement, on ne sait plus vraiment où l'auteur veut en venir. Ces comparaisons n'apportent strictement rien au sujet traité par ces auteurs, bien au contraire, je trouve que cela jette un ombre sur le sens général donné à ces études.
Dans le même ordre d'idée, certains choix terminologies et de nombreuses tournures laissent perplexes, surtout de la part d'un auteur que l'on présente comme un spécialiste de l'Asie. On peut ressentir sur ces questions un certain passéisme, comme si l'ouvrage renvoyait d'avantage à des écrits d'un autre temps.
Quand on est bouddhiste, on peut se demander si l'auteur est bouddhiste lui-même. Au vu de cet ouvrage, il ne semble pas que ce soit le cas. Une fois de plus, on nous présente avec toute l'autorité de l'expertise d'un auteur spécialisé sur l'Extrême-Orient, un ouvrage important sur la vie du bouddha historique, par un auteur dont les convictions intimes sont vraisemblablement étrangères au sujet qu'il traite.
Les citations bibliographiques sont intéressantes pour toute personne qui souhaite approfondir sa connaissance des origines du bouddhisme.
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