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 Bouddhisme et homosexualité

question 62




Bouddhisme et homosexualité

Ce matin j'ai lu un article sur Dalai Lama qui disait que le bouddhisme était contre l'homosexualité et la masturbation. Je reste embarrassé et n'arrive pas à savoir ce que pensent les bouddhistes. Est-ce que votre article représente votre pensée, la pensée des théravadins seulement ou la pensée du bouddhisme général.

La réponse ci-après comprend plusieurs sous-niveaux qui sont détaillées en gras en tête de chaque paragraphes.



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Réponse :

Vous faites référence à cet article que j'avais rédigé, il y a quelque temps suite à une précédente quetion sur ce même sujet et qui s'intitule "Qu'est-ce que les bouddhistes pensent de l'homosexualité ?"(Cf. question n°6)

Il me semble que ce manque de clarté sur le fait de savoir si le bouddhisme se prononce pour ou contre l'homosexualité affecte tout autant le courant bouddhique, que la ou les sociétés en général. Il me semble que, que ce soit dans les milieux professionnels, culturels, associatifs, bref dans la société elle-même, on rencontre toujours, et ce quel que soit le milieu social ou la classe d'âge, des avis extrêmement contrastés et opposés sur cette question. Certains qui se disent ouverts, ou qui adhèrent à la mode du copinage avec des gays, ne manquent pas, dans leur dos, de les railler et de montrer combien ils sont étrangers à cela. D'autres qui sont gays, participent à cette distanciation par peur de l'isolement dans les milieux professionnels où ils évoluent, qui, quoi qu'on en dise, restent dans leur grande majorité complètement froids à l'égard de l'homosexualité. Il y a sans doute un fossé irréductible qui sépare les gays des hétéros, et il me semble qu'il serait préférable que les uns et les autres ne l'oublient jamais, malgré la tendance à plus de tolérance et à un abandon d'un modèle de sexualité idéal (il reste toutefois possible de considérer que cet abandon soit de courte durée tant la volonté d'affirmer les valeurs d'un homme viril et d'une femme féminine qui l'un et l'autre procréent, est puissante dans nos sociétés, quelles que soient les idéologies sur lesquelles elle s'appuie). Ces affirmations n'ont pas seulement une valeur idéologique ou théorique pour certains, mais aussi une valeur fortement psychologique pour le plus grand nombre. C'est comme cela qu'un personnage à priori sympathique comme Jean Marie Bigard, a déclaré qu'il lui paraissait invraisemblable que des gays adoptent des enfants au motif qu'ils ne seraient pas capables de leur inculquer les valeurs la virilité et de la féminité. Ainsi, selon moi, l'homophobie quelle que soit son intensité est très profondément enracinée dans les mécanismes intellectuels et comportementaux. Vous voyez ici, que le bouddhisme n'est pas spécifiquement en question mais que ce sont plutôt les individualités qui éventuellement introduisent cette dimension dans la philosophie bouddhique.

Quand on voit avec quelle virulence certains courants religieux, condamnent l'homosexualité (à côté d'autres aspects du comportement individuel), quand on se souvient qu'il y a quelques années à peine un jeune homme a été assassiné avec une rare sauvagerie par ses camarades de collège (il est vrai que c'était aux Etats Unis) pour le simple motif qu'il était gay, quand on entend s'exprimer sur ce sujet les politiciens français (toutes tendances confondues, il faut le souligner) à l'occasion de la première présentation du projet de loi sur le PACS, on se dit que l'absence de toute indication du bouddhisme sur ce sujet est en soi une réponse. Le bouddhisme n'en parle pas par ce qu'il n'y a rien a en dire.

Pour ma part, j'essaye toujours de lire un maximum d'ouvrages sur le bouddhisme que ce soit en français ou en anglais, quand je trouve une mention homophobe, celle–ci pouvant provenir d'un laïc ou d'un bonze, je me dis que celui-là ne sert pas le bouddhisme et qu'il n'a certainement rien compris. Cela vous démontre simplement que ce fossé irréductible n'a pas été surmonté par les personnes qui s'expriment, quel que soit le point de vue à partir duquel ils prennent la parole ou la plume.

Je ne sais pas ce qu'à dit vraiment le dalaï-lama sur cette question. J'ai déjà eu l'occasion de dire que je trouvais que les points de vue du Dalaï Lama sur de nombreuses questions, ne rejoignaient pas mes propres analyses. Je pense ne pas être le seul, je crois avoir lu dans les ouvrages d'Alexandra David-Neel, une opinion assez critique à son égard quand il s'agissait de son prédécesseur.



Sur la déclaration du dalaï-lama

Alors que je rédigeais la réponse à votre question, j'ai reçu l'article parlant de la déclaration du dalaï-lama. J'ai été extrêmement surpris de découvrir ses propos, j'aurai voulu vérifier d'avantage les questions posées, les argumentations et les propositions connexes accompagnant les phrases clefs reprises dans l'article. Rien ne me semble moins bouddhique que cette façon d'avoir un avis sur tous les sujets, que cette façon de donner une sorte de règle de conduite unique valable pour tous, que cette façon de s'immiscer finalement dans l'intimité, dans ce qu'il y a de plus intérieur chez chacun. Je ne comprends pas que de telles personnalités se livrent à ces questions-réponses, qui les conduisent à faire de telles propositions. Ni sur la démarche, ni sur le sens, ni sur le contenu, je ne reconnais la manière de faire propre au bouddhisme. Peut-être, certains sont–ils victimes de la médiatisation et du découpage sémantique occidental, mais le résultat final est extrêmement triste.

Dans sa déclaration, le dalaï-lama développe une position qui ne montre absolument aucune différence avec celle, extrêmement rétrograde et réactionnaire, des chrétiens. Au passage, ces derniers poussent l'hypocrisie au point de condamner d'un côté des comportements individuels, privés, librement partagés et de protéger de l'autre côté, ceux qui dans leurs propres rangs ont des conduites criminelles à l'égard de mineurs. De ce point de vue, la société civile dans son impartialité a montré récemment plus de bon sens que certains donneurs de leçons …

Peut-on reprocher au Dalaï Lama d'être dans une certaine mesure le produit d'une certaine éducation (influencée par les Britanniques) et des valeurs propres à une certaine génération ? Je crois qu'il faut tenir compte de cet aspect des choses. Comme, je l'ai déjà exprimé à plusieurs reprises, il m'a toujours semblé que le dalaï-lama était prisonnier du rôle qu'il tient à jouer dans les sociétés occidentales. Il est prisonnier d'un point de vue politique et diplomatique et n'a pas la même liberté de parole qu'un bonze ou qu'un lama lambda. Il est prisonnier d'un point éthique, il ne peut se mettre en opposition avec la pensée dominante. Je pense très sincèrement que ses propos ne reflètent pas la pensée bouddhique. Avec le temps, il semble que ses déclarations soient plus politiques que philosophiques, mais il me semble qu'il en a toujours été ainsi.

En tout état de cause, quand le dalaï-lama s'exprime, eh bien il ne donne que son opinion et son opinion ne représente que lui-même. Par ces prises de postions sur ces questions, le dalaï-lama démontre une fois de plus que ses positions sont minoritaires par rapport aux différents courants du bouddhisme, et également minoritaires dans les courants du bouddhisme tibétain (car s'il est le chef des tibétains, encore qu'historiquement plusieurs provinces du Tibet avaient manifesté leur défiance à son égard, il n'est pas le chef de tous les bouddhismes du Tibet, ni le chef de toutes les formes de bouddhisme dans le monde, mais seulement une personnalité éminente d'un courant parmi tant d'autres …).

De la part d'une personnalité du bouddhisme, on s'attendrait plutôt à un exposé sur le fonctionnement des sens, sur la compréhension du fonctionnement des sens, sur l'attention au fonctionnement des sens. Cette introduction sur les sens pourrait ensuite ouvrir sur le caractère conditionné des sens, de leurs effets, des sensations qui en résultent, et de la recherche récurrente de ces sensations. Cet ensemble produisant dukkha, non pas parce que le plaisir des sens est bien ou mal à priori, mais parce que tout phénomène est éphémère et transitoire et donc source de désillusion, de dukkha. Il est dommage que cet exposé n'ait été fait en réponse à cette question.

Je voudrai ajouter que cette réponse est surprenante, car comme je l'ai déjà exprimé, je ne connais pas d'instances reconnues au plan bouddhique pour juger et dire ce qui est juste ou ce qui ne l'est pas. Cette réponse montre sans conteste une ignorance totale de la réalité de l'homosexualité, qui ne se choisit pas comme on peut choisir de fumer ou de boire, et qui va bien au-delà de la simple jouissance sexuelle homologique. Je suis aussi surpris de cette réponse car elle témoigne d'un manque de compassion pour le moins étonnant de la part d'une personne que la tradition déclare être un " océan de compassion ". En outre, ces déclarations, dans le contexte où elles sont tenues et sans les adosser une analyse bouddhique de la sensualité, donne des arguments à la pensée homophobe. Enfin, il est regrettable que cette préoccupation envers la pensée dominante, occulte complètement l'analyse bouddhique des sens et de la vacuité, et qu'elle ignore complètement celles et ceux qui aspirent à cette orientation particulière, attendent autre chose qu'une leçon de morale surannée ou qu'une condamnation arbitraire.

Sur un plan plus général et considérant la personnalité qui s'exprime et ce qu'elle représente, je trouve qu'il y a une disproportion formidable entre ce type de déclaration, très argumenté et ouvertement critique à l'égard de l'homosexualité, par rapport à des problèmes du monde qui me paraissent infiniment plus importants et plus graves (je pense par exemple à la dernière campagne d'Amesty International qui révèle que deux pays sur trois, pratique légalement la torture sur les prisonniers dans les procédures policières ou judiciaires. Ceci n'étant qu'un exemple parmi d'autres.)

Ce qui a toujours fait la force du discours bouddhique par rapport à tous les autres, c'est sa capacité à la régénérescence, c'est la possibilité d'être reformulé périodiquement pour être entendu face aux problématiques qui adviennent (tout comme d'ailleurs, il y eut un énorme travail de reformulation quand le bouddhisme est passé d'Inde à l'Asie centrale, au Sud Est Asiatique, à la Chine, en Corée et au Japon … ou en occident).

En tant que bouddhiste, je ne puis que marquer mon désaccord avec ces déclarations.



Le bouddhisme et l'homosexualité

A la lecture des textes, il apparaît qu'il n'est pas habituel que le bouddhisme s'intéresse à des orientations sexuelles en tant que telles ou à des comportements sexuels intimes. Le seul domaine, où le bouddhisme a édicté un certain nombre de règles et a pu aborder ces points particuliers, c'est dans les règles monastiques. Il ne faut pas oublier alors, comme je l'ai déjà indiqué dans l'article, que ces règles sont édictées pour assurer le parfait fonctionnement du sangha (la communauté des bonzes bouddhiques) et non pas pour gérer les rapports sociaux de telle ou telle société laïque. Ces prescriptions particulières se rencontrent uniquement dans le Vinaya (ensemble des règles monastiques) qui sont destinée aux bonzes hommes ou femmes.

Dans ces règles, on trouve bien évidemment que l'acte homosexuel est proscrit, tout comme l'acte hétérosexuel. Du point de vue réglementaire, la proscription s'applique à toutes les formes de sexualité et à toutes ses manifestations. Le postulat est assez clair, l'activité sexuelle empêche la concentration et ne facilite pas le développement mental. Il est important de souligner qu'aucune de ces prescriptions n'est assortie de justification morale et ce n'est pas pour des raisons morales que ces prescriptions sont édictées à l'égard de la communauté des bonzes bouddhiques.

Qu'est qu'il y a dans les textes sur l'homosexualité ?. Eh bien, je vous confirme ce que j'ai déjà écrit par ailleurs, il n'y a rien dans les textes canoniques du bouddhisme qui montrerait une quelconque condamnation à priori de l'homosexualité.

Que certains auteurs occidentaux aient dans la précipitation interprété certains interdits, certains prescriptions comme visant particulièrement l'homosexualité ne doit pas nous égarer. Ces auteurs se sont trompés et se sont laissés influencer par leurs propres préjugés culturels et par leurs propres préventions. Beaucoup de ces auteurs citent les cinq préceptes et certains bouddhistes font échos à ces interprétations erronées. Mais, répétons le, rien dans les cinq préceptes ne vise l'homosexualité. Ce qui est visé dans les cinq préceptes, c'est le fait de recourir à des pratiques sexuelles, ce ne sont ni ces pratiques elles-mêmes, ni quelles soient de tel ou tel type. Certains auteurs ou commentateurs avancent l'idée saugrenue que le bouddha historique n'aurait pas eu connaissance de pratiques homosexuelles à son époque. C'est là une affirmation d'une grande naïveté et d'une grande absurdité. De nombreux textes attestent que toutes ces catégories du comportement sexuel étaient décrites de différentes manières et pour différents buts. On rencontre une description assez complète de la sexualité humaine avec des corollaires physiologiques ou psychologiques dans le Vinaya Pitaka (les règles monastiques). De même, on ne le sait peut être pas, mais il y a plusieurs chapitres consacrés aux plaisirs homosexuels dans le Kama Sutta. Dans aucun de ces ouvrages, qu'ils soient philosophiques ou érotiques, on ne rencontre aucune critique, aucune condamnation, aucun rejet de l'homosexualité.

J'espère avoir répondu à votre question.





Texte complet de la question

Je suis bouddhiste depuis 25 ans, j'ai toujours caché mon homosexualité. Certains bien sûr savent, on ne peut pas cacher à tout le monde, quand je dis caché, ce n'est pas mentir, c'est-à-dire je n'en parle pas. Ce matin j'ai lu un article sur Dalai Lama qui disait que le bouddhisme était contre l'homosexualité et la masturbation. Par ailleurs j'ai lu sur votre forum questions-réponses un article sur l'homosexualité qui me convient mieux. Je reste quand même embarrassé et n'arrive pas à savoir ce que pensent les bouddhistes. Est-ce que votre article représente votre pensée, la pensée des théravadins seulement ou la pensée du bouddhisme général. Car bien sûr je ne sais pas qui vous êtes "Vénérable, Lama ou un adepte bouddhiste lambda" Il n'est pas agréable de ne pas être reconnu, surtout quand on baigne dans le bouddhisme comme moi depuis 25 ans. Merci de votre réponse.

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Cette page a été créée le 12 mai 2001.


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