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textes sur le vipassana dans le bouddhisme

question 52




Sur le karma et la réincarnation

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Réponse :

Merci de votre question, claire et précise.

Merci également de vos remarques et appréciations.

Vous avez tout à fait raison de vous interroger, car cette notion est effectivement pleine de nuances, me semble-t-il.

Tout d'abord, je voudrai rappeler que la notion de karma est d'abord une notion, une conception, c'est-à-dire un modèle dans lequel un groupe culturel a reconnu une certaine valeur comme répondant pertinemment à certaines interrogations sans entrer en conflit avec les autres éléments du système philosophique de référence (en l'occurrence le bouddhisme, ou la philosophie indienne primitive, telle qu'elle s'est développée, il y a 25 à 27 siècles de cela).

Il y a fort à penser que les connaissances philosophiques de l'époque étaient suffisamment étendues pour croire que d'autres conceptions ont pu se présenter aux indiens de l'époque, notamment par les vagues de migrations venant de la Mésopotamie (et qui apportèrent, par exemple, la pensée de Zoroastre depuis l'Iran). Toutefois, nonobstant ces influences, mais que l'on pourrait également appeler "informations ", les indiens ont développé et conforté cette notion de karma.

Ensuite, il y a avec cette notion de karma deux notions qui ne découlent pas forcément l'une de l'autre et qui sont toujours indissociablement liées, consciemment ou inconsciemment. Le karma, c'est d'abord l'idée que les actes d'aujourd'hui ont des conséquences qui peuvent s'exercer dans le futur indéfiniment, ou durablement. A rebours, le karma permet d'extrapoler que les actes d'aujourd'hui peuvent être les effets d'actes antérieurs.

Si la première affirmation (le karma, ce sont que les actes d'aujourd'hui ont des conséquences qui peuvent s'exercer dans le futur ), ne pose pas de grands problèmes, pour peu que l'on soit un peu sensible, un peu attentif aux choses, les actes d'aujourd'hui ont des conséquences qui peuvent être largement prévisibles dans le futur. Avec le sens de l'anticipation, le souci du devenir, il est possible d'orienter ces actions pour obtenir des effets les meilleurs possibles. Vous me direz, est-ce spécifiquement bouddhique cela ? Est-ce que ce n'est pas ce que toutes les personnes un peu astucieuses parviennent parfaitement à faire ? Oui, c'est pour cela qu'il me semble que le bouddhisme, n'est pas une technique pour s'assurer personnellement une meilleure vie possible dans son devenir. Il y a quelque chose de plus. Il y a même sans doute quelque chose de moins, puisque s'assurer de bonnes conséquences paraît en définitive assez vain, si ce n'est là que le but de ses propres actions, même si cela est déjà une bonne démarche à la base.

Quel est donc ce tout petit plus ? Eh bien, c'est l'idée que s'assurer des effets propices ne serait d'une utilité toute relative s'il devait demeurer de la "souffrance " (dukkha). C'est là que le bouddhisme pose une différence radicale.

La deuxième affirmation (le karma permet d'extrapoler que les actes d'aujourd'hui peuvent être les effets d'actes antérieurs), est moins évidente. En effet, il n'est pas toujours facile de reconnaître dans les événements que nous vivons une conséquence d'actes antérieurement effectués. De plus, il faut se garder de schémas qui ont tendances à qualifier cette mécanique et qui ont toujours une grande force à la fois culturelle et psychologique. Ces tendances interprétatives, qu'on peut appeler "le retour de bâton ", consiste en approches de cette notion uniquement sous l'angle d'une faute qui engendre une sanction. Ces tendances n'appartiennent pas au bouddhisme. Il n'est pas question de qualifier le karma en tant que phénomène et même à la limite, il n'est pas question de qualifier les actes en eux-mêmes comme intrinsèquement bons ou mauvais, pour reprendre une dichotomie si répandue. Vous voyez qu'alors les automatismes, qui eux sont karmiques, se mettent en branle tout seul et conduisent à agir ou réagir en fonction d'un schéma pré-établi ou, en tout cas, toujours récurent (pression, dépression, frustration-compensation, etc …).

Qu'est-ce qui est karmique demandez-vous ?

Eh bien à chaque fois qu'on s'abandonne à ses émotions, à ses passions, à son pathos bien intime, à ses inclinations, et cela peut avoir le plus souvent une époustouflante volupté sensuelle, et il n'y rien là de bien ou mal, mais seulement les actes et leurs conséquences dans lesquels on ne décide plus rien. Je dirai, qu'il n'y pas nécessairement dukkha au bout. Je dirai que cela n'est pas nécessairement "sanctionné " par dukkha en conséquence finale (même si dukkha dans son acception littérale est récurrente), mais que si dukkha s'impose, et que si dukkha s'installe comme une forme difficilement supportable, que si cette tendance conduit à une fuite éperdue en avant, que si cette aspiration engendre des effets objectivement négatifs pour soi-même ou pour les autres (et là, c'est le karma dans ses conséquences négatives…), alors dans toutes ces situations où le karma, bien plus que dans les situations agréables, a démontré sa puissance et sa force d'entraînement, le bouddhisme propose une analyse et une réponse à cette situation.

Vous l'avez compris, le karma, n'est pas aliéné à une logique exclusivement négative. C'est seulement par ses effets inopportuns que la mécanique karmique démontre d'une manière plus "visible" ses effets. Cette mécanique n'est ni bonne ni mauvaise, ni profitable ni dommageable, elle est simplement à l'œuvre partout, tout le temps. Dans cette dynamique, ce n'est pas le sujet qui se réalise, c'est le karma qui se réalise.

De ces éléments karmiques, notre quotidien en est plein. Une émotion survient et se signale à nous, elle nous happe d'une manière qui nous surprend presque nous même. On se dit " tiens, mais pourquoi telle situation s'est-elle cristallisée, alors que je me croyais hors de cela ? " Voilà un mécanisme karmique, on est conduit à une certaine émotion sans avoir le sentiment de l'avoir choisie. Cette analyse intervenant au même moment où cette émotion s'impose. On peut en ressentir un certain agacement :  " mais pourquoi ? ". Par rapport à ce phénomène, le bouddhisme essaye de répondre avec ses techniques et notamment celle du " nota " (de l'anglais " noting " qui veut dire ici, pendre en note, observer, noter dans la marge avec un coup de crayon, pourrait-on dire). Par le nota, on note " tiens, telle idée est survenue " (point final). Par ce nota, il n'y pas de " je n'en veux pas ", pas de " oh oui, j'en veux ", pas de " c'est désagréable ", pas de " c'est agréable ". Par le nota, on observe qu'une émotion, même étrangère à nos aspirations, peut s'imposer, peut s'installer, mais par le nota on observe aussi qu'elle décline, qu'elle se dissipe, qu'elle s'oublie complètement après quelques temps. Vous voyez là l'une des méthodes pour se mettre à l'abri des mécanismes karmiques. Vous voyez aussi qu'il ne s'agit pas les changer, mais simplement de ne plus se laisser entraîner par eux.

Au passage, cette technique du nota, cette prise de conscience de la vacuité de toute chose, du caractère impermanent de toute chose, du caractère évidemment transitoire de toute chose, est une excellente démonstration du caractère fondamentalement non dogmatique de la démarche bouddhique, qui n'est comparable à nulle autre.

Vous voyez aussi que le bouddhisme ne va pas forcément accorder une importance primordiale au " pourquoi ".

Toutefois, si on souhaite aller de côté là, on sait bien combien les conditionnements culturels, familiaux, sociaux, professionnels … véhiculent des contraintes qui sont susceptibles d'orienter nos actes selon des schémas qui ne sont pas toujours ceux que nous désirons. La psychanalyse a montré (après les indiens et les bouddhistes d'ailleurs …), combien des événements vécus durant l'enfance, soit pendant une période où le sujet n'a pas la possibilité de choisir et de maîtriser ses émotions, pouvaient inscrire durablement certains comportements en dehors du contrôle du sujet.

Vous me demandez ensuite, jusqu'à quel point modifier notre karma ?

Vous voyez que ce qui est déterminant vis-à-vis de cette logique karmique, c'est le degré de connaissance qu'on en a, c'est le niveau de compréhension que l'on peut intégrer pour rester maître du jeu.

Jusqu'à quel point modifier ce karma ?

Si on se réfère aux écrits et aux commentaires bouddhiques, on peut répondre qu'on peut complètement supplanter et éliminer ce karma, pour peu qu'on l'ait pleinement identifié et qu'on ait renoncé à tout attachement. Comme je l'ai déjà écrit, c'est l'affaire d'une vie, c'est le choix d'une vie, me semble-t-il.

Je vous dirai aussi qu'il ne s'agit pas pour le bouddhisme de modifier (pour reprendre votre expression) simplement, mais de s'en libérer.

Je pense d'ailleurs qu'on ne pourrait pas poser ce type de question dans le bouddhisme. Le bouddhisme, c'est le choix d'une libération totale et complète de tout karma, et certains courants du bouddhisme ont ajouté "dans cette vie même".

Il n'y a pas de bouddhistes qui vous inviteront à une modification partielle, à une demi-libération, à une soustraction sélective. Oui, on peut faire aussi tout cela, mais c'est à chaque fois pour retomber dans la mécanique des enchaînements, des actes et de leurs effets selon le modèle karmique.

Dans votre question b) vous revenez sur cette idée de réincarnation.

C'est la deuxième conception qui est liée à cette notion de karma et au delà de l'arrière plan culturel elle peut parfaitement s'expliquer. En effet, le bouddhisme considère que la dynamique du karma est telle que cet attachement au moi qui ressent, qui se projette dans un autre, dans une descendance, dans une activité spécifique etc … est tellement puissant qu'elle poursuivra sa course au delà de la mort physique. Plutôt que de réincarnation, qui n'est pas un terme très approprié, on parlera de continuation, tant les forces mise en œuvre sont puissantes aux fins de la réalisation karmique.

Je ne suis pas un grand spécialiste "es" karma, mais je pense que l'on peut répondre par l'affirmative à votre question. Mais, j'attire votre attention sur le fait que tout cela pose des problèmes pratiques de toute nature que je ne m'aventurerai pas à résoudre. Mes connaissances étant extrêmement limitées en ce domaine et ne cherchant pas à les développer, je m'arrêterais donc là, si vous le voulez bien. Toutefois on trouve dans la littérature d'Alexandra David-Néel différentes choses sur ce sujet qui sont assez amusantes et parfois touchantes. Sur la thématique de la réincarnation vous trouverez par exemple dans son ouvrage " Immortalité et réincarnation " des éclaircissements nombreux sur la notion de karma telle qu'elle lui a été exposée par les bonzes tibétains du tout début du siècle. Lisez notamment la note au bas de la page 55 de l'édition Pocket (ISBN 2-266-05636-0).

Il me semble aussi important de faire attention à cette notion de réincarnation. Comme je l'ai déjà exposé, le karma est proposé dans une société où il y a un arrière plan culturel fortement marqué par la réincarnation. Pour avoir partagé du temps avec des amis indiens, je puis vous dire que cette croyance est tellement forte qu'elle atteint des extrêmes absolument effarants, notamment avec un fatalisme qui semble ne pas connaître de limites, pas même celles de la mort. Il me semble ici que cette soumission, cet abandon, cette croyance aveugle ne me paraît absolument pas bouddhique.

Enfin, vous aurez compris qu'il est possible d'avoir une approche de la notion de karma, sans se soucier de la question de la réincarnation. Toute la mécanique karmique avant de s'appliquer à des incarnations antérieures ou de se projeter dans d'éventuelles incarnations ultérieures, s'applique avant tout à l'incarnation présente (si l'on souhaite réutiliser ce terme d'incarnation). Le bouddhisme ne cherche pas à réparer la vie passée ou à peaufiner la vie future, mais à réaliser pleinement la vie actuelle. Le bouddhisme propose une méthode pour supprimer "dukkha " qui se manifeste, à la limite qu'elle qu'en soit la cause, dans la vie présente.

Pour répondre à présent à votre question d), je ne crois pas que les nations aient des karma collectifs. Je me doute bien qu'il doive exister des théories sur ce sujet. La question vis-à-vis du karma, c'est toujours de savoir comment le sujet se positionne par rapport à cette logique.

Ce que vous entendez par karma, ne serait-ce pas plutôt ce qu'on appelle tout simplement l'histoire. L'enchaînement de phénomènes qui marquent un territoire précis et un peuple pour des raisons démographiques, économiques, politiques et géo-politiques etc …

En outre, vous le savez, il y a plusieurs façons de voir l'histoire et ses mécanismes. Il y a à ce sujet une dimension purement mythique et donc franchement mensongère qui devrait nous inciter à nous éloigner de ce type d'idéologie et de manipulation. Quand on analyse les faits historiques on s'aperçoit que les décisions sont prises par un tout petit nombre de personnes, sur des motivations généralement fort peu historiques. Voyez par exemple, la récente guerre du golfe qui était prévue depuis au moins 5 ans et complètement modélisée une année auparavant dans ses moindres détails.

Là encore mon manque de connaissance et d'intérêt pour cette distribution d'éventuelles réincarnations ici ou là, ne me permet pas de vous répondre.

Je crois que tout cela n'intéresse pas le bouddhisme.



J'espère avoir répondu à votre question.





Texte complet de la question

Je suis étudiant et je fais une recherche sur le karma et la réincarnation. J'ai lu votre mise au point sur votre site et j'ai bien apprécié. Cependant, plusieurs questions subsistent. Pourriez-vous m'éclairer sur les points suivants s'il vous plaît ... a) Comment peut-on identifier ce qui est karmique dans notre vie et ce sur quoi on doit travailler ? b) Les opinions divergent quant à nos incarnations, revient-on toujours avec le même entourage ou non ? c) Jusqu'à quel point pouvons-nous modifier notre karma actuel ? d) Est-ce vrai que les peuples ou nations ont un karma collectif ? si oui, revient-on toujours allemand, américain, africain... ça me semble un peu tiré par les cheveux. J'aurais bien d'autres questions sur ce sujet passionnant mais si vous pouviez répondre à celles-ci, cela m'aiderait beaucoup. Je vous remercie à l'avance.

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